Paris 1891. Gauguin marche dans Paris pour rejoindre l'appartement d'Ambroise Vollard à Montmartre. Il écoute le jeune marchand tentant de vendre L'autoportrait au Christ jaune à une potentielle cliente. Vollard lui donne un peu d'argent en guise d'acompte sur les venets hypothétiques qu'il espère. Gauguin retrouve ses amis dans une brasserie et leur propose de partir en Polynésie, à Tahiti. Il veut trouver sa peinture, en homme libre, en sauvage, loin des codes moraux, politiques et esthétiques de l’Europe civilisée. Émile Schuffenecker, Emile Bernard et Meuer de Haan hésitent. Même s'ils peuvent bénéficier d'un ordre de mission d'un ministère, Tahiti c'est loin. Gauguin se moque d'eux; lui il va partir avec ses maigres économies et emmener Mette et ses cinq enfants. Là-bas tout sera facile.
Mette et ses enfants sont en effet venus de suède pour le retrouver à Paris, et ce plus vite que Paul ne s'y attendait. Il n'a que de malheureux matelas de récupération malodorants et une soupe à leur offrir ce qui dégoute ses enfants. Au matin, Mette lui annonce qu'ils ne le suivront pas.
Gauguin a ainsi perdu un peu de son enthousiasme lorsque Mallarmé, lors d'une grande fête organisée en son honneur et âpres un discours chaleureux lui remet l'argent de la collecte qu'il a organisé pour lui afin qu'il accomplisse son rêve et ramène une peinture différente.
A Tahiti, Paul Gauguin est soumis aux pluies torrentielles ce qui ne l'empêche pas de réaliser des lithographies. En revanche, il manque d'argent et est perçu comme un miséreux par les indigènes. Sans force, il s'écroule. Le docteur Henri Vallin lui diagnostique un diabète qui ira s'aggravant s'il ne se nourrit pas mieux. Mais Gauguin n'en a que faire. Il s’enfonce dans la jungle, bravant la solitude, la pauvreté, la maladie, certain de son génie créateur et l'exprimant dans une lettre envoyée à mette. Sur les hauts plateaux du Tehura, il rencontre une famille qui lui offre sa fille, Tehura, s'il est capable de la rendre heureuse
L'accord entre eux est immédiat. Ils chevauchent enlacés. Tehura semble même douée pour le dessin. Paul dessine Paysage tahitien, Je vous salue Marie fait prendre la pose de La boudeuse. Il a pourtant toujours autant de mal à vendre ses toiles. Henri Vallin les lui prend pour les envoyer à Paris par le prochain bateau. Gauguin tente difficilement de vendre ses statues ; il obtient dix francs pour l'une d'elle qu'il comptait vendre pour trente. Il s'aperçoit bientôt que Tehura aspire à aller le dimanche à l'église dans une belle robe blanche ce qui le désespère. Il accepte. Tehura n'est pas insensible au charme du jeune Jotépha qui, tout en tentant de la séduire, apprend la sculpture auprès de Gauguin. Il devient vite capable de produire en nombre des statues au gout des colons pour un pittoresque facile. Un soir qu'il renter tard, il découvre Tehura en transe craignant la venue du démon pour avoir laissé les bougies s'éteindre. Gauguin y voit là le sujet d'une de ses toiles les plus connues, L'esprit des morts veille.
Il se transforme en docker, en pécheur pour gagner sa vie. Il devient jaloux jusqu'à vouloir tuer Tehura et Jotépha. Il ne peint plus. Il accepte la proposition d'Henri Vallin d'être rapatrié comme indigent aux frais de l'état. Avant, il peint une dernière toile, Les aïeux de Teha'amana, en guise d'adieu à Tehura. Quand il quitte Tahiti, elle n'est pas là pour lui dire adieu. Un carton nous informe qu'il ne la reverra jamais. Il reviendra pour un second voyage avant de mourir aux marquises en 1903. Sa gloire sera posthume
Le générique montre enfin, sur un demi écran seulement, quelques unes des toiles peintes par Gauguin dans ce premier voyage.
Gauguin est souvent à l'arrière plan des biopics consacrés à Van Gogh. Il bénéfice ici, enfin, d'un premier rôle au cinéma. Ce biopic se contente hélas de reprendre le cliché du peintre méconnu mais certain de son génie sans presque rien montrer de sa recherche picturale. Sa complaisance, ou plus grave encore, son occultation du versant sombre de Gauguin en font un film déplaisant et vain.
