La biographie du peintre à l'écran est la façon la plus simple d'aborder la peinture au cinéma. Sont montrées des reproductions de vrais tableaux à l'écran et le sujet du film est la vie du peintre (partie 1) en montrant souvent parfois seulement ses conditions d'existence et en tentant parfois de montrer quel travail sur la réalité préexistante il opère pour construire son tableau (partie 2).
Comme le remarque Pierre Eisenreich :
"la biographie cinématographique de l'artiste plasticien trouve d'abord son intérêt dans la dramaturgie tirée du vécu du personnage. Il peut être attribué à ces héros une série de caractéristiques qui suscitent un très grand intérêt narratif. Tous ont mené une existence conflictuelle avec leur société, et avec eux-mêmes, due à l'exigence et à la marginalisation de leur profession pour la plupart d'entre-deux. Il en découle en général une grande pauvreté matérielle qui les plongeait dans une situation de quasi-survie. Quand les origines familiales permettaient d'assurer un certain confort dans le cas de Munch et de Toulouse-Lautrec, la maladie et le handicap physique procuraient au scénario une source mélodramatique inespérée."
La biographie filmée ne constitue souvent pas un apport important à la compréhension des enjeux picturaux. On constatera toutefois au travers de trois exemples particuliers une même convergence vers la mise en scène des étapes essentielles de la création.
1 - Les biographies filmées
1-1 Les biographies de peintres existants
Dans Biographes de peintres à l'écran, Patricia-Laure Thivat remarque que le peintre au cinéma renouvelle la figure héroïque de l'aventurier solitaire qui joue de la contradiction entre la liberté individuelle et les formes de l'organisation sociale. Les biographies sont ainsi concentrées sur les figures majeures de l'histoire de l'art, peintres célèbres des siècles passés (Rembrandt, Le Caravage, Michel-Ange, Goya), d'artistes novateurs, voire artistiquement révolutionnaires, du tournant des 19e et 20e siècles (Toulouse-Lautrec, Modigliani, Van Gogh, Munch), mais aussi de peintres contemporains (Hockney, Pollock, Kahlo, Bacon ou Basquiat), tous à même de représenter l'image du "génial démiurge" à l'apogée de son art, et/ou la figure du "peintre maudit", en proie à une souffrance physique ou existentielle.
Des peintres à l'existence tranquille comme Degas, Manet ou Cézanne ne semblent pas avoir suscité le même intérêt. Leurs biographies respectives ne paraissent pas correspondre aux nécessités cinématographiques de l'archétype. Celui-ci est un individualiste, parfois décrit comme un génie (Rembrandt), toujours obsédé par sa création, à la fois asocial et frondeur (Ohwon, Modigliani), amateur des choses de l'amour (Le Caravage, Van Gogh), mais toujours plus à l'aise dans le calme de l'atelier que face aux tumultes de la société (Michel-Ange, Klimt). Tout à la fois entier dans sa vocation et pétri de contradictions dans ses relations avec les autres, sa liberté créatrice est constamment mise en danger par le monde extérieur. Le peintre au cinéma est aussi et avant tout un personnage qui porte un regard singulier et aiguisé sur le monde mais que le monde ne peut contrôler.
La biographie de peintre peut être qualifiée d'épique (L'extase et l'agonie de Carol Reed), de contemplative (Ivre de femmes et de peinture d'Im Kwon-Taek) ou de pseudo-documentaire (Edvard Munch de Peter Watkins, A Bigger Splash de Jack Hazan).
La biographie se fait parfois au mépris total des valeurs morales et esthétiques défendues par les peintres : ainsi La jeune fille à la perle de Vermeer est-il une apologie de la chasteté et de la fidélité alors que le film de Peter Webber (2003), fait de la jeune servante la maîtresse d'un peintre qui ne supporterait plus la vie de famille !
