9h30 samedi : Vincent Amiel appelle les stagiaires
à finir la pause café pour commencer le temps d'analyse
|
I° Un réalisme qui accepte l'art du faux
Pialat se situe dans la tradition réaliste qui accepte de faire du faux en parlant du vrai. Il parle de choses ordinaires mais il faut que le spectateur les reconnaisse au sein d'une représentation commune. Il se revendique de la tradition Lumière et Renoirienne du réalisme. Il y a bien des captations immédiates mais filtrées par des représentations culturelles, sociales et mentales. La représentation de la réalité est déjà socialisée, passée aux cribles d'une certaine culture impressionniste. Il y a une recherche d'une saisie brute de la réalité au travers d'images, de reconstitutions déjà acculturées.
Le cinéma doit rendre compte du réel. Mais, chez Maurice Pialat, la vérité du monde se fait au travers du mensonge de l'art. Les cinéastes de la Nouvelle Vague qui ont été plus ou moins des compagnons de Pialat ont fait subir au réalisme de Bazin des changements considérables. L' intervention de la réalité se fait jusque dans la projection des films par des adresses au spectateur.
Pialat rafuse l'effet de signature du cinéaste dans son film. Le fait de faire voir le montage ou le rapport de l'acteur au cinéaste. Le réalisme prime et il refuse de rendre sensible pour le spectateur l'écriture cinématographique. Il est ainsi très éloigné de l'art du faux chez Godard, celui d'Une femme est une femme, de sa destruction de la transparence du réalisme pour introduire des éléments d'artifices.
Pialat se situe ainsi dans un entre-deux d'un réalisme brut et d'un réalisme avec brisure de la transparence. Chez lui, il y a la saisie d'une réalité de l'acteur et non de la performance. La réalité brute consiste à considérer autant l'acteur que le personnage. Il va garder des accidents de tournage. Il y a une intrusion d'éléments véridiques dans le simulacre. Il faut qu'il puisse y avoir des éclats de vie captés au sein du simulacre.
Dans L'enfance nue (1968), et Nous ne vieillirons pas ensemble (1972), Pialat est resté dans la vision traditionnelle du réalisme. Dans ces deux films on retrouve donc des morceaux de réalité et en même temps, il refuse de prendre cette signature de l'auteur. Chez Pialat il y a un mélange de néo-réalisme et de nouvelle vague tout en restant dans la transparence du réalisme poétique français. Il est à contre-courant. Il utilise cette captation du réel et refuse la signature. Il y a chez Pialat, un côté traditionnel et un côté novateur. Il y très peu de cinéastes qui auront ce culot d'aller vers le vrai tout en utilisant le réalisme traditionnel. Pialat avait tout de même du mal à se situer vis-à-vis du réalisme.
Ce n'est que vers les années 1980 avec notamment la sortie de son film A nos amours que les professionnels du milieu se sont dit qu'il pourrait bien y avoir un héritage Pialat. Pour un cinéaste comme Desplechin, Maurice Pialat a été le véritable passeur entre le cinéma classique et le cinéma moderne. Pialat est au cur de l'existence quotidienne. Ce qui l'intéresse ce n'est pas le récit mais c'est un souci existentiel, c'est la sensation du présent. Dans Nous ne vieillirons pas ensemble nous assistons justement à une suite de moments présents. Ce qui est au cur de la pensée de Pialat c'est le présent et le personnage. Ce qui l'éprouve dans son rapport aux objets c'est le réel de la matière, du quotidien. On peut remarquer également cela dans le cinéma de Stevenin. Le réalisme de Pialat est un réalisme de l'instant senti. Il y a un souci d'enlever de la force à l'histoire, c'est-à-dire un souci de donner de la force au moment. L'écriture d'un fragment se fait dans l'optique d'un avant et d'un après. Pialat va donner une force tactile à ce fragment. Pialat parle de l'Homme et de l'individu dans son élément matériel.
La dimension fantastique du réalisme
Chez Pialat, il y a une dimension fantastique du réalisme. Rien ne passe par le langage, ce qui passe par le langage c'est la voix. A force d'être dans le concret du physique, il fait sourde cette matérialité. C'est de l'ordre d'une autre dimension existentielle : il va chercher cela chez Lumière.
