Dans une colonie de vacances, Suzanne, quinze ans, joue On ne badine pas avec l'amour, se querelle avec son petit ami Luc et se donne à un Américain, quitte à le regretter le lendemain.
Dans l'appartement-atelier de fourreur, des scènes opposent Roger et Betty, ses parents. Roger décide de partir laissant Suzanne avec sa mère et son frère, Robert, encore sous son dipe, avec des tendances homosexuelles et des attitudes incestueuses. Suzanne se cherche sans succès un équilibre en passant d'un garçon à l'autre. Des altercations d'une grande violence l'opposent à une mère névropathe, que Robert soutient en battant sa sur.
Suzanne épouse Jean-Pierre, et Robert la sur de Jacques, critique célèbre dont il veut l'appui pour réussir sa carrière littéraire. Roger revient un soir pour faire visiter les locaux à un repreneur du bail. Il agresse verbalement la famille réunie pour un repas de fête et Betty le met sèchement à la porte.
Quelques mois plus tard, Suzanne vient dire au revoir à son père avant de partir pour San Diego avec Michel. En l'accompagnant à l'aéroport, Roger lui reproche d'abandonner son mari et lui dit qu'elle ne saura jamais aimer. Mais c'est quand même une affection profonde entre le père et la fille qui marque ce trajet. Dans l'avion, Suzanne, méditative, ne semble pas très sûre de l'avenir.
Pour ce film, qui se révélera le plus ample de sa carrière - en ce qu'il traite à la fois des différentes strates de la famille (enfance, adolescence, couple et séparation), abordées jusque là séparément, et de l'art (Musset, Van Gogh, Bonnard et Picasso)-, Maurice Pialat obtiendra sa première grande reconnaissance publique avec le césar du meilleur film et celui du meilleur espoir féminin pour Sandrine Bonnaire en 1984.
Le film doit son existence à la découverte de la jeune Sandrine Bonnaire par Maurice Pialat. Pour cela, il a fallu un extraordinaire concours de circonstances où les deux surs de Sandrine ont joué les bonnes fées. L'une répondit à une annonce de casting et envoya ses coordonnées à l'assistant de Pialat puis partit en vacances . L'autre décida d'y aller à sa place mais insista pour que Sandrine l'accompagne . Seul, le bout d'essai de Sandrine plut à Pialat qui pensa d'abord l'engager pour Les Meurtrières, un film que ne se fit pas. Il lui demanda alors de jouer dans Suzanne, seconde version des Filles du faubourg, film qui ne se fit pas non plus mais qui devint A nos amours.
Entre écriture et improvisation
L'enthousiasme de Pialat pour son actrice le conduisit après beaucoup d'hésitation à interpréter lui-même le rôle du père et pour cela à étoffer le scénario de deux séquences non prévues à la toute fin du film. Celle de leur première discussion était prévue. Elle amorce même la fiction principale du film ; le départ du père. Séquence prévue mais beaucoup plus longue qu'initialement minutée. Pialat et Sandrine improvisent, se répondent et Pialat trouve cette phrase anodine : "T'en as plus qu'une !" en regardant les fossettes des joues de Sandrine Bonnaire alors qu'elle rit d'une remarque. "Oui, je sais. Elle en avait marre elle aussi, elle est partie". Cette complicité acquise dans une répétition sera ensuite reprise pour élaborer cette longue séquence de discussion. La fossette reviendra lors de la dernière séquence entre le père et la fille. "- C'est la première fois que tu ne me repousse pas", "-non c'est la seconde. Tu te souviens " lui dit le père en désignant la fossette qui se creuse sur la joue de la jeune fille quand elle rit.
Cette improvisation, où l'attention à l'autre est mise en évidence s'oppose à celle, plus connue chez Pialat, basée sur le conflit et la tension. Pialat tournera ainsi pendant deux jours la scène d'anthologie où le père revient et déballe ses quatre vérités à chacun des invités du mariage. Ce n'est plus la fossette qui fera date mais la gifle donnée par Evelyne Kerr, excédée. Surpris Pialat repousse l'actrice qui se cogne la tête contre la table avant de mettre "son mari" à la porte.
D'un certain art de la lumière
A nos amours s'éloigne du réalisme où la seule psychologie expliquerait le parcours des personnages. Il le fait à la fois en magnifiant la sensualité de son actrice principale, en faisant exploser toute la tension qui s'exprime dans de longues séquences mais aussi en accordant à la lumière une importance particulière. Ainsi, les scènes dans la colonie jouent d'une opposition entre la lumière solaire du plein midi qui baigne Suzanne à la proue du navire et la lumière tamisée d'On ne badine pas avec l'amour, joué le soir tard. Au tout début du film, la frémissante histoire d'amour entre Luc et Suzanne est rendue plus émouvante encore par les rais de soleil qui viennent trouer les nuages et éclairer, obscurcir puis ré-éclairer les plans en épousant les atermoiements des jeunes gens.
