2003
Le père et le fils partagent un appartement sous les toits. Depuis des années, ils vivent seuls, dans un monde à part, rempli de souvenirs et de rituels quotidiens. Parfois, on dirait des frères. Parfois même des amants. Suivant l'exemple de son père, Alexei est inscrit à l'Ecole Militaire. Il aime le sport, n'en fait qu'à sa tête. Son amie lui pose problème. Elle est jalouse de sa relation trop intime avec son père. Et sachant que tôt ou tard, tout fils doit abandonner le foyer familial, Alexei est troublé. Son père sait qu'il devrait accepter un meilleur poste dans une autre ville, peut-être même envisager de se remarier. Mais qui alors consolera Alexei de ses cauchemars ? Jamais un amour entre père et fils n'aura été aussi fort.
Père, Fils, s'ouvre sur une étreinte, un père semble exorciser les cauchemars de son fils en l'enlaçant tout près de lui. Ce corps à corps troublant s'achève par un gros plan sur une bouche distordue par une jouissance pleine d'effroi. C'est Le Cri de Munch. Cette séquence liminaire nécessite de s'affranchir des lois morales érigées par notre culture pour voir, au-delà de l'inceste, l'accomplissement d'une relation fusionnelle. Sokourov tend à l'universel : l'eau, la lumière, le rêve, la catastrophe de la séparation sont ses thèmes de prédilection.
Père,fils (la virgule remplaçant le "et" du titre original car le titre a été recemment utilisé en france) constitue le seconde volet d'une trilogie amorcée avec Mère et Fils et qui sera terminée par Frère et soeur. Comme dans ses Elégies précédentes, il n'y a pas ici de nourriture romanesque (Dostoïevsky, Gogol, Flaubert...) pour constituer un récit. Seule une sourde menace semble peser sur un état de bonheur primordiale encore possible.
Les deux hommes sont tout à la fois frères, amis et amants platoniques, unis par un lien indéfectible qui exclue tout autres : jeunes femmes comme amis. Leur faible différence d'âge accentue leur proximité. Le fils voit, en son père, un possible reflet de sa propre évolution. Quant au père, sa progéniture est un miroir tendu sur sa prime jeunesse.
Sur cette fusion plane la crainte d'une séparation toujours possible. Le père pourrait partir à l'étranger. Le fils de l'ami qui vient les voir ; qui est-il vraiment ? Le fils d'un ami décédé à la guerre en 1998 en Tchechenie pour avoir voulu tuer son supérieur qui avait ordonné un massacre ou un double du fils qui n'aurait pas connu son père ? Elle sont bien étranges ces photographies de familles : celle de la mère dont on ne parle pas et celle du père avec deux enfants dans les bras.
Sokourov raconte une histoire éternelle. Pour servir son propos, il plante son décor à Lisbonne qu'il définit lui-même comme une ville unique, quintessence de la culture européenne. Le Portugal, aux ruelles fantomatiques, dialogue avec les décors de Saint Pétersbourg, plus ancrés dans la réalité.
De nombreux symboles figurent le passage entre l'état de rêve et celui de la conscience, focales déformantes ou ces planches jetées entre deux appartements ou entre un appartement et la terrasse sur la mer.