Autoportrait de Jonathan Caouette, 31 ans, qui dès l'âge de 11 ans, décide de filmer la chronique chaotique de son enfance dans une famille texane. Tourbillon psychédélique à partir d'instantanés, de films d'amateur Super-8, de messages enregistrés sur répondeur, de journaux intimes vidéo, de ses premiers courts métrages et de bribes de la culture pop des années 80, accompagnés de scènes reconstituées, pour tracer le portrait d'une famille américaine éclatée par de multiples crises mais réunie par la force de l'amour.
Le journal intime de Jonathan Caouette, cinéaste trentenaire, entamé à l'âge de 11 ans. Avec un passé aussi chaotique on comprend aisément son besoin, plus encore que son envie, d'en parler. Placé en famille d'accueil à l'âge de deux ans, suite à l'internement psychiatrique de sa mère (que les médecins ont diagnostiqué schizophrène) il est victime de violences. Il retourne vivre avec sa mère, présente par intermittence entre deux séjours en HP et deux séances d'électrochocs, puis quand cela ne fut plus possible, chez ses grands-parents qui l'adoptent. C'est à cet âge qu'il commence à filmer ; on le voit déguisé reprendre des tubes en play-back ou interpréter des rôles (cela donne lieu à quelques scènes assez incroyables) il en profite pour filmer son entourage aussi, sa mère quand elle est là, ses grands-parents, il tente de les faire parler, leur pose des questions. Victime d'un mauvais trip au PCP, il garde comme séquelles des sortes d'absences, des moments où il n'arrive pas à rester dans la réalité.
Même si Tarnation est un kaléidoscope d'images bricolées,
il dépasse le simple collage arty, car Caouette semble avoir mis beaucoup
de lui dans son film. Bien souvent il apparaît écorché,
au bord de la ruine. On ressent un besoin vital dans sa façon et de
filmer et de monter son patchwork, une urgence absolue, entre un exorcisme
et une soif d'apprendre d'où il vient, de donner corps à une
trajectoire familiale afin de s'y placer, tout en redoutant de devenir comme
son principal modèle, sa mère. C'est avec l'insistance qu'il
met à filmer son monde, avec la façon dont il a de se servir
de sa camera comme d'un scalpel, collé à ses proches que le
metteur en scène émeut. Mais aussi par l'aspect faussement impudique
de son travail (mais cela en est un élément structurel), qui
dissimule une vraie pudeur à parler de lui face à sa caméra
doublée d'une (apparente) sincérité dans sa démarche.
Tout est sans fard, aussi brut que ses éclairages et ses cadrages,
souvent approximatifs, la vérité sourd de son film. C'est en
plaçant sa mère au centre du film, une overdose de Lithium (substance
donnée en cas de dépression sévère) vient en effet
de l'envoyer refaire un séjour à l'hôpital lorsque le
film débute orientant ainsi la suite du récit, qu'il le rend
plus " universel " et émouvant.
Jean Sébastien Leclercq le 15/11/2004
Avec : Renée Leblanc, Jonathan Caouette, Adolph Davis, Rosemary Davis, David Sanin Paz, Joshua Williams. 1h28.