Médiocre séminariste « récupéré » par l'abbé Menou-Segrais, curé doyen de Campagne, un village du Nord, l'abbé Donissan doute de ses capacités à assumer sa vocation. Habité par une quête d'absolu, hanté par le mal et l'échec de sa mission, il s'inflige des mortifications et ne parvient pas à établir le contact avec les paroissiens.
Mouchette, seize ans, maîtresse et enceinte du marquis de Cardignan ruiné, le tue d'un coup de fusil, peut-être accidentellement. Elle cherche vainement secours auprès de son autre amant, le médecin et député Gallet, surtout soucieux de sa réputation et du maintien de son foyer.
Alors qu'il marche dans la nuit vers Etaples, Donissan rencontre un maquignon en qui il reconnaît Satan.
Confronté à Mouchette, Donissan, qui a « vu » son crime, l'accable avec sans doute le souci de la ramener à Dieu et de sauver son âme, mais il ne parvient qu'à la pousser au suicide. Donissan s'empare du corps ensanglanté de Mouchette qu'il vient déposer devant l'autel.
À la suite du scandale causé par le geste de Donissan, l'évêque l'envoie à la trappe de Tortefontaine où il devra rester « jusqu'à sa guérison ». Donissan est ensuite nommé curé du hameau de Lumbres où ses fidèles le considèrent comme un saint.
On lui demande de ressusciter un enfant, ce qu'il réussit après avoir offert son salut en échange. Usé par la vie austère qu'il s'impose, harassé de fatigue, Donissan meurt seul dans son confessionnal où Menou-Segrais, qui ne lui a jamais ménagé ses conseils et son amitié, le découvre et lui ferme les yeux.
Maurice Pialat, au sommet de sa popularité après Police, songe à un film qui pourrait lui rapporter la palme d'or. Il connaît bien Bernanos et une adaptation serait un retour aux souvenirs heureux du tournage de La maison des bois. Mais ici les incidents vont s'accumuler tant est si bien que le film va devenir emblématique de la mise en scène de Pialat. Le roman de Bernanos, écrit en 1926, est une uvre de combat contre une chrétienté assagie qui n'ose plus même prononcer les noms de Dieu et de Satan. Le film de Pialat une uvre de combat contre un milieu du cinéma qui n'ose plus rien n'exiger de la mise en scène ni forcer les acteurs à donner plus que leur image. C'est une uvre de combat pour un cinéma moderne où s'affrontent de grands blocs de séquences dans lesquels le metteur en scène exerce sa pleine maîtrise en laissant ses acteurs aller au bout d'eux-mêmes : Sandrine Bonnaire jusqu'à la blancheur hystérique, Gérard Depardieu jusqu'à l'épuisement du corps.
Adapter à la hache
Révéler la présence du mal et de la grâce n'est pas un sujet très moderne mais Thérèse (Alain Cavalier,1986) a été primé à Cannes avant de connaître un large succès public. Trois versions du scénario sont écrites par Sylvie Danton même si, au générique, c'est Pialat, qui est crédité de l'adaptation.
Pialat simplifie le roman en éliminant classiquement certains épisodes et personnages. Il se dispense des deux premiers chapitres du roman et des cinq derniers faisant ainsi disparaître les personnages du père de Mouchette et du romancier San-Marin. Il respecte néanmoins la succession des sept principales péripéties dramatiques : meurtre de Cadignan, refus de Gallet, rencontre avec le diable, rencontre avec Mouchette, suicide de Mouchette, Miracle de l'enfant ressuscité, mort de Donissan. A l'exception d'une courte scène, toutes les autres sont marquées par la présence de Menou-Segrais, rôle que s'est attribué Pialat et qui ponctue ainsi le film de sa présence qui va bien au-delà de celle qu'a le personnage dans le roman. De façon exemplaire, c'est par le regard de Menou-Segrais sur la tonsure de Donissan que s'ouvre le film et c'est aussi Menou-Pialat qui ferme les yeux de Donissan.
L'histoire de Mouchette qui ouvre le roman ne commence ainsi qu'après dix minutes. Elle est initiée par un regard de Donissan qui semble voir Mouchette arriver chez Cadignan. Ce raccord regard joue un peu le rôle des flashes forward qui avaient tant désarçonné les lecteurs de Bernanos qui désigne très tôt Donissan comme le futur prêtre de Lumbres, le futur saint de Lumbres. Ici, c'est aussi très tôt que le don de la vision intérieure est accordé à Donissan qui "voit" Mouchette.
Ce rapprochement brutal de ces deux séquences sera poursuivi tout au long du film qui représente ainsi une différence notable avec le roman dont le rythme est plus varié : les quatre chapitres de la première partie sont deux fois plus longs que les quatre du prologue eux même deux fois plus longs que les quinze de la seconde partie où la séquence du miracle notamment est racontée de façon hachée et fragmentaire au sein de ses dix premiers chapitres. De même, la longue agonie de Mouchette avait été racontée par une lettre où il est dit que ce n'est que dans ses derniers instants qu'elle est portée par le prêtre devant l'hôtel. Pialat au contraire met face à face le suicide de Mouchette et le miracle de l'enfant Havret : le corps soulevé de l'enfant fait écho au corps de Mouchette posé devant l'autel.
