Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Van Gogh

1991

Voir : Photogrammes, Les tableaux de Vincent, Les citations des impressionnsites

Avec: Jacques Dutronc (Van Gogh), Alexandra London (Marguerite Gachet), Gérard Sety (Gachet), Bernard Le Coq (Théo), Corinne Bourdon (Jo), Elsa Zylberstein (Cathy). 2h38.

Fin mai 1890, Vincent Van Gogh arrive à Auvers-sur-Oise pour y être soigné par le docteur Gachet. Il loge dans une pension se lie d'amitié avec un paysan et son fils un peu simplet. Il est régulièrement invité chez les Gachet où le docteur apprécie son travail et qui lui demande un portrait de sa fille Marguerite. Celle-ci n'apprécie pas son portrait face au piano mais ne tarde pas à tomber amoureuse de lui. De son côté, Vincent a retrouvé la bande de jeunes dandys bohèmes et de prostituées émancipées qu'il connut à saint Rémy dont la jolie Kithy.

Un dimanche, il retrouve Théo et sa femme Jo, qui viennent d'avoir un enfant pour le déjeuner chez le docteur Gachet. Ils se promènent au bord de l'Oise ; Jo fait part à Vincent de sa tristesse devant l'irritation croissante de Théo, qu'elle aime plus que jamais, face au quotidien. Vincent prend la défense de son frère trouvant insupportable d'être toujours à sa charge maintenant que Théo et Jo ont un enfant à élever. Par bravade, il simule un suicide en plongeant dans l'Oise.

Marguerite devient la maîtresse de Vincent. Celui-ci part voir son frère à paris. Théo essaie de placer les toiles de son frère parmi les peintres impressionnistes qu'il vend à grand peine n'étant pas soutenu par les propriétaires de la galerie. Cette situation irrite Vincent qui rentre le soir un peu ivre et s'en prend à mi-mots aux critiques présents chez son frère avant de laisser éclater sa colère devant Théo et Jo claquant la porte après avoir jeté le dîner par terre.

Un soir marguerite débarque chez eux d'Auvers s'inquiétant de n'avoir pas vu Vincent rentrer de Paris. Théo et elle parte le rechercher dans un estaminet décoré par Toulouse-Lautrec qui le fréquente assidûment. Vincent accepte l'amour de Marguerite puis la traite assez rudement puis de façon ambiguë en l'incitant à se laisser embrasser par une autre femme. Ce désordre de chanson de sexe d'amour et d'amitié retrouvent une unité fugitive pendant la marche que tous dansent au son de l'orchestre.

Au matin, Vincent et Marguerite rentrent à Auvers et font l'amour dans le train désert. Le visage de Vincent se crispe soudainement devant ce bonheur possible. Il revoit Kithy pour une tendre et joyeuse étreinte qui se disent-ils sera sans doute la dernière monnayée. Un matin, Vincent revient de peindre avec une balle dans le ventre. Les médecins appelés à son chevet le déclarent perdu et intransportable. Ils appellent Théo. Celui-ci se réconcilie avec son frère. Vincent meurt. La vie de l'auberge reprend. Marguerite porte le deuil. Sur un chemin, elle croise un jeune peintre, attiré par ce lieu qui a inspiré l'avant-garde de la peinture. Il demande si elle a connu Van Gogh. " C'était mon ami " lui répond-elle.

Le projet de Pialat en filmant une nouvelle biographie de Vincent van Gogh s'oppose très exactement à celui de Minnelli dans La vie passionnée de Vincent van Gogh. Il va s'agir de filmer le réel au sein d'une représentation hyper-codifiée alors que Minnelli filmait la peinture au sein d'une biographie hyper-codifiée.

Une réalité médiatisée par la peinture

Rien dans le film ne nous permet de décider si, oui ou non, Van Gogh est un grand peintre. Aucun moment de lyrisme dévoilant plein écran le tableau comme chez Minnelli afin de mettre en exergue la transfiguration de la réalité par le peintre. Pialat renonce à toute opposition romantique facile, et finalement pauvre parce que systématique, entre l'art et la vie. Aucun commentaire surplombant non plus comme chez Resnais qui vienne réaffirmer ce que nous savons aujourd'hui de la gloire posthume du peintre. Après le romantisme, c'est la transcendance que refuse Pialat : seule notre culture nous dicte une réponse quant à la qualité de la peinture de Vincent.

La peinture est pourtant ici omniprésente. Non seulement tous les tableaux importants de Van Gogh à Auvers sont représentés (voir : ici , hors le plus célèbre et ultime Champ de blé aux corbeaux). Mais le moindre élément extérieur est réglé par Pialat pour faire peinture. Ce sont les citations de Cézanne (les intérieurs de l'auberge proches des Joueurs de cartes) de Degas (Johanna nue dans le tub regardée par Théo), Renoir (les bords de la Marne, la guinguette) et quelques-unes de Van Gogh (à partir de Dutronc devant le champ de blé, mouvement de grue sur la perspective grandiose des cultures).

Comme le souligne Vincent Amiel, les moments d'intense émotion sont pourtant ceux où l'on sort des images traditionnelles pour offrir au spectateur quelque chose qui donne un autre sens. Lorsque l'on est dans un décalage des conventions qui ne peut servir que la réalité.

Il en est ainsi de la scène du plongeon de Van Gogh dans l'eau calme des bords de l'Oise. Nous sommes ici dans une scène de dimanche après-midi au bord de l'eau, une scène des plaisirs et des jours qu'ont si bien su saisir les impressionnistes prenant pour objets de leurs toiles les nouveaux modes de divertissement bourgeois liés eux-mêmes aux transports plus faciles par le train.

