La série a, semble-t-il, été d'abord une variation du motif au sein d'une même structure. Ainsi les représentations des douze mois pour Les très riches heures du duc de Berry l (Les frères Limbourg, 1415) ou des quatre saisons d'Arcimboldo au XVIe et de Nicolas Poussin au XVIIe. La série peut être aussi la représentation d'un même motif au sein d'environnements différents ainsi les Trente-six vues du mont Fuji de Hokusai où le célèbre mont occupe parfois presque tout l'espace de l'estampe mais où il est parfois un peu plus difficile à distinguer.
Claude Monet porte au plus haut point la passion de la série quitte à dissoudre le motif dans la lumière. Vincent Van Gogh, pour décorer la chambre de Paul Gauguin à Arles, produit la série des tournesols. Le dernier mois de sa vie, il peint treize toiles au format double carré qui, a posteriori, constituent une célèbre série, de ce seul fait d'un format nouveau. Cézanne avec ses montagnes Sainte-Victoire trouve peu à peu la raison de son art, "faire de l'impressionnisme quelque chose de solide et de durable, comme l'art des musées".
Après la revendication de l'instant chez Monet, du toujours plus expressif pour Van Gogh ou durable chez Cézanne, Andy Warhol trouvera dans la série une expérience du vide : "Plus vous regardez exactement la même chose, plus le sens disparaît, et mieux vous vous sentez vide". L'art contemporain ne cessera alors de faire jouer la série entre vacuité et plénitude, sérieux et dérision.
I- Les mois et les saisons
Les livres d'heures qui permettent la prière et la méditation selon des thèmes différents selon les mois. Sont ainsi édités une multitude de livres luxueux ou simplement portatifs au XVIe siècle. Les quatre saisons d'Arcimboldo au XVIe et celles de Nicolas Poussin au XVIIe sont également des séries avec une variation du thème au sein d'une même structure.
Arcimboldo est le peintre de la cour impériale des Habsbourg à Vienne et à Prague à partir de 1562. En 1563, il peint l’Eté, première allégorie des quatre saisons, et, en 1566, il travaille sur les quatre éléments : l’Air, le Feu, la Terre et l’Eau. Il offre ces deux séries à l’Empereur Maximilien II pour le nouvel an 1569 avec des poèmes explicatifs rédigés par l’humaniste milanais Giovanni Battista Fonteo. L’utilisation allégorique des saisons signifie notamment la permanence de l'empire. La série des quatre éléments est à interpréter en lien avec le cycle des saisons précédemment créé par Arcimboldo : l'Air correspond au Printemps, le Feu à L'été, la Terre à l''Automne, L'eau à l'Hiver.
Le printemps | L'été | L'automne | L'hiver |
L'air | Le feu | La terre | L'eau |
II -Un même motif sans cesse répété
La répétition du même, d'un élément identique authentifiable selon les œuvres est à mettre du côté d'Hokusai au XVIIIe avec ses répétitions du mont Fuji. Ses Fugaku Sanjūrokkei, ou Trente-six vues du mont Fuji sont constituées de 46 planches, 36 estampes à cerne bleu et 10 planches supplémentaires à contour noir au format ôban yoko-e (horizontal), soit environ 250 x 380 mm avec les marges. Par elles, Hokusai obtient une reconnaissance internationale.
Claude Monet, grand admirateur des estampes japonaises comme nombre d'artistes contemporains, va néanmoins se saisir d'une passion pour la série d'un tout autre point de vue. Il s'agit bien moins de méditer sur l'invariant que de sauver et magnifier une dernière fois le programme de mise en ordre du visible entrepris par la peinture depuis la Renaissance. Ce qui pourrait être le même motif apparaît différemment selon les heures du jour. l'important est de saisir la sensation colorée quitte à dissoudre le motif. Lors de la troisième exposition de groupe impressionniste en mai 1877, Monet expose ainsi sa série des gares Saint-Lazare.
En mai 1891, Monet présente pour la première fois une série, celle de 15 Meules à la galerie Durand-Ruel à Paris. On connaît environ 35 versions des meules, à toutes les heures et à des saisons différentes. Monet exploite toute la gamme du prisme dans une variété de nuances infinies.
En 1892-93 c'est la série des 30 cathédrales de Rouen.
En 1899-1900, la série des bassins aux nymphéas.
Entre 1904 et 1909, Monet travaille avec une intensité presque ininterrompue, produisant plus de soixante tableaux du jardin d'eau. Évitant la perspective traditionnelle, il a baissé son regard vers la surface de l'étang, produisant une vision éblouissante et radicalement déstabilisée de formes changeantes et désintégrées; le monde au-delà du plan de l'eau n'existe que comme les reflets les plus éphémères. "Les fleurs d'eau elles-mêmes sont loin d'être toute la scène", a expliqué Monet. «Vraiment, ce ne sont que l'accompagnement. L'essence du motif est le miroir d'eau, dont l'apparence change à chaque instant. Tant de facteurs, indétectables à l'œil non initié, transforment la coloration et déforment les plans »
Durant la première guerre mondiale, Claude Monet à l’intention d’offrir à l’Etat "de la beauté aux âmes meurtries" et, à la Nation, un véritable monument à la paix. En novembre 1917, il considère les panneaux suffisamment avancés pour permettre à Durand-Ruel de venir à Giverny et de les photographier.
Le 12 novembre 1918, au lendemain de l’armistice, Monet écrit à Georges Clemenceau : "Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs, que je veux signer du jour de la Victoire, et viens vous demander de les offrir à l’Etat, par votre intermédiaire." À cette date, alors que la destination de l’ensemble décoratif restait encore indéfinie, il semble que Clemenceau arrive à persuader Monet d’étendre ce don de deux panneaux à la totalité de l’ensemble décoratif. C’est en 1920 que la donation prend une forme officielle et aboutit en septembre à un accord entre Monet et Paul Léon, le directeur des Beaux-Arts pour le don à l’État de douze panneaux décoratifs, à charge pour celui-ci de les installer selon les directives du peintre dans un édifice spécifique. Rien n’a été laissé au hasard par l’artiste . Il prévoit les formes, les volumes, la disposition, les scansions et les espaces entre les différents panneaux, le parcours libre du visiteur par le biais de plusieurs ouvertures entre les salles, la lumière zénithale du jour qui inonde l’espace par beau temps ou au contraire se fait plus discrète lorsqu’elle est voilée par les nuages faisant ainsi vibrer la peinture au gré du temps… Cependant, Monet, en proie au doute, retravaille sans cesse ses panneaux et en détruit même certains. L’acte de donation intervient le 12 avril 1922 pour 19 panneaux, mais Monet, insatisfait, souhaite toujours plus de temps pour parfaire son œuvre. Monet les conservera finalement jusqu’à sa mort en 1926.
Les tournesols de Van Gogh sont une série plus modeste. Destinés à orner la chambre de Gauguin à Arles, ils expriment le sentiment de gratitude que le peintre isolé dans le sud éprouve envers Gauguin qui vient le rejoindre dans la maison jaune. Aux quatre toiles d'août 1888, vont s'ajouter les trois répliques de janvier 1889.
Les formats à double carré du dernier mois de Van Gogh
Le 17 juin 1890, Vincent van Gogh reçoit de son frère Théo une importante cargaison de toiles. De ce jour jusqu'à son suicide fin juillet, Van Gogh peint treize grandes toiles au format double carré. Ces œuvres sont uniques dans sa carrière par leur format et par le fait qu'elles semblent constituer une série. Toutes les toiles à double carré, sauf une, Marguerite Gachet au piano, sont des paysages horizontaux.
Cézanne a passé son enfance à explorer les environs d'Aix-en Provence. Il a peint plusieurs dizaines de fois La montagne sainte-Victoire avec sa silhouette distinctive, à partir de différents points de vue. Pour La montagne Sainte-Victoire et le Viaduc de la vallée de l'Arc (1882-1885) Cézanne se tenait près de Montbriand, la propriété de sa sœur, au sommet de la colline juste derrière sa maison ; le mur de la ferme voisine est à peine visible. Ce même point de vue se retrouve dans La montagne sainte Victoire avec un grand pin (1887) et La montagne Sainte-Victoire (1890) du musée d'Orsay
Cézanne a cherché à révéler la géométrie intérieure de la nature, «à faire de l'impressionnisme quelque chose de solide et de durable, comme l'art des musées». La montagne a également eu une signification symbolique pour l'artiste, représentant la campagne antique - la France authentique - pendant un moment d'industrialisation et de modernisation rapide. Sur le côté droit de la toile, rien n'indique qu'il s'agit d'un viaduc ferroviaire qui traverse cette scène pastorale. Cézanne ne garde que son aspect d'aqueduc romain, rappelant les peintures de Nicolas Poussin.
A la Ferus Gallery de Los Angeles, Andy Warhol fait son entrée fracassante dans le monde de l'art. En juillet 1962, il expose ses désormais emblématiques boîtes de soupe Campbell. Présentant chacune une variété différente des 32 soupes de l’entreprise. Elles étaient alors alignées sur une seule rangée sur un rebord qui entourait la galerie. "Les boîtes sont posées sur des étagères", déclarera plus tard le directeur de la galerie, Irving Blum, à propos de l'installation. Le Moma en présente une variation où Les 32 toiles de l’œuvre sont disposées en quatre rangées de huit boîtes. Répétant une image presque identique, les toiles soulignent à la fois l’uniformité et l’omniprésence de l’emballage du produit et subvertissent l’idée de la peinture comme moyen d’invention et d’originalité.
Tout au long des années 1960, il continue à exploiter le monde des célébrités pour son art, créant des images de stars et de personnalités publiques comme Liz Taylor, Marilyn Monroe ou Mao.
De même, son engagement avec le sujet de consommation de masse débuté avec les boîtes de soupe Campbell trouveront un analogue sculptural dans ses boîtes sérigraphiées avec les étiquettes de jus de tomate de Campbell, de tampons de savon Brillo et de ketchup Heinz. «Plus vous regardez exactement la même chose, plus le sens disparaît, et mieux vous vous sentez vide», remarquait Warhol.
Sa série Death and Disaster, commencée en 1963, teste cette affirmation. Dans des œuvres comme Orange