Royaume 1 : enfer. Huit minutes de combats sans ordre chronologique particulier mais où prédominent les images de la seconde guerre mondiale et des autres engagements militaires américains (Indépendance, Guerres indiennes, Sécession, Vietnam).
Royaume 2 : purgatoire. A l'automne 2002, dans l'aéroport de Sarajevo, Jean-Luc Godard, discute avec un interprète qui est aussi là pour veiller sur sa nièce Olga, étudiante en cinéma. Ils attendent d'autres invités aux rencontres européennes du livre en provenance de Zagreb. Arrivent bientôt, Olivier Naville, Juan Goytisolo, Mahmoud Darwich, Jean-Paul Curnier, Pierre Bergounioux, Gilles Pecqueux et quelques femmes dont la jeune Judith Lerner. Ils se rendent au centre André Malraux qui organise ces rencontres où ils sont accueillis par C Maillard, l'ambassadeur.
Judith Lerner, pigiste pour un journal israélien, demande à l'ambassadeur de dialoguer avec des Israéliens et des Palestiniens au nom de son engagement passé. En France sous l'occupation allemande, étudiant à Normale-sup, il sauva le grand-père de Judith (qui lui remet une lettre posthume) puis refusa le titre de "Juste" estimant que son comportement était juste normal. Laure lui demande donc d'avoir, non pas un dialogue juste, mais juste un dialogue avec ce que cela comporte de psychologie et d'écoute.
Dans la bibliothèque dévastée de Sarajevo, un indien et une indienne interrogent un scribe blanc qui enregistre des livres. On les retrouve sous le pont de Mostar. Jouent-ils un rôle dans le film de fin d'études de Olga ? C'est en effet pour des étudiants de cinéma que Jean-Luc Godard organise des cours sur le thème du texte et de l'image où il interroge le sens du contrechamp. Olga lui remet son film de fin d'études sous forme d'un DVD. Olga discute avec son oncle et parle du suicide.
Quelques temps plus tard, Godard reçoit chez lui un coup de fil de Ramos lui indiquant que Olga s'est suicidée en menaçant de faire exploser une bombe pour la paix dans un cinéma de Tel-Aviv. Elle a été abattue par la police au moment où elle mettait la main dans son sac... plein de livres.
Royaume 3 : Paradis. "Les rues du paradis seront gardées par des Marines" annonce une incrustation. Dans ce qui ressemble aux bords du lac Leman, Olga croise des jeunes qui jouent au ballon sans ballon, un lecteur de David Goodis, un homme qui lui propose de partager une pomme.
Entretenir le dialogue. Le dialogue entre les peuples, entre les vivants et les morts, entre les victimes et les militaires, entre les images, entre les images et les mots. L'enfer c'est la passion destructrice de l'homme livré a lui-même, comme sorti tout armé après le déluge. Le purgatoire, ce sont les multiples essais de réconciliation avec Sarajevo comme lieu symbolique de rencontres et de dialogues possibles. Le paradis est un improbable idéal de la fiction.
Avec Notre musique Godard renoue avec les essais pédagogico-politique du type Comment ça va ? ou plus récemment For ever Mozart : comment comprendre le monde d'aujourd'hui avec les moyens du cinéma ? Ici, Godard apporte une réponse modeste : savoir regarder un contrechamp.
La thèse centrale s'appuie sur le texte de Mahmoud Darwich, La Palestine comme métaphore, et les réflexions de Pierre Bergounioux qu'ils expriment eux-mêmes dans le film. Les vainqueurs, non content d'occuper militairement le terrain, occupent aussi le terrain des mots. Les Israéliens comme les Grecs sont les vainqueurs car ils ont les meilleurs poètes. Homère, même aveugle, même ne connaissant rien aux combats réels a pu exprimer la défaite de Troie. Aujourd'hui le meilleur allié de la Palestine, qui n'a aucun grand poète, ce sont les Israéliens. Ils sont les seuls à s'intéresser vraiment à eux et, finalement, à leur assurer renommée. Thèse éminemment paradoxale : pour exister la Palestine a besoin d'Israël. Comme le dit Olga, pour l'instant Israël est la seule à en assurer la propagande.