Ici, c'est la douleur incommensurable de l'artiste qui vient troubler l'eau calme des impressionnistes. Cet expressionnisme affirmé qui déforme les formes et les couleurs sera aussi celui du geste presque sacrilège de Pialat qui recouvre du bleu de l'infini le champ vert du tableau : La plaine d'Auvers avec ciel nuageux.

Cette volonté d'absolu parcourt le film depuis ces gestes décidés où, au premier plan du film, on voit la main de Pialat préparant le Champ de blé sous un ciel orageux. Le bleu occupe alors les trois quarts de la toile et que l'on verra à demi-cachée lors de la scène avec l'idiot puis à coté du chevalet de Vincent lorsqu'il s'attaque à cette toile de La plaine d'Auvers avec ciel nuageux..

Ce travail sur le bleu est d'autant plus affirmé que la séquence suit celle où le docteur Gachet affirmait en montrant une toile vierge non encore apprêtée, monochrome, que celle-ci pourrait être l'avenir de la peinture moderne.

Le réel de l'artiste soumis a la pression de la société

La perméabilité entre la réalité montrée dans le film et l'image d'avant dans la tête du spectateur qui définit la mise en scène de Pialat selon Vincent Amiel s'exprime aussi en effet dans la façon dont Vincent est surtout ici le représentant de tout artiste confronté à l'incompréhension sociale... à commencer par Pialat lui-même.

Ce n'est pas la folie qui hante Vincent. Certes, il joue avec les armes à feu et bloque parfois son visage de manière soudaine. Mais c'est un raisonnement lucide et ressassé qui le conduit au suicide. Ce que Artaud avait énoncé de manière intuitive, Van Gogh suicidé de la société, est maintenant établi de façon plus sure encore par les historiens d'art (voir : ici) tout autant que par les psychanalystes Vivan Forester). Cette solution du suicide pour soulager Théo et Joe qui ont maintenant un enfant est énoncée dans la séquence de la tentative de suicide burlesque sur les bords de l'Oise.

Van Gogh meurt de sa non-reconnaissance sociale. Van Gogh n'apparaît pas comme un mystique maudit mais comme un être dont on brime la liberté. Un être que l'on étouffe avec l'heure des repas, avec ses toiles encombrant la maison de Théo, avec l'exigence de fidélité à la réalité que lui commande l'idiot, avec le commentaire de la critique que lui inflige le docteur Gachet. Cette impuissance de la critique sera même redoublée par les propos que l'on sait être ceux de Pialat et qu'il met dans la bouche de Van Gogh

La mise en scène est constituée de grands blocs bruts qui ne s'inscrivent pas dans une progression logique vers la mort mais plutôt une sourde bataille un affrontement brutal qui un peu par accident conduit à la mort de Vincent. D 'où ces oppositions entre des scènes apaisées (Théo et Joe au Tub, discussions entre Cathy et Vincent) et ces débordements de colère (le retour de Vincent le soir pour le dîner à Paris) ou de désespoir. La plupart des grandes scènes sont construite sur cette opposition ainsi dans les scènes du déjeuner où affleure le grotesque, l'improvisation, l'ivresse à travers des chansons, des imitations des sautes de ton de toutes sortes. Les hommes sont des pantins burlesques (Gachet en sorcière chameaux, et Van-Gogh en Toulouse-Lautrec égrillard) alors que les femmes affirment leur volonté de vivre libre (cadrage sur les 4 femmes chantant Le temps des cerises) et que dans leurs visages fouillés en gros plans, Pialat capture leur puissance vitale.

La tristesse ne durera pas toujours

Dans A nos amours, Pialat, interprétant le père, citait la phrase : "La tristesse durera toujours" que Van Gogh aurait prononcée sur son lit de mort. "Je croyais, dit Pialat en s'adressant plus particulièrement au beau-frère de son fils, que Van Gogh parlait de lui, de sa vie triste, de sa misère, mais non : il voulait dire que la lutte durerait toujours. C'est vous qui êtes tristes ".

Emplie d'une énergie débordante, le film apparemment consacré à un artiste raconte tout autant que les deux derniers mois de sa vie à Auvers sur Oise, la transformation par Vincent de Marguerite Gachet.

La création d'un Van Gogh à la séduction ténébreuse dont la liberté sexuelle va davantage de pair avec une amitié lucide qu'avec un amour romanesque transforme la petite sotte bourgeoise qu'était Marguerite à son arrivée en femme accomplie. Les derniers mots qu'elle prononce : "C'était mon ami" renvoient aux derniers mots que prononçait John Mohume dans le film de Fritz Lang, Les contrebandiers de Moonfleet où le jeune garçon rendait hommage ainsi à son ami assassiné qui l'avait initié à l'amitié et la cruauté du monde. La musique lyrique qui clôt le film après que Marguerite retire sa voilette affirme aussi le côté joyeux et lyrique de ceux qui croient en la splendeur de l'art.

Ce monde abrupt et perméable entre vie et art qui doit s'instaurer, Pialat en donne une image dans la scène du cabaret, sursaut vital, dépense à la fois frénétique et mélancolique où se mêlent sexe, amitié, amour et initiation dans un grand tout fugitivement organique le temps d'une marche en hommage à la communauté réunie dans le Fort Apache de John Ford.

La communauté de Fort Apache reconstituée (voir : marche)

Jean-Luc Lacuve le 26/02/2008

Bibliographie :

Retour