Romanesque
Rarement au cinéma une année fut plus romanesque que 2004. Les romans de Enrique (La mauvaise éducation) de Nora (Rois et reine) d'Edward Bloom (Big Fish) de Chow Mo-wan (2046) du père et du fils (Père, fils) de Sarah et Pascal (Le pont des arts) ont en commun de bouleverser la chronologie, de rendre parfois indiscernable le rêve et la réalité.
Ces films tentent de décrire des personnages aux multiples facettes, à la densité psychologique têtue et obstinée, irréductible au bon mot. Ils relèvent du cinéma d'auteur parce que, littéralement, ils prennent la tête.
L'attention consciente du spectateur est mobilisée par la reconstitution de l'intrigue romanesque. Le champ libre est alors laissé à l'inconscient qui se trouve affecté par les plans sublimes ou cruels dont le metteur en scène le bombarde pour le laisser ému, pantois, surpris et interrogatif à la fin du film.
Académisme
Le public familial, celui le plus à même de remplir les salles en réunissant les générations, n'a pas la même exigence. Il souhaite juste être distrait du quotidien par ce qu'il attend du cinéma : une narration classique si possible chargée d'un grand sujet, d'un grand décor (Un long dimanche de fiançailles ; 4 millions de spectateurs) ou d'une cause consensuelle (Les choristes ; 8,5 millions). Les enfants ont préféré Shrek 2 (7,1 millions) ou Harry Potter 3 (7,1 millions) et les adolescents Spider man 2 (5,2 millions).
Si les pionniers du cinéma ont pu penser que le cinéma allait prendre le relais de la littérature, enthousiasmer les foules et changer le monde, force est de constater que le plus grand nombre est de plus en plus mobilisé par des films à l'idéologie ou la morale soporifiques. Pire encore, l'académisme ou l'effet de signature (les trognes et les éclairages de Jeunet) sont donnés en pâture à un public qu'on n'incite guère à rechercher au cinéma une pensée, une façon de voir le monde ou une rencontre avec un personnage qu'il ne connaît pas.
Car ne nous trompons pas, les films les plus romanesques de 2004 sont aussi les plus complexes (parmi eux, qui va gagner la palme du plus grand nombre de flash-back ?) parce qu'il n'est pas simple d'interroger un personnage qui cherche à accomplir un parcours singulier échappant, lorsqu'ils sont optimistes aux traumatisme du viol, de la mort du père et du mari, au mépris du fils ou devant accepter, lorsqu'ils sont plus tragiques, la perte de l'amour ou l'écoulement du temps.
Au centre
La narration classique n'a-t-elle que l'académisme pour seul avenir ? Sans doute pas comme le prouvent les réussites de L'esquive, Ordo, Lost in translation, La Demoiselle d'honneur ou Nobody knows et Feux rouges. Encore faut-il alors que le metteur en scène sache faire surgir le mystère ou la grâce en dehors des mécanismes huilés de l'intrigue.
Modernité et classicisme peuvent enfin être réunis comme le prouve les derniers opus de Godard (Notre musique) et Bergman (Saraband). L'extraordinaire réussite de ces films éclipse d'autres films de grands metteurs en scène, de mon point de vue assez décevants : Triple Agent où la confrontation document-fiction n'apporte rien de bien intéressant ; Les temps qui changent, trop laborieuse histoire d'amour ; Kill bill 2 qui résoud platement le thème de la sortie de la vengeance ou Clean, trop moraliste.
L'air du document
Comme l'an passé, le documentaire fait un retour remarqué. L'inventif Tarantino a bien eu raison d'attribuer la palme d'or à Fahrenheit 9/11. Moore, comme à son habitude, a filmé là une comédie sociale, noire et désespérée. Un grand film politique où la guerre en Irak sert de point d'appui pour démontrer comment on convainc les plus pauvres d'adhérer à une idéologie qui ne leur réserve aucune place, si ce n'est celle du mort. Connaissant d'expérience la futilité du discours (qu'il soit moral ou politique), Moore cherche à frapper partout, désespérément, avec une invention permanente dans les dispositifs employés. Noire, tragique, hilarante et désespérée la comédie sociale de Fahrenheit 9/11 est à mille lieux du bon reportage télévisé, morne (succession d'hommes troncs) et bien documenté de William Karel (Le monde selon Bush).
Plus proche de l'art documentaire, avec une subjectivité moins démonstrative et une attention plus marquée pour laisser advenir la réalité, six autres films ont marqué cette année : Dix sept ans, Tarnation, S-21, Une visite au Louvre, Basse-Normandie et 10ème chambre.
Adolescence
Le thème de l'adolescence a encore dominé cette année avec des films hargneux et attentifs qui n'ont que l'apparence de films déstructurés : Gerry, Le café lumière, A tout de suite ou Spider man 2. Ceux qui préfèrent le monde de l'enfance avec sa chaleur et sa beauté rêveuse l'auront retrouvé avec Les aventures et Kiki la petite sorcière. Signalons enfin Inside Job, film cerveau peut-être trop subtil. Les forums Internet montrent que les trois quarts de ses spectateurs n'ont pas vu que la seconde partie du film se passait dans la tête du personnage.
Top 50
1 La mauvaise éducation
de Pedro Almodovar
2 Rois et reine de Arnaud
Desplechin
3 Big fish de Tim Burton
4 Notre musique de Jean-Luc
Godard
5 Saraband d'Ingmar Bergman
6 2046 de Wong Kar-Wai
7 A l'ouest des rails de
Wang Bing
8 Père, fils de Alexandre
Sokourov
9 Fahrenheit 9/11 de Michael
Moore
10 L'esquive de Abdellatif
Kechiche
11 Le pont des arts de Julien
Green
12 Gerry de Gus van Sant
13 Ordo de Laurence Ferreira
Barbosa
14 Le café Lumière
de Hou Hsiao-hsien
15 La demoiselle d'honneur
de Claude Chabrol
16 Nobody knows de Kore-eda
Hirokazu
17 Le secret des
poignards volants de Zhang Yimou
18 A tout de suite de Benoît
Jacquot
19 Spider man 2 de Sam Raimi
20 Lost in translation
Sophia Coppola
21 Tarnation de Jonathan
Caouette
22 Inside Job de Nicolas Winding
Refn
23 Goodbye Dragon
inn Tsai Ming-liang
24 Adieu de Arnaud des Pallières
25 Dix-sept ans de Didier Nion
26 S-21 la machine de guerre
khmère rouge de Rithy Pahn
27 Kiki la petite sorcière de Myazaki
28 Léo
en jouant dans la compagnie de Arnaud Desplechin
29 Une visite au Louvre
de Straub Huillet
30 Basse-Normandie de Patricia Mazuy
31 Feux rouges de Cédric
Kahn
32 10ème chambre
de Raymond Depardon
33 Master and commander de Peter Weir
Déceptions :
Les temps qui changent
Kill bill 2
Clean
Triple agent
Ladykillers
Eternal sunshine of the sptoless mind
Buongiono notte
La
femme est l'avenir de l'homme
Viva Ladjerie
Le village
Le monde selon Bush
Les choristes
Wonderful days
Just a kiss
Shara
Collateral
Détesté pour forme maniérée, complaisance dans
le filmage de la violence associées à bêtise idéologique
et caricature morale :
21 grammes
Infernal affairs
Pas vu :
Brown bunny, Séance, Anatomie de l'enfer, Le moindre geste, Assassination
tango, Five, Uzak,Tropical malady, Mondovino, Mur, Old boy, Sang et or, Los
muertos, head on
|