Biographies de peintres et sculpteurs :
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Caravage | Michele Placido | Italie | 2022 |
Hokusai | Hajime Hashimoto | U.S.A. | 2020 |
Michel-Ange | Andreï Kontchalovski | Russie | 2019 |
L'oeuvre sans auteur | F. H. v. Donnersmarck | Allemagne | 2018 |
L'incroyable histoire du facteur Cheval | Niels Tavernier | France | 2018 |
Gauguin - voyage de Tahiti | Edouard Deluc | France | 2017 |
Rodin | Jacques Doillon | France | 2017 |
Egon Schiele | Dieter Berner | Autriche | 2016 |
Sfumato | Christophe Bisson | France | 2016 |
Big eyes | Tim Burton | U.S.A. | 2014 |
Mr Turner | Mike Leigh | G.-B. | 2014 |
Camille Claudel 1915 | Bruno Dumont | France | 2013 |
Berthe Morisot | Caroline Champetier | France | 2013 |
Renoir | Gilles Bourdos | France | 2012 |
Séraphine | Martin Provost | France | 2008 |
El Greco, les ténèbres contre la lumière | Yannis Smaragdis | Grèce | 2007 |
La ronde de nuit | Peter Greenaway | G.-B. | 2007 |
Les fantômes de Goya | Milos Forman | U.S.A. | 2006 |
Surviving Picasso | James Ivory | U.S.A. | 2006 |
Klimt | Raoul Ruiz | France | 2005 |
La jeune fille à la perle | Peter Webber | France | 2003 |
Ivre de femmes et de peinture | Im Kwon-taek | Corée | 2002 |
Frida | Julie Taymor | U.S.A. | 2002 |
Jackson Pollock : an american saga | Ed Harris | U.S.A. | 2000 |
Rembrandt | Charles Matton | France | 1999 |
Goya | Carlos Saura | Espagne | 1999 |
Love is the devil | John Maybury | G.-B. | 1998 |
Lautrec | Roger Planchon | France | 1998 |
Basquiat | Julian Schnabel | U.S.A. | 1996 |
Van Gogh | Maurice Pialat | France | 1991 |
Vincent et Théo | Robert Altman | U.S.A. | 1990 |
Camille Claudel | Bruno Nuytten | France | 1988 |
Caravaggio | Derek Jarman | G.-B. | 1986 |
Stefan Luchian | Nicolae Margineanu | Roumanie | 1981 |
Egon Schiele, enfer et passion | Herbert Vesely | Autriche | 1981 |
Rembrandt Fecit 1669 | Jos Stelling | Hollande | 1977 |
Aloïse | Liliane de Kermadec | France | 1975 |
A bigger splash | Jack Hazan | G.-B. | 1974 |
Edvard Munch | Peter Watkins | Norvège | 1974 |
Leon Battista Alberti - L'humanisme | Roberto Rossellini | Italie | 1973 |
Andrei Roublev | Andrei Tarkovski | Russie | 1966 |
L'extase et l'agonie | Carol Reed | U.S.A. | 1965 |
Montparnasse 19 | Jacques Becker | France | 1958 |
La maya nue et la maya habillée | Henry Koster | U.S.A. | 1958 |
La vie passionnée de Vincent van Gogh | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1956 |
Moulin rouge | John Huston | U.S.A. | 1954 |
L'atelier de Jackson Pollock | Hans Namuth | U. S. A. | 1950 |
Cinq femmes autour d'Utamaro | Kenji Mizoguchi | Japon | 1946 |
Rembrandt | Hans Steinhoff | Allemagne | 1942 |
Rembrandt | Alexander Korda | G.-B. | 1936 |
Benvenuto Cellini | Gregory La Cava | U.S.A. | 1934 |
Un peintre célèbre n'est parfois qu'une figure secondaire d'un film de fiction. C'est le cas de Thomas Gainsborough dans La duchesse des bas-fonds (1945). Mitchell Leisen le fait intervenir comme l'un des personnages du mélodrame et montre ses tableaux, une séance de pose, et un salon où il se dispute avec Reynolds.
Toulouse-Lautrec est interprété par John Leguizamo dans Moulin Rouge! (Baz Luhrmann, 2001) et par Vincent Menjou-Cortès dans Minuit à Paris (Woody Allen, 2011). Sa silhouette apparait fugitivement dans Un Américain à Paris (Vincente Minnelli, 1950) et dans Van Gogh (Maurice Pialat, 1991).