Au total, de ce roman particulièrement haché, des seize chapitres adaptés sur les vingt-trois du roman, Pialat bâtit son film sur quinze grandes séquences : Donissan, vicaire chez Menou-Segrais (10'40'), Mouchette chez Cadignan puis lavant ses chaussures (9'), Mouchette chez Gallet (11'), Donissan avec Menou-Segrais (2'), La rencontre du Diable (11'), Donissan Mouchette (9'), L'aveu à Menou-Segrais (2'30), Suicide de Mouchette (2'30), Mouchette portée sur l'autel (3'40), Les adieux à Menou-Segrais (5'40), A Lumbres (2'20), le miracle de l'enfant Havret (11'), Menou-Segrais à Lumbres (1'50), Agonie de Donissan (4,50'), Menou-Segrais ferme les yeux de Donissan (1'40) (Minutage des 1h43 soit 1h30 sur DVD, hors génériques).
Tourner, ne plus tourner et tourner encore
Mais rien de ceci n'est prévu au départ du tournage où vont s'accumuler les incidents. Trois opérateurs vont se succéder sur le plateau. Si Depardieu et Sandrine Bonaire sont de l'aventure dès le départ, Pialat trouve sur place des non professionnels pour interpréter la mère de Mouchette et la mère Havret. Pour le personnage de Cadignan, il a recourt à Alain Artur, le régisseur général du film. La scène avec le docteur Gallet est d'abord tournée avec Claude Berri. Puis Jean-François Stévenin est appelé avant que Pialat ne se décide à la tourner avec son monteur, Yan Dedet, le lendemain de la fête de la fin du tournage. Enfin Pialat souffre d'hypertension et, lors d'une crise, il reste reclus dans sa chambre pendant près d'une semaine, interrompant le tournage d'autant.
Dedet a sauvé une première fois le film en montant la séquence de la rencontre du diable de façon convaincante alors que son tournage, commencé de jour en nuit américaine, s'était prolongé tard avec un éclairage de nuit, retardé par Depardieu qui s'en était soudainement pris violemment à son partenaire.
Bernanos contrebalance en effet la dimension mystico-fantastique de son roman par une affirmation renouvelée de la véracité des faits rapportés par de multiples témoins souvent au moyen de lettres. Pialat n'a pas besoin de ces précautions car, excepté cette séquence du miracle, exceptionnelle par sa durée et sa mise en scène, il gomme les aspects les plus fantastiques du roman. Le maquignon ne prend jamais l'aspect du diable, ni ne fait de tours. La vision fantastique par Donissan de sa propre personne dédoublée n'est pas visualisée par Pialat.
C'est dans la réference au cinéma des Lumière que Pialat parvient à exprimer un réalisme archaïque. Ainsi lorsque l'abbé abandonne la ville, assez visiblement reconstituée en studio, et se dirige vers la campagne, on aperçoit en arrière plan un attelage qui rappelle L'attelage Vautier des frères Lumière
L'abbé va voir passer l'attelage. Le son réel s'estompe, la musique s'élève et l'on plonge alors dans le fantastique.
Même s'il refuse les conventions, Pialat utilise dans son dispositif une perception de la réalité déjà médiatisée par la culture qui facilite l'accès à une réalité intensifiée. Il y a une force d'addition, d'accumulation du spirituel sur le corporel, évidente par l'usage de la musique lorsque Donissan passe aux travers des champs.
Au cours de la nuit, Depardieu rencontre le Diable au milieu de la représentation la plus réaliste. C'est le moment où la réalité tangue où les éléments réalistes se détraquent.
Dans la séquence du miracle, le spirituel jaillit du corps mort.
Harassé par l'effort, Donissan reprend vie en s'écroulant à terre :
La séquence se conclut par la référence à L'Angelus de Millet où la spiritualité passe au travers de corps quelconques. Le paysage dans le film est à la fois vrai et en même temps relié à une représentation due à un regard socialisé par le célèbre tableau.
On notera que Pialat utilise, dans le plan qui suit Donissan se relevant, une mauvaise reproduction du tableau qui se trouve chez lui où l'attend sa bonne. Cette mauvaise reproduction a l'avantage d'être beaucoup plus proche des couleurs de la séquence précédente que celles du tableau de Millet.
Couronnement
Sous le soleil de Satan est en compétition pour la palme d'or du 40e festival de Cannes. Les ailes du désir de Wenders, Yeelen de Cissé, La famille de Scola ou Les yeux noirs de Mikhalkov sont aussi en lice avec de fortes chances de succès.
La présentation du film de Pialat à la presse le matin même de la projection officielle est catastrophique. Durant celle-ci, l'accueil est timide alors que la presse quotidienne du lendemain est, dans l'ensemble, favorable.
Lors de la cérémonie de clôture, le film de Mikhalkov
ne remporte qu'un prix d'interprétation car, dans le jury, Elem Klimov
s'est opposé farouchement à ce que son compatriote soit davantage
récompensé. Yves Montand, président du jury, a alors
décidé d'attribuer la première palme d'or française
depuis vingt et un an à Pialat. Décontenancé par ce choix,
une partie du public siffle cette récompense. " Si vous ne m'aimez
pas, sachez que je ne vous aime pas non plus " leur jette à la
face Pialat qui, du même élan, lève le poing en signe
de victoire. Seuls les esprits malveillants y auront vu un bras d'honneur.
Jean-Luc Lacuve le 26/11/2011.
Bibliographie :