Un génie qui va
L'un des rares mérites du film est l'interprétation de Vincent Cassel en Gauguin. Non seulement l'acteur ressemble au peintre mais il parvient à donner une réelle force au personnage, réduit au seul cliché du génie incompris allant jusqu'au bout de lui-même. Aidé de Cassel, Deluc expose, pas plus mal qu'un autre, ce parti pris notamment lorsque, après la pluie diluvienne et la maladie, Gauguin chevauche sur les hauts plateaux du Tamanu et que, off, il fait entendre sa lettre pleine de certitudes à Mette.
La peinture presque absente
La peinture, qui n'est certes pas le sujet du film, est presque absente. La main du peintre en amorce, on le voit commencer Paysage tahitien, La boudeuse et Je vous salue Marie. Le soir où il rentre tard, il a la révélation du grand tableau que sera L'esprit des morts veille mais on ne le voit pas l'entreprendre. Plus longtemps que pour La boudeuse, Tehura prend la pose pour Les aïeux de Teha'amana qui sert de tableau d'adieu avant que le générique reprenne ces tableaux et montre aussi Femme à la robe rouge et Seule.
Aucune des sculptures de Gauguin n'est montrée achevée. Il est assez consternant de voir Jotépha accusé de copier le maitre européen alors que c'est Gauguin qui s'inspire de la sculpture des Tahitiens.
Un film malhonnête
Gauguin a contribué lui-même à forger dans son récit de voyage, Noa Noa (1901) ce mythe de l’artiste incompris, parti à Tahiti pour vivre en "sauvage parmi les sauvages". Dans une tribune parue dans Jeune Afrique intitulée La pédophilie est moins grave sous les tropiques, le journaliste Léo Pajon est consterné de voir Deluc reproduire ce mythe avec nos connaissances d'aujourd'hui :
Car, ce que cette histoire ne dit à aucun moment c’est que Tehura (qui s’appelait aussi Teha’amana) avait seulement 13 ans lorsque Gauguin (alors âge de 43 ans) la prit pour "épouse" en 1891. Et malgré ce que pourrait laisser croire le biopic, elle ne fut pas la seule à partager la vie de l’artiste dans l’île : il y eut aussi la jeune prostituée métisse Titi, ainsi que Pau’ura et Vaeoho (toutes deux 14 ans). Enfin, dernier "oubli", le maître était atteint de syphilis, maladie sexuelle potentiellement mortelle, qu’il distribua généreusement à Tahiti. Dans le film, Gauguin se voit seulement diagnostiquer un méchant diabète… on en pleurerait de rire si ce n’était aussi grave.
L’artiste, présenté comme un marginal qui ne veut rien avoir à faire avec les colons français de l’île, se comporte en fait en tous points comme eux en ce qui concerne ses relations amoureuses et sexuelles. Il était en effet courant pour les colons célibataires « civilisés » de se prendre « des petites épouses » (comprendre, de moins de 15 ans) pour s’occuper des tâches domestiques, et satisfaire leurs besoins sexuels.
Gauguin écrit avoir trouvé en Teha’amana une enfant « de plus en plus docile et aimante. » Il se félicitera dans sa correspondance auprès de ses amis des prouesses sexuelles de ses partenaires… d’autant plus appréciables qu’elles ne lui coûtent pas grand-chose.
Bien sûr, on pourra objecter que ces relations étaient tolérées sur l’île. Gauguin « épouse » d’ailleurs Teha’amana avec le consentement de ses parents. Mais comme le rappelle Jean-François Staszak dans Gauguin voyageur (Géo éditions) : même à l’époque « l’âge de ses partenaires aurait valu la prison à Gauguin s’il avait été en métropole. » Le peintre est totalement conscient de coucher avec de trop jeunes filles et de briser un interdit.
Le film, on le comprend, tait le caractère pédophile des relations sexuelles de l’artiste. C’est d’ailleurs une jeune fille de 17 ans, Tuhei Adams, qui a été choisie pour interpréter Teha’amana aux côtés de Vincent Cassel (Gauguin). Ce faisant, il nie la violence de ce qui s’est joué dans ce coin de colonie française. Dans ce paradis de carte postale peuplé de bons et beaux sauvages pacifiques, le grand artiste solitaire tente de revenir « à la source, à l’humanité en enfance » (sic).
Que l’on puisse en 2017, en France, se passer d’une réflexion sur le comportement révoltant des colons en dit long sur notre incapacité à se défaire de schémas mentaux profondément ancrés. Tout se passe comme si les faits étaient moins graves parce qu’ils s’étaient déroulés très loin, sous les tropiques. Qu’on tente une minute d’imaginer un film célébrant la romance d’un quadragénaire atteint d’une maladie sexuelle avec une petite fille de 13 ans en Bretagne. Et qu’on essaie de l’imaginer dansant à demi-nue devant un feu. (Léo Pajon, La pédophilie est moins grave sous les tropiques, Jeune Afrique, le 21 septembre 2017)
Jean-Luc Lacuve, le 28 septembre 2017