Hollande, deux jeunes fermières rentrent des champs. Turner peint le soleil déclinant derrière un moulin. Turner est de retour à Londres dans sa maison de Queen Anne Street où sa fidèle servante, Hannah Danby, l'accueille avec chaleur. Elle l'informe que son père s'inquiétait après avoir lu dans le journal qu'une explosion avait eu lieu en Hollande ; il commence à tousser précise-t-elle aussi. Le père de Turner fait ses courses au marché et chez le marchand de couleurs d'origine italienne où il commande des pigments pour son fils. Il ne sait pas encore que celui-ci est de retour et Hannah se garde bien de l'informer, heureuse de la surprise qui va saisir le père de retrouver son fils. Le bonheur des retrouvailles est réciproque. Le père, ancien barbier, s'occupe de la toilette de son fils comme de lui préparer ses toiles ou de lui broyer les pigments ou encore de présenter aux acheteurs potentiels les tableaux de son fils dans la pièce dédiée à cet effet. Leur bonheur serait complet si Sarah Danby, une ancienne maitresse avec qui Turner a eu deux filles, Evelina et Georgiana, ne venait demander un peu d'assistance. Turner la leur refuse une nouvelle fois sous les yeux attristés de Hannah, la nièce de Sarah. Hannah est cependant toute dévouée à son maitre, heureuse même d'une brève et impulsive relation sexuelle sans ménagement, face plaquée contre la bibliothèque, imposée par un Turner se contentant d'éructer comme à son habitude.
Turner va faire un séjour chez son collectionneur Lord Egremont, où sont aussi présents d'autres peintres de l'académie. Turner chante Didon abandonnée de Purcell avec la pianiste. Se trouve aussi là Benjamin Robert Haydon, un peintre légèrement trop excentrique pour entrer à l'académie et qui lui demande cent livres pour faire face à ses dettes. Turner s'ennuie dans ces soirées mondaines de mauvais goût alors que le jour, il est sans cesse dérangé par lady Egremont et ses deux filles qui l'interrogent sur la différence entre un lever et un coucher de soleil. Il se contente de cracher sur la toile pour montrer comment il peint.
Il préfère bien davantage la visite de Mary Somerville, une physicienne écossaise autodidacte qui lui montre comment la lumière violette d'un arc-en-ciel obtenue à partir d'un prisme produit un champ magnétique sur une pointe frappée préalablement à coups de marteau. Dans son atelier sont encore présents Avalanche dans les grisons (1810) et Hannibal franchissant les Alpes (1812) et La bataille de Trafalgar (1822) refusé par le roi. Turner donne aussi des conférences à l'Académie royale. Au cours de l'une d'elles, la santé de son père se détériore puis va se dégrader de jour en jour. Tout deux ont une dernière conversation sur la mère de William, morte folle à l'asile du Bethlem Royal Hospital en 1804, probablement après le décès la jeune sœur de William, Mary Ann, en 1783. Turner est profondément affecté par la mort de son père, en 1829.
Il se rend à Margate, dans le Kent, à l'estuaire de la Tamise où il fut élève autrefois. Sous le nom de Mallard, il réside chez madame Booth dont le mari, ancien charpentier de vaisseaux négriers, est dépressif. En 1832, deux de ses toiles sont présentées lors de l'exposition annuelle de la Royal Académie of Arts. Il fait scandale en mettant une tache de rouge au beau milieu de sa Marine après avoir vu le tableau de Constable. Robert Haydon y fait de nouveau scandale car son âne n'est exposé que dans le vestibule. Turner se rend de nouveau chez Mme Booth. Son mari étant morts, ils deviennent amants.
De retour à Londres, Turner et ses amis vont voir le Fighting Temeraire conduit vers son dernier port dont il fait une toile célèbre en 1838. Ses amis lui conseillent de filmer la pluie, l'eau et la vapeur ; ce qu'il ne tardera pas à faire.
En 1840. Il rencontre Ruskin et son père qui lui achètent Négriers jetant par-dessus bord morts et mourants.
En 1842, lors d'une nouvelle visite chez Mme Booth, il se fait attacher en haut du mat d'un bateau et attrape une bonne bronchite que soigne le docteur Price. Il expose Tempête de neige, navire loin du port qui exprime sa passion pour l'observation de la nature déchainée. Sa peinture est ouvertement critiquée dans les théâtres et Turner devient de plus en plus misanthrope. Heureusement Ruskin prend sa défense mais de façon tellement prétentieuse que cela irrite Turner. En 1845, Victoria et le prince Albert visitent l'exposition annuelle. Victoria s'emporte contre Lever de soleil avec montres marins. Pourtant les collectionneurs privés se pressent toujours. Turner refuse une offre de 100,000 livres de Joseph Gillott, l'industriel du stylo-plume, pour acheter l'ensemble de son oeuvre. Il la leguera à La National Gallery pour que le public vienne la voir gartuitement.
En 1846, perdu et désemparé, Turner emménage dans le quartier de Chelsea avec madame Booth. Hannah sait qu'elle n'aura pas à changer les draps avant longtemps.
Turner est heureux chez Madame Booth où il se fait passer pour son mari. Il se prête à une séance de poses chez John Mayall qui a appris la technique du daguerréotype à Philadelphie. Turner s'inquiète : bientôt les peintres n'auront plus un carnet de croquis mais une "caméra" pour se déplacer dans la nature.