" Je trouve que les films Lumières c'est du fantastique. Ils montrent la vie comme nous ne l'avions jamais vus ". C'est donc l'avènement d'un autre monde.Au cours du réel le plus quelconque apparaissent des moments fantastiques.
Vue Lumière : La petite fille et le chat dans laquelle lechat est renvoyé dans le champ par una sitantde l'opérateur et qui d efaçon imprévue aussi est très agressif vis àvis de la petite fille.
Vue Lumière : L'attelage Vautier , à la fois saisie de la perspective de l'attelage et vie grouillante tout autour
Analyse de Sous le soleil de Satan.
C'est un film dans la grande tradition réaliste avec une reconstitution des décors et une adapattion d'une oeuvre littéraire. Certains lui ont d'ailleurs reproché cette proximité avec le cinéma de qualité française. La référence à L'attelage Vautier des frères Lumière exprime toutefois un réalisme plus archaïque proche du fantastique. L'abbé va voir passer l'attage. Le son réel, s'estompe, la musique s'élève et l'on plonge alors dans le fantastique.
un réalisme originel pour baculer dans le fantastique
|
Au cours de la nuit, Depardieu va en effet rencontrer le Diable au milieu de la représentation la plus réaliste. C'est le moment où la réalité tangue où les éléments réalistes se détraquent. Même s'il refuse les conventions, Pialat utilise dans son dispositif une perception de la réalité déjà médiatisée par la culture qui facilite l'accès à une réalité intensifiée. Il y a une force d'addition, d'accumulation chez Pialat. C'est d'abord l'usage de la musique, lorsque Donissan passe aux travers des champs. C'est ensuite la référence au réalisme de Millet où la spiritualité passe au travers de corps quelconques. Le paysage dans le film est à la fois vrai et en même temps relié à une représentation due à un regard socialisé : le célèbre tableau de L'Angelus.
Il y a bien là une immédiateté du cinéma des corps présente chez Cassavetes que refuse Pialat. Pialat est un cinéaste où la cause du corps est très médiatisée et rejoint le symbolique. Comme une cause du corps qui passerait par une course vers l'image. L'uvre est aussi du côté du symbolique.Il y a une force de l'accumulation chez lui. Les choses se font par addition chez lui. On peut parler d'énergies contradictoires. L'aspect physique des acteurs contaminent les plans.
Pour cette seule adaption dans son oeuvre, Pialat va donc bien chercher chez Bernanos la matière qu'il lui fallait : la confrontation du spirituel et des corps.
Analyse du troisième épisode de La maison des bois.
Le film raconte l'histoire d'enfants en pension chez un garde forestier durant la guerre de 14-18. C'est un film en six épisodes tournés pour l'ORTF. C'est un film plus naturaliste que réaliste. C'est un film qui implicitement fait référence à Renoir. La nature apparaît comme un Eden, un paradis dont on sait qu'il est déjà relativement artificiel.
La scène du pique-nique fait référence à celle de Une partie de campagne de Renoir. Il y a une sensualité de la nature qui conduit à un développement des sens, de la perception, des pulsions. Le réel vécu par les personnages se double d'une réalité construite par une conscience, une mémoire. Le pique-nique plonge dans des références picturales et cinématographiques pour en redoubler la signification.
Analyse du suicide burlesque dans Van Gogh
Dans ce film, chaque geste est de l'ordre de la lutte de la représentation quotidienne. On est toujours entre le vrai et le faux. Pour ce film, nous pouvons parler de représentations artistiques et naturelles. Cette dernière se creuse pour laisser place à un acte fantastique. Il ne s'agit pas seulement de saisir le geste, d'enregistrer l'accident mais de mêler à cela l'histoire des représentations dans laquelle il se place (cinéma, peinture ) puis cette dimension fantastique lors de la scène où il se jette à l'eau. C'est un plongeon qui vient troubler l'eau des impressionnistes.