Pour Israël, la question est plus difficile. Il y a tout d'abord la question du cauchemar posée par Judith Lerner : quand on est obsédé par son ennemi, fait-on des cauchemars en pensant à lui où rêve-t-on d'un idéal pour sa nation ? Le diplomate lui répondra par une autre réflexion. Le problème d'Israël, enfermée dans sa puissance étatique, c'est de n'avoir personne avec qui dialoguer. Et de citer une résistante de 1943 : "Le rêve de l'individu c'est d'être deux. Le rêve de l'Etat c'est d'être seul." L'état souhaite être unique, ne pas avoir de contrechamp.
Cette phrase introduit la pédagogie selon Godard : il ne s'agit pas tant de voir des images que d'être capable de les faire dialoguer entres-elles.. Godard reproche ainsi à Howard Hawks de ne pas savoir regarder une femme. Dans La dame du vendredi, le contrechamp de Cary Grant sur Rosalind Russell ne montre pas un homme puis une femme mais deux fois la même chose : un homme, un homme. En montrant deux photographies d'un petit groupe d'hommes les pieds dans l'eau, Godard distingue, d'une part, les juifs entrant en Israël, marchant vers la fiction et, d'autre part, les Palestiniens rejetés à la mer, qui vont se noyer, entrant dans le documentaire.
Godard reprend ainsi sa vieille distinction fiction versus documentaire : La fiction c'est la certitude, le documentaire c'est la réalité avec son incertitude. Le cinéma consiste à éclairer l'un avec l'autre (la lampe oscille comme dans Le corbeau de Clouzot). Le cinéma c'est aussi le texte et l'image. L'image sans profondeur, c'est l'icône de La Vierge de Cambrai dans laquelle Bernadette Soubirous reconnue l'apparition qui la visita. Cette image est entièrement du côté de la foi et pas du dialogue et de l'échange. Pour les trouver, il faut du texte. Le texte transforme. Le château de Larsener déçoit mais si l'on dit "C'est le château d'Hamlet", la magie revient.
Autres pistes :
La guerre c'est l'enfer. Peut-on faire la guerre autrement si on la fait avec des gens vraiment humain demande Olga. Les gens vraiment humains ne font pas la guerre, ils font des bibliothèques. Il y a deux façons d'envisager la mort : comme l'impossible du possible ou comme le possible de l'impossible or, je est un autre Lorsque l'on tue pour défendre une idée on ne défend pas une idée, on tue un homme, c'est tout.
la conjonction qui met en mouvement : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ». Le Notre père fait irruption au montage tandis que le commentaire souligne : « Comme nous pardonnons, et pas autrement. » Pardonner c'est faire l'expérience d'un mouvement qui relie passé, présent et avenir. Nous pardonnons dans le présent une chose passée, et cela nous engage à l'avenir. Ici, au-delà de la référence chrétienne, "comme nous pardonnons", dit qu'il y a une manière de mettre le passé à l'ordre du jour, "et pas autrement" indique que cette manière est nécessairement concrète. La conjonction "comme" qui qualifie le mouvement de l'Histoire comme celui du montage montre que par son travail d'assemblage de documents et de scènes jouées, d'interprétations et de déclarations, d'histoires réelles et d'histoires du cinéma, le film réalise un lien du passé et du présent. Aussi il fonde un avenir possible. (source Hélène Raymond sur Fluctuat)
On parle toujours de la clé du problème mais jamais de la serrure.
Position modeste de Godard ne sachant répondre si les caméras numériques sauveront le monde et perplexe devant le DVD du film d'Olga.
Amour du cigare et du champagne, la bibliothèque de Sarajevo, le marché qui fut bombardé, le pont de Mostar que l'on reconstruit pierre par pierre. Dans le paradis, le jeu de ballon sans ballon évoque-t-il Blow up (le rôle de la croyance) ?