Lors de l'exposition annuelle de la Royal Académie of Arts en 1850 sont accrochées aux murs les premières toiles des préraphaélites, La fille du bucheron ou Mariana de John Everett Millais, travail soigné et allusions érudites à l'Italie du quattrocento ou à Shakespeare. Turner fonce les sourcils, grogne puis est pris d'un fou rire. Il ricane devant ces tableaux si moreaux et si savants.
La santé de Turner a terriblement déclinée et le docteur Price lui annonce que ses jours sont comptés. Hannah, qui a découvert son adresse dans une veste sale qui trainait, vient voir où habite l'homme qu'elle aime toujours. Sa maladie de peau est devenue terriblement handicapante et elle s'en retourne immédiatement. Turner dans un moment de répit croit pouvoir aller faire le croquis d'une noyée repêchée dans la Tamise mais doit y renoncer, pris d'une affreuse quinte de toux. Il meurt veillé par Mme Booth et le docteur Price. Sa dernière phrase est "Le soleil est Dieu". Hannah, seule dans sa maison, pleure.
Mike Leigh n'a pas les moyen de réaliser un film à la hauteur de la peinture de Turner, peintre romantique, pré-impressionniste et presque abstrait lyrique qui révolutionna la peinture anglaise et eut une influence prépondérante sur la peinture américaine. Mike Leigh néglige ainsi les voyages que Turner effectua sur le continent tous les ans jusqu'en 1845 et préfère se concentrer sur le déroulé des anecdotes plus ou moins véridiques qui émaillèrent la vie du peintre en Angleterre.
Le cinéma plus beau que la peinture
Le procédé maintenant classique pour montrer l'art d'un peintre au cinéma consiste à reproduire le décor devant lequel il se trouve puis de montrer la toile, obligatoirement différente de celui-ci. Souvent la musique, les couleurs, le cadrage où la simple connaissance qu'a le spectateur de la célébrité du tableau suffisent à manifester le génie. Ce procédé conventionnel, Mike Leigh le refuse pour imposer un beau plan de cinéma avant de reléguer le tableau au milieu d'un plan banal du peintre au travail. Ce procédé paradoxal est notamment utilisé lors de la vision en image numérique du Vaisseau de ligne Téméraire remorqué vers son dernier port que Turner croise avec ses amis dans un canoë avant d'en peindre l'esquisse dans son atelier où il est interrompu par Robert Haydon qui vient régler une partie de sa dette. C'est aussi le cas pour la vision du train dégageant sa fumée de vapeur dans la campagne anglaise qui donnera lieu au célèbre Pluie, vapeur et vitesse auquel le docteur Price fera allusion et qui n'est montré qu'en catimini. Même surévaluation de l'anecdote, légendaire, celle là, de Turner accroché au mat du navire, qui l'aurait inspiré pour Tempête de neige, bateau loin du port et que l'on voit surtout, penchant à droite et à gauche, lors du générique initial.
C'est quand le tableau est discuté devant son spectateur qu'il est le mieux montré. Ainsi de Turner père essayant de faire deviner où se trouve l'éléphant dans Hannibal franchissant les Alpes ou lorsque Ruskin disserte un peu trop devant Négriers jetant par-dessus bord morts et mourants.
Mike Leigh peut tout aussi bien se passer des tableaux de Turner, ainsi dans le coucher de soleil initial ou le lent panneau traveling qui saisit le peintre arrivant chez lui à Londres. Ce souci de faire peinture se retrouve dans la séquence des couleurs vives du marché. Tout pareillement Mike Leigh, qui s'intéresse aux petites gens, semble vouloir faire de Turner un peintre frustré de n'avoir pas fait de portraits. Ainsi la longue séquence de la prostituée dont on ne sait si les larmes de Turner sont dues à ses pensés pour ses filles qu'il laisse dans la misère, à la situation de la jeune femme ou au fait qu'il n'arrive pas à la peindre. Preuve aussi de cette vision singulière, l'anecdote, non vérifiable, que Turner aurait voulu peindre une noyée avant de mourir.
Turner, homme à femmes
Le film ne décevra pas le spécialiste de Turner tant sont nombreuses les anecdotes sur le peintre tel le défi lancé à Constable peignant L'inauguration du pont de Waterloo avec une seule tache rouge mise sur Vue de Utrecht depuis la mer, ou bien encore ses rapports avec Ruskin, les préraphaélites ou la visite de la reine Victoria.
Pourtant le film n'est qu'un déroulé d'anecdotes plutôt bien écrites destinées, in fine, à faire l'apologie d'un ours, certes égoïste et avare, mais profondément sensible. S'il néglige l'amour d'Hannah, pas gâtée par sa maladie de peau et nièce malheureuse de Sarah Dandy, avec qui il eut deux filles qu'il ne reconnu jamais; il émeut la pianiste de Lord Egremont, est reçu dans les salons et suscite l'amour sincère et fidèle de Mme Booth.
C'est cette double personalité incarnée par Timothy Spall que le jury cannois à honorée d'une palme du meilleur acteur.
Jean-Luc Lacuve, le 07/12/2014.