Cette attention portée à la saisie de la lumière naturelle est celle d'un peintre (Pialat en est un avant d'être cinéaste). Elle se transforme en recherche d'une atmosphère poétique a avec la saisie du désarroi de Suzanne après son aventure avec l'Américain. Willy Kurent qui ne put faire qu'un bref passage sur le film, reconstitue une lumière bleue artificielle en nuit américaine dont Pialat parlera longtemps à tous ses autres chefs opérateurs. Très signifiants aussi sont les multiples contre-jours du film, photographiés par Jacques Loiseleux. Il y a celui du départ de Luc lors de la scène de rupture au retour à Paris sur le parvis des beaux-arts, celui qui saisit Suzanne lorsqu'elle vient chercher son père dans la ruelle obscure du garage. Et enfin celui qui saisit Roger, s'enfonçant dans le tunnel alors que sa fille s'en va vers San Diego. La lumière saisit la météorologie intérieure, solaire ou sombre, des personnages.
A nos amours pour combattre la tristesse
La tristesse n'est pas là où on l'attend comme Pialat l'exprime lui-même dans l'interprétation qu'il fait de la phrase "La tristesse durera toujours" que Van Gogh aurait prononcée sur son lit de mort. "Ça me frappait beaucoup cette phrase. Je pensais comme tout le monde. Je croyais que c'était triste d'être un type comme Van Gogh. Je crois qu'il a voulu dire que c'est les autres qui sont tristes. C'est vous qui êtes tristes. Tout ce vous faites, c'est triste..." dit Roger / Pialat en s'adressant plus particulièrement au beau-frère de son fils. Ceux qui sont tristes, ce sont ceux qui ont abandonné la lutte. Son fils qui a renoncé à travailler son talent au profit de manuvres pour obtenir la reconnaissance, le beau-frère critique qui a renoncé à la défense de l'artiste pour le plaisir facile de la polémique (laisser attribuer un 3/20). Et la mère qui a renoncé à être heureuse et vit enfermée dans son appartement. Le père a réussi, lui, juste à temps à partir et Suzanne continue elle aussi à chercher l'amour.
A nos Amours, le titre du film, résonne comme l'opposé
de la pièce de Musset On
ne badine pas avec l'amour. "Vous croyez pas qu'on puisse mourir
d'amour ? " demandait Suzanne au début du film en répétant
le rôle de Camille. Dans la séquence qu'elle joue le soir dans
sa colonie de vacances, Rosette s'est suicidée par désespoir
amoureux et Camille perd à jamais Perdican. Cette tragédie possible
plane ensuite sur le destin de Suzanne qui badine avec l'amour et ne prétend
pas plus à l'amour unique qu'a ce sérieux amoureux que voudrait
lui voir jouer son père.
L'initiation amoureuse de Suzanne est-elle pour autant un échec ? Certes, elle a quitté les deux garçons qui semblaient l'aimer réellement et à la fin du film, en guise de dénouement, elle s'en va pour un improbable voyage à San Diego sous les reproches de son père qui lui a fait remarquer qu'elle n'est pas aimante.
Mais ni Luc, l'amoureux transi n'appréciant la sexualité que médiatisée par le dessin (la scène qui se déroule aux beaux-arts) ni Jean-Pierre, son trop jeune mari, n'étaient sans doute faits pour elle. Tôt ou tard, le mariage aurait probablement abouti au même besoin de fuite qu'éprouve, bien tard, son père. Le choix de Michel s'avère sans aucun doute meilleur. Le jeune homme est, au début du film, le seul qui s'intéresse à On ne badine pas avec l'amour en donnant des indications sur le phrasé qui convient. Sandrine le drague ostensiblement en lui montrant la reproduction d'un nu de Bonnard qui le trouble même si, ce soir là, accompagné d'une amie, il ne reste pas dîner. Sa complicité avec Suzanne le porte à séduire celle-ci le jour de son mariage. En s'embarquant avec Michel, Suzanne vit d'amour et c'est heureux.
Vers la modernité des années 1990 et 2000.
Avec A nos amours, Maurice Pialat rattrape le succès qui l'avait fui à l'époque de la Nouvelle vague et dont il aurait bien aimé faire partie 25 ans auparavant. Mais plus encore, il devient aussi le porte-étendard de la jeune génération des années 1990. Cédric Kahn dirigeant Fabienne Babe dans Bar des rails (1992), Xavier Beauvois dirigeant Chiara Mastroianni dans N'oublie pas que tu vas mourir (1995) chercheront une complicité avec leur actrice qui doit bien davantage à Pialat qu'à Claude Chabrol, François Truffaut ou Jean-Luc Godard.
L'attention à ce qui surgit lors de la prise - sensibilité aux ressacs de la vie et aux moments de dépression, porosité à ce qui vibre dans les relations entre les gens - et la construction dramatique en grands blocs de séquences sont le propre de Pialat et de ces cinéastes. Elles seront aussi revendiquées par des cinéastes issus de l'immigration, Abdellatif Kechiche (L'esquive, 2003) ou Rabah Ameur-Zaïmeche (Bled number one, 2006). Ces cinéastes qui, à partir de 2001, vont porter un regard neuf sur la société contemporaine s'inscrivent dans la lignée de Maurice Pialat , un cinéma de recherche où la vérité se fait jour lors du tournage.
Jean-Luc Lacuve le 10/05/2011.
Bibliographie :