L'lément extérieur est réglé par Pialat pour faire peinture et l''étrange surgit au milieu de la nature. On est dans un décalage des conventions qui ne peut servir que la réalité. L'artiste fait atteindre la vérité des choses en sortant des images traditionnelles et en offrant à son interlocuteur quelque chose qui donne un autre sens. Ce qui est à l'uvre chez Pialat c'est une étrangeté de la représentation qui conduit le spectateur à se dire :"C'est bien la réalité mais je ne l'ai jamais vu comme cela ".
II° La poétique de Pialat : le débordement et la preméabilité
Tout déborde chez Pialat. Il n'y a aucune individualité contenue par l'écriture d'un personnage. Il y a toujours du débordement. Les personnages sont habités par une force qui les dépasse. Ils sont débordés par des forces extérieures : pour Van Gogh c'est le souci créateur. Pour Jean Yanne c'est quelque chose qu'il ne peut pas maîtriser. Pialat prend en compte des personnages qu'on ne peut pas clore.
La perméabilité est la façon de rendre compte d'une force qui déborde le personnage et qui doit s'exercer sur son extérieur. Pialat fait en sorte que tout son cinéma soit perméable. Tout est poreux chez lui. Tout est susceptible de laisser passer de l'énergie. Il est à la recherche d'élément : il laisse passer des voix, des mouvements, une énergie débordante, cette puissance de contaminer son entourage. Il y a une écriture capable de dépasser l'activité consciente du personnage qui influe sur le monde.
Le travail avec les acteurs
Son travail avec les acteurs est très singulier. Il a travaillé avec deux types d'acteurs : des professionnels et des amateurs auxquels on va confier un espace qui n'est pas le leur ou il faut les accompagner. On va donc avoir de l'improvisation préparée, elle est amenée de telle manière que les surprises sont cadrées. Tout est fait pour que l'énergie arrive au bon moment. Il faut pouvoir dans le même mouvement enregistrer et se préparer. Il n'y a pas de "clap" de départ chez lui. "Au cinéma, il n'y a pas de rideau qui se lève". disait-il.
On va donc avoir à faire à des scènes à moitié captées, simulées, travaillées comme la scène de la fossette dans A nos amours. Dans ce même film, la scène du repas final est très découpée, ce qui prouve qu'il y a eut préparation technique. Il y avait chez lui cette obsession de ne pas paraître "idiot". Il voulait faire des films irréprochables. L'improvisation chez Pialat est à prendre avec des pincettes.
L'enfance nue (Scènes avec les grands-parents).
C'est son premier film. Les enfants sont des acteurs, ils ne jouent pas leurs rôles mais les grands-parents oui. Extraordinaire présence du grand-père qui incarne ici la figure du père omnrésente chez Pialat jusqu'au Garçu.
Le garçu (Scène du bar)
Ce film, qui porte le surnom du père de Maurice Pialat est un film sur Antoine, le fils du cinéaste. C'est un film sur la relation filiale. Il utilise son fils dans la fraîcheur enfantine. Antoine est un personnage de film et un personnage de la vie courante. Il ne réagit pas comme l'aurait voulu son père. On assiste dans ce film à un mix de mise en scène. C'est-à-dire qu'il y a un mélange de scènes captées et de plans traditionnels. Il y a un passage naturel entre la vie et la scène et cette suppression de cadres fixes.
Le cadre
C'est une des caractéristiques du cinéma de Pialat : c'est un grand cinéma de la mobilité. Le cadre coupe les actions, les personnages. C'est une caméra au service du personnage. Cette improvisation est relative car il faut faire le point. Il y a certes une inventivité avant le tournage qui se répète lors de l'enregistrement. L'acteur est dans une relative activité du moment. Il y a un espace qui s'ouvre. Il faut proposer aux spectateurs des idées qui vont au-delà de l'espace. Ce cadre est traversé par le mouvement des corps. Le cadre est un endroit que l'on traverse facilement. Les forces traversent l'écran sans qu'elles existent par l'existence de l'écran. On assiste également la coupe d'élément important avec le bord du cadre (Exemple de Van Gogh avec la prostituée). C'est un clin d'il à l'impressionniste. Pour le spectateur, le champ continue au-delà du cadre. Le monde est là derrière. Il y a un potentiel du derrière : il y a un cadre, une image, le monde réel. Il y a une accessibilité du monde du cinéma.
