Londres, le 20 septembre 1921. En lisant son journal, Geoffrey Wolfe apprend qu'un tableau de Charles Strickland, récemment décédé, a été acheté 3 500 livres chez Christie's. La toile, La femme de Samarie, représente une indigène des îles étendue au bord d'un ruisseau sur fond de palmiers et de bananiers. "A notre première rencontre, son génie ne m'était pas apparu" se souvient le romancier, par ailleurs aisé, qui entreprend alors d'étudier la personnalité du peintre pour une biographie.
Geoffrey Wolfe avait fait la connaissance d'Any Strickland, la femme de Charles, dans un salon mondain où il avait été invité pour la parution de son premier roman. Passionnée de littérature, Any était devenu son amie. Geoffrey n'avait vu qu'une fois son mari, Charles, agent de change, bon et honnête homme. Quelque temps après, Any Strickland avait appris à Geoffrey que son mari l'avait quittée, elle et leurs enfants, pour aller vivre à Paris avec, le croyait-elle, une autre femme. Any avait demandé à Geoffrey d'aller le retrouver pour le convaincre de revenir.
A Paris, Geoffrey découvre Strickland dans une chambre de bonne au sixième étage de l'hôtel des Belges. Il s'avère alors qu'en réalité, Strickland, à quarante ans, a décidé d'abandonner sa vie confortable mais monotone d'agent de change, ses dix-sept ans de mariage et ses deux enfants pour se consacrer à sa passion, la peinture.
Geoffroy vient rendre compte de l'échec de sa médiation à Any. Celle-ci décide de divorcer, meurtrie d'avoir été abandonnée pour une idée plus que pour une autre femme.
Plusieurs années après, Geoffroy rend visite à son ami Dirk Stroeve à Paris. Artiste hollandais excentrique et émotif, Dirk est marié à la jolie Blanche. Il informe Geoffroy que Strickland est certainement un génie même s'il n'a jamais rien vendu et le méprise effrontément. Dans le café où Strickland joue aux échecs pour survivre, celui-ci rudoie Dirk qui préfère partir. Geoffroy lui paie le restaurant pour en apprendre un peu plus, mais Strickland avoue tout juste vivre dans la misère sans chercher à vendre.
Le soir de Noël, Dirk et Geoffroy rendent une visite de charité à Strickland et le découvrent gravement malade dans sa masure sous les toits. Dirk convainc à grand peine Blanche d'accepter de loger Strickland chez eux pour le soigner et le sauver d'une mort certaine. Durant six semaines, Blanche et Dirk se relaient au chevet de Strickland. Une fois guéri, Strickland s'incruste chez Dirk tout en continuant à le rudoyer. Dirk informe bientôt Geoffrey que Blanche ayant décidé de suivre Strickland quand il a voulu le mettre dehors, c'est lui qui a décidé de partir et de leur abandonner son appartement.
Une nuit, Dirk apprend que Blanche s'est empoissonnée quand Strickland est parti. Après les trois jours d'agonie de Blanche, Dirk avait trouvé un nu d'elle, réalisé par Strickland. Il n'avait osé détruire ce qu'il savait être une uvre d'art et l'avait rendu au peintre qui la lui avait dédaigneusement abandonnée. Geoffrey avait alors cessé toute relation avec le peintre mais s'était toutefois laissé tenter quand Strickland lui avait proposé de voir ses toiles. Geoffrey ne les avait pas comprises mais s'était senti impressionné. Strickland n'avait montré aucun remord d'avoir causé le malheur de Blanche et Dirk, les en estimant seuls responsables. Une seule chose le préoccupait : trouver une île tropicale pour en peindre les couleurs saturées sous le soleil.
C'est à Tahiti que Geoffroy avait retrouvé la trace de Strickland, dix ans plus tard. Geoffroy avait d'abord discuté avec le capitaine Nichols qui l'avait fait venir depuis Marseille et l'avait connu jusqu'à son mariage. Geoffroy reste interloqué par cette nouvelle mais ne peut en apprendre plus du capitaine, étroitement surveillé par sa femme acariâtre et sa fille. C'est la patronne de l'hôtel de Tahiti, Tiare Johnson qui lui raconte comment, elle avait réussie à marier Strickland avec la jolie Ata qui en était très amoureuse. Strickland s'était donc marié et vivait heureux dans une maison isolée avec Ata dont il avait eu un bébé
C'est le docteur Coutras, venu rendre visite à Tiare, qui raconte à Geoffroy la triste fin de Strickland. Un jour que, fatigué, il passait par Taravao, Ata l'avait fait appeler pour voir son mari. Strickland n'avait pas hésité à lui révéler l'affreuse maladie qui le rongeait et que tous redoutaient de lui apprendre : Strickland avait la lèpre.
Ata resta encore deux ans auprès de lui en subissant l'opprobre des villageois qui craignait qu'elle contamine le ruisseau en lavant les vêtements de son mari. Quand Coutras était revenu voir Strickland, il avait senti dans sa cabane l'odeur caractéristique des lépreux en fin de vie mais avait été émerveillé par toutes les peintures magnifiques qui en ornaient les murs. Il avait découvert, Ata sanglotant sur la tombe de son mari fraichement enterré. Avant de partir, Ata avait brûlé la cabane de Strickland comme elle lui avait promis, détruisant les chefs-d'uvre dont son mari n'avait plus besoin puisqu'il s'était réalisé : il lui avait fallu devenir aveugle pour y voir enfin clair.
Charles Strickland est un personnage de fiction inventé par Somerset Maugham qui s'est un peu inspiré de la vie de Paul Gauguin. Comme celui-ci, Strickland tourne le dos à une vie rangée et stable pour vivre d'abord la bohème du peintre puis l'exil créatif à Tahiti. Il s'agit pourtant là du seul point commun entre Gauguin et Strickland. L'un est français, l'autre anglais. L'un est un peintre respecté de ses confrères et qui vend des toiles de son vivant, l'autre est un solitaire exilé qui ne vit que pour atteindre la réalisation de soi dans la peinture.
C'est sur le trajet moral du personnage qu'insiste Lewin et non sur le travail du peintre. Il ne montre ni le portait de Blanche ni les toiles de Strickland que celui-ci dans une scène pourtant assez longue montre à Geoffrey. Le cadrage est sciemment choisi pour ne rien dévoiler du travail de Strickland avant la séquence en couleur de la fin. Ce qui importe alors c'est bien davantage la réalisation totale du peintre en accord avec lui-même que les toiles elles-mêmes, plus maniérées que celles de Paul Gauguin. Emile Gauguin, le fils du peintre, interdit en effet à Lewin d'utiliser les tableaux de son père. Lewin demande donc à Doyla Goutman, célèbre peintre émigré russe, auteur de portraits de Charles Chaplin, Ingrid Bergman, Cary Grant, Paulette Godard, Clark gable et Gary Cooper, de peindre dans un style proche de celui de Gauguin les murs de la hutte de Strickland à Tahiti.
Jean-Luc Lacuve le 15/06/2012