Bob Harris, star du cinéma d'action, aujourd'hui un peu trop âgé pour ces rôles, arrive au Park Hyatt, hôtel de standing de Tokyo pour tourner un spot publicitaire pour un whisky japonais, Suntory, qui prolongera la campagne d'affichage pour cette marque dont il est déjà la vedette. Si le très directif réalisateur japonais semble savoir ce qu'il veut, Bob ne le comprend guère et se contente d'accentuer son jeu un brin ironique pour accompagner le slogan publicitaire qu'il doit débiter. Qu'importe, c'est une star et même s'il souhaite rentrer chez lui au plus tôt, il est bientôt convié pour un show télévisé populaire que lui recommande vivement son agent.
Bob se délasse en buvant le soir au bar où il croise Charlotte, jeune épouse de John, un jeune photographe de Los Angeles déjà célèbre, qui la délaisse pour de longues journées de travail. Bob lui avoue être là pour les deux millions que lui rapportera la campagne de pub mais qu’il préférerait jouer au théâtre. Il n'est pas mécontent de s'éloigner un peu de sa femme, très directive, qui lui a notamment reproché de ne pas souhaiter l'anniversaire de son fils. Ils ont 25 ans de mariage et leur principal échange consiste à choisir l'échantillon de moquette de son bureau. Charlotte a fini ses études de philosophie à New York et a suivi son mari à Los Angeles. Elle le connaît mal et n'est pas certaine d'avoir fait le bon choix. Il la trouve bêcheuse et elle n'aime guère ses relations écervelées du star système, notamment Kelly, héroïne d'un film d'action en tournée de promotion.
Charlotte est néanmoins fascinée par la ville, les salles de jeux où on pratique le taiko, le purikura. Elle a des amis en ville qu'elle propose à Bob de rencontrer. Bob s'est habillé d'un polo trop voyant qui lui attire l'ironie de Charlotte. Il retourne son polo à l'envers et Charlotte, complice, coupe alors l'étiquette. Ils vont boire un verre dans un bar avec Charlie, Hiroko, Bambie, Hanks. Ils sont vite chassés par un yakuza à la mitraillette de pacotille; Ils fuient dans pachinko puis se retrouvent chez Charlie puis dans une boîte de Karaoké. Au retour, Bob dort dans le taxi. Il la ramène endormie sur son lit. Il téléphone à sa femme étant enfin un peu heureux de sa journée.
Le lendemain, sans rien de prévu avant le show, Bob joue au golf près du mont Fuji. Il retrouve Charlotte dans un bar à sushi et s'inquiète de son orteil noirci. Il l'emmène à l'hôpital et, pendant qu'elle consulte, discute sans rien comprendre avec un patient japonais. Il tend une grosse peluche à Charlotte quand elle sort de consultation.
Le soir, elle lui propose de rencontrer à nouveau ses amis. Mais c'est dans un bar de danseuses nues qui ne leur plait guère et ils préfèrent aller courir dans les rues et observer le Shibuya Crossing. Comme ils n'arrivent pas à dormir, Charlotte invite Bob à boire dans sa chambre et à regarder distraitement La dolce vitae à la télévision. Ils parlent du mariage, des enfants qui font s'éloigner le couple mais qui sont si adorables. Ils s'endorment.
Le lendemain, Charlotte prend le Shinkansen, le train rapide pour Kyoto. Elle observe un mariage, l'arbre aux vœux dans le temple shinto Heian et au Ryōan-ji. De son côté, Bob se plie au jeu outré de l'animateur du show télé. Eberlué, il se repose au sauna et a de nouveau uen conversation téléphonique décevante avec sa femme. De retour dans sa chambre, il constate combien le show télévisé auquel il a participé est vulgaire. Il descend au bar est est abordé par la chanteuse
En voyant la bouteille de champagne et ses deux verres encore à moitié remplis, Bob comprend qu'il a couché avec la chanteuse, ce qui ne lui a pas laissé le moindre souvenir. Charlotte sonne à la porte et comprend qu'il n'est pas disponible quand elle entend la chanteuse frodonner.Au restaurant où ils déjeunent le midi, elle se montre froide et distante insistant sur leur différence d'âge. Au milieu de la nuit, une alerte incendie les obligent à descendre sur le parvis; leur étrangeté mutuelle les rapproche. Ils se réconcilient au bar en pensant qu'ils se quitteront demain
Le lendemain matin, lorsque Bob quitte l'hôtel, Charlotte lui ramène sa veste, leurs adieux sincères restent néanmoins insatisfaisants. Bob prend un taxi jusqu'à l'aéroport. Il aperçoit Charlotte dans une rue bondée, arrête la voiture et se dirige vers elle. Il embrasse alors Charlotte et lui chuchote quelque chose à l'oreille. Ils partagent un baiser se disent au revoir et Bob reprend joyeux la voiture qui le conduit à l'aéroport
Le titre du film fait référence à une définition de la poésie du poète américain Robert Frost : "Poetry is what gets lost in translation" dont une traduction possible est : "La poésie est ce qui se perd dans une traduction". Et c'est bien ce qui arrive à Bob qui cherche à traduire non seulement les mots, mais aussi les attitudes et les objets japonais ainsi que l'attitude de Charlotte. N'y parvenant d'approximativement, il génère ainsi la poésie du film. Charlotte éprouve ce même décalage, plus aigu vis-à-vis de l'attitude de son mari, alors qu'elle s'amuse de l'étrangeté de ses amis japonais comme de Bob, qui ne cherchent pas la performance dans un monde d'apparences.