Le montage
Il opère la même chose que le cadre (à partir de Loulou). Le "cut" intervient rarement. On va laisser la situation un peu trop longtemps ou l'on va couper un trop vite. On laisse au spectateur le soin de ce qui va se passer après. Le propre de la dramaturgie c'est d'utilisait toute l'énergie. Il coupe tellement tôt par moment que ça ne produit que du débordement. Nous sommes soumis à une autre force. Il y a cette façon de laisser déborder au-delà du "cut", du plan. Il y a une corrélation entre la manière de cadrer et de montrer. Les choses se dispersent dans l'espace et la durée.
Police (Fin du film)
C'est un plan rapproché sur un regard perdu qui ne veut rien dire. Il laisse le spectateur dans un état de flottement. ce plan avait été tourné pour être le contre-champ sur le départde la bonne avec laquelle Mangin allait coucher vers la sallede bain. C'est le véritable montage moderne au sens strict du terme. On rajoute une indétermination de sens. On est dans une perméabilité totale : on est dans la dispersion absolue. Van Gogh et A nos amours portent aussi ces effets de montage.
Il y a un travail sur la juxtaposition des scènes, des plans. Le jeu entre les scènes c'est ce qui fait cette charge d'énergie.
Pialat et Truffaut traitent l'enfance de manière assea sembalble dans Les 400 coups et L'enfance nue. "Ce que j'ai pris chez Truffaut a été transformé par Pialat" dira ainsi Desplechin. Pialat permet à la génération qui le suit de faire du cinéma classique sans être un cinéma rejeté par la communauté cinéphile. "Nous ne vieillirons pas ensemble c'est La maman et la putain réussi" dira ainsi Pialat avec provocation.
Il y avait chez lui, une volonté de faire un cinéma populaire mais qui imprime sa marque de metteur en scène. Nous ne sommes pas dans la captation.
Analyse de Van Gogh
Ce à quoi s'attache Pialat, c'est au rapport de Van Gogh avec le monde. Ce qui importe ce n'est pas tant le peintre sur sa fin de vie mais ce que nous avons trop vu de lui. Pialat ne nous montre pas Van Gogh représentant le monde. C'est le film le plus autobiographique. L'autobiographie du créateur c'est ce film. On retrouve de petits détails de la vie de Pialat. La main du peintre c'est la main du créateur. On retrouve ce rapport au monde qu'a Pialat : il parle du quotidien, de l'argent etc Ce qui est important c'est ce qui est en creux. Il y a du temps là où, dans la plupart des films de Pialat, il n'y en a pas. Le film évolue d'une sorte de joyeuse sérénité à une aigreur marquante. C'est un film sur ce que laissent les créateurs au monde.
Certaines scènes, coupées au montage, représentaient des tableaux célèbres. C'est un film sur la façon dont les autres ont représenté le monde. Au fur et à mesure que Pialat avance, il en veut de plus en plus à Theo. Il y a cette façon de rompre les scènes, les ambiances.
Dans la scène du tableau de Marguerite, il y a deux espaces. Celui de la pièce avec le piano et celui du dehors lorsque Van Gogh peint. La fenêtre joue le rôle d'un sur-cadrage qui sépare les deux protagonistes.
La séquence du bordel avec son désordre organisé pourrait être un petit film de Pialat. Le chaos des scènes bruttes s'organise dans une harmonie qui exhlulte dans la scène de la marche, réfèrence à Fort Apache de John Ford.
voir :
marche
|
voir : grande
marche
|
Dans le film, il n'y a aucun personnage féminin central mais quatre figures féminines importantes qui relient Van Gogh au reste de l'humanité. Pialat aime les contradictions. Rien ne doit être pris dans une narration explicative.
A la fin, la caméra ne s'intéresse plus à Van Gogh qui meurt seul recroquevillé dans un coin du cadre. Marguerite sort du monde de Van Gogh et trouve une autonomie.
La dernière réplique du film "C'était mon ami" est une référence au film de Fritz Lang, Les contrebandiers de Moonfleet où John Mohume rendait hommage à son ami assasiné qui l'avait initié à l'amitié et la cruauté du monde.
Compte-rendu : Anthony Boscher et Jean-Luc Lacuve