Lorsque, dans Le songe de la lumière, Victor Erice suit le peintre Antonio López García, sur un peu plus d'un an, on ne peut pas vraiment parler de biographie.
1-2 Les biographies de peintres de fiction
Charles Strickland dans The moon and sixpence (Albert Lewin, 1942) est une création fictionnelle. Cependant au prix de changements de patronymes et de détails, il se présente comme inspiré de Paul Gauguin. Il ne peut pourtant pas être considéré comme une biographie de celui-ci.
Pour La chute de la maison Usher, Epstein s'inspire de "motifs d'Edgar Poe" comme il le précise. Plus précisément de deux contes : celui qui donne son titre au film et Le portrait ovale. Celui-ci est exploité dans la première partie du film tandis que celui-là fournit la structure générale du scenario et celle de la seconde partie. Le portrait ovale est une métaphore de l'obsession vampirique par l'absorption progressive du modèle par la toile peinte : "Les couleurs qu'il étirait sur la toile étaient tirées des joues de celle qui était assise près de lui" écrit Poe à propos de Roderick et Madeline, frère et soeur, devenus mari et femme dans le film.
Dans Le portrait de Dorian Gray (Lewin, 1951) Basil Hallward peint le portrait du séduisant Dorian Gray. Il ne souhaite pas exposer le tableau car le portrait semble doué d'une vie propre qui aurait comme guidé sa main. Il l'offre ainsi à Dorian Gray qui s'aperçoit que seul le tableau garde trace de sa déchéance morale lui laissant un visage jeune et pur. Basil Hallward contraint Gray à lui monter le tableau qu'il a caché dans le grenier et meurt assassiné.
Les peintres sont parfois des personnages de fictions très efficaces, répondant aux clichés habituels des biographies de peintres réels : exaltés et incompris ou romantiques cherchant l'inspiration ou bien encore pratiquant leur métier avec conviction ainsi Martin Lobelius dans L'attente des femmes (Bergman). La profession de peintre est toutefois présentée sous un jour plus souriant chez Hitchcock ou Minnelli ainsi Sam Marlowe dans Mais qui a tué Harry ? ou Jerry Mulligan dans Un Américain à Paris.
Dans Barbe
bleue (Edgar G. Ulmer, 1944), le serial killer
est victime du syndrome inversé de Dorian Gray : le peintre tente de
préserver l'idéal du portrait en tuant la femme qui l'a inspiré.
Il ne peut se détacher de la conjonction fatale qui a lié ces
deux actes quand il a découvert que celle qui lui a inspiré
le gisant de Jeanne la pucelle n'était qu'une prostituée sans
cur. Gaston a donc renoncé à la peinture pour les mannequins
miniatures de son théâtre de marionnettes. Une manière
sans doute de dire que la sculpture tend moins vers l'idéal que la
peinture. Quand poussé par Lamarte à faire le portrait de Francine,
Gaston ne s'y résout qu'en tentant de se protéger avec un complexe
dispositif d'images renvoyées par des miroirs dans des chicanes obstruées
par des voiles de tissus.
Principaux artistes de fictions :
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Showing Up | Kelly Reichardt | U. S. A. | 2022 |
Les intranquilles | Joachim Lafosse | Belgique | 2021 |
Portrait de la jeune fille en feu | Céline Sciamma | France | 2019 |
Petra | Jaime Rosales | Espagne | 2018 |
Angel | François Ozon | France | 2007 |
Japon | Carlos Reigadas | Mexique | 2003 |
Au coeur du mensonge | Claude Chabrol | France | 1998 |
Meurtre dans un jardin anglais | Peter Greenaway | G.-B. | 1990 |
La belle noiseuse | Jacques Rivette | France | 1991 |
Roberte | Pierre Zucca | France | 1978 |
L'hypothèse du tableau volé | Raoul Ruiz | France | 1978 |
Blow-up | Michelangelo Antonioni | G.- B. | 1966 |
Le chevalier des sables | Vincente Minnelli | U. S. A. | 1965 |
Mais qui a tué Harry ? | Alfred Hitchcock | U. S. A. | 1956 |
L'attente des femmes | Ingmar Bergman | U. S. A. | 1952 |
Pandora | Albert Lewin | U. S. A. | 1951 |
Un Américain à Paris | Vincente Minnelli | U. S. A. | 1950 |
Le portrait de Dorian Gray | Albert Lewin | U. S. A. | 1945 |
Barbe bleue | Edgar G. Ulmer | U. S. A. | 1944 |
La main du diable | Maurice Tourneur | France | 1943 |
The moon and sixpence | Albert Lewin | U. S. A. | 1942 |
Le portrait de Jennie | William Dieterle | U. S. A. | 1942 |
La chute de la maison Usher | Jean Epstein | France | 1928 |
Chantage | Alfred Hitchcock | U. S. A. | 1927 |
Michael | Carl Theodor Dreyer | Allemagne | 1924 |
Rigadin peintre cubiste | Georges Monca | France | 1912 |
Le peintre néo-impressionniste | Emile Cohl | France | 1910 |
2 - Le peintre au travail
Quatre films exemplaires du travail du peintre insistent sur les étapes essentielles du processus créateur : la recherche de l'inspiration, la pose du modèle, le travail de la matière et l'affirmation des théories de l'art avec ses pairs ou des critiques.
2 -1 Le mystère Picasso
Dans Le mystère Picasso, la caméra placée devant le chevalet sur lequel est tendu un papier et non derrière Picasso. Elle capte le cheminement de la pensée créatrice du peintre. Puis passage à la couleur ; peinture à l'huile plus classique, filmée en écran cinémascope et film monté photogramme par photogramme.
2 -2 Van Gogh
Dans Van Gogh (Maurice Pialat, 1991) Les recadrages brusques pour suivre les coups de pinceau dans la scène initiale, la peinture étalée à coup de couteau pour peindre l'innocent ont pour équivalence de mise en scène, le montage ou démontage par déplacement de plans dans la scène de cabaret de Montmartre, les blocs de séquences et plan-séquences. Pialat veut tenir le cinéma comme Vincent voulait tenir la peinture.
Le peintre est enchâssé dans le cadre d'une fenêtre ouverte sur un feuillage de printemps, cadré depuis l'intérieur cossu du salon de musique.
Posant face à la caméra qui saisit son portrait dans le cadre de la fenêtre, suspendu entre l'intérieur et l'extérieur, il observe. Tel un animal examinant sa proie, il détaille la jeune fille capricieuse qui, jouant au piano, sera son modèle.
Enfin l'artiste défend son art sa sensibilité ou ses théories devant les critiques ou ses pairs.
3-3 Edvard Munch
3-4 A bigger splash
Dans A bigger splash, Jack Hazan a su convaincre David Hockney, d'abord très réticent, à jouer son propre rôle dans un film de fiction. Celui-ci relie le surgissement de l'inspiration, aux travaux préparatoires de la toile, à son exécution difficile puis à sa présentation lors de l'exposition de 1972.
Ce tableau hyperréaliste de David Hockney s'adapte parfaitement à la mise en scène obsessionnelle qu'a choisi le réalisateur. Le film est certes assez classiquement une méditation sur les relations de l'art et de la vie. Mais jamais aussi bien que dans l'hyperréalisme la frontière entre monde réel et monde ressenti est mince. C'est la fragilité de cette limite que met en scène Jack Hazan.
Sfumato | Christophe Bisson | France | 2016 |
Le songe de la lumière | Victor Erice | Espagne | 1992 |
La belle noiseuse | Jacques Rivette | France | 1991 |
Van Gogh | Maurice Pialat | France | 1991 |
A bigger splash | Jack Hazan | G. - B. | 1974 |
Edvard Munch | Peter Watkins | Norvège | 1974 |
Le mystère Picasso | Henri-Georges Clouzot | France | 1956 |
L'atelier de Jackson Pollock | Hans Namuth | U. S. A. | 1950 |
Bibliographie :
Patricia-Laure Thivat (dir.) : Biographes de peintres à lécran. Editeur : Presses Universitaires de Rennes (novembre 2011). Collection : Le Spectaculaire Cinéma. 322 pages au format 17 x 24 cm. Illustrations couleur et noir et blanc. 20 €. | |
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