Lost in translation
Hôte de marque de l'hôtel Park Hyatt où il réside, Bob est régulièrement en proie à l'étrangeté japonaise : pomme de douche trop basse, machine d'exercice qui s'emballe, télévision internationalisée, prostituée trop entreprenante, musique envahissante dans la piscine. Il est aussi importuné par les remarques sur sa carrière passée par les Américains de passage; deux hommes au début, une femmeà la fin.
Si Bob ne sait dire quelque mots de japonais, le photographe ou la prostituée japonaises ne sont guère plus adroits avec leur anglias entraînant des quiproquos. Bob finit par remarquer qu'ils inversent les l et les r. C'est ainsi qu'il demande à Charlotte en guise de boutade triste de lui souhaiter bon "vor de letoul" . Kelly, en écorchant les noms un peu compliquées, comme anorexique, est aussi ainsi parfois plus drôle que lorsqu'elle cherche à faire de l'humour. Bob sent qu'il n'est plus en âge pour ses rôles d'action comme le furent peut être Sean Connery ou Roger Moor qu'on lui cite en exemple. Charlotte ne voit pas bien comment mettre en œuvre ses études de philosophie. Ils échappent ainsi tous deuxà la performance que l'impressionnante architecture de Tokyo vient sans cesse leur rappeler. Le cours episode de Kyoto est tout empreint de poésie mais Bob brise le charme en ayant sans conviction couché avec la chanteuse du bar.
Brève rencontre
Leur complicité vient de ces instants d'indécision, dans les no man's land des couloirs, accepter d'être désemparé, d'écouter et de répondre sans axe préétabli."Plus on sait qui on est et ce qu’on veut, et moins on est atteint par les choses" avait conclu Bob, la nuit où ils échangèrent des confidences.
Ce qui sert de repoussoir à cette attitude flottante : le travail du cinéaste ou du photographe, toujours pressés et directifs, les ordres de choisir la couleur d'une moquette, le goût de la réussite rapide de la jeune starlette américaine, la précipitation de l'acte sexuel par la masseuse chinoise ou la chanteuse du bar.
Si le film présente un caractère désuet, c'est qu'il refuse la ligne de plus grande pente du romanesque qui conduit à rechercher la fusion maximum entre deux personnages. Certes, ceux-ci sont trop disparates pour qu'ils aient vraiment grand chose à espérer l'un de l'autre. Bob a déjà tout essayé, même la philosophie bouddhiste alors que Charlotte se cherche encore. Mais la complicité qui les unis est incontestable. En rester à quelques caresses sur le pied relève donc manifestement de la volonté de la scénariste-cinéaste. Celle-ci, dans ses déclarations d'intention, insiste sur le fait qu'elle a choisi de faire un film de dispositif pour voir ce qui pouvait bien éclore à l'intérieur de ce champ clos.
On n'avait plus vu une telle apologie de l'amour platonique depuis Brève rencontre (David Lean, 1945) ou In the mood for Love (Wong Kar-wai, 2000) ou. Ce thème rétro bénéficie d'un emballage contemporain branché : même regard tiède et distancié, compatissant et sympathique de la réalisatrice sur ses héros qu'ils ont eux mêmes sur le monde dès leur première rencontre dans l'ascenseur où ils sont réunis par leur décalage parmi les Japonais : lui trop grand, elle trop blonde.
Sofia Coppola ressent pour Tokyo, icône de la modernité, la même fascination que Chaplin qui dans La comtesse de Hong Kong y avait transplanté au féminin son personnage de vagabond ou que Wim Wenders dans Tokyo Gâ, Jean-Pierre Limosin dans Tokyo eyes, Abel Ferrara dans New rose Hotel, ou Olivier Assayas dans Demonlover. Le plus original étant, ici, de faire coexister l'image d'une petite culotte rose et la vidéo de dinosaures gambadant dans l'herbe projetée sur un gratte-ciel.
Jean-Luc Lacuve, le 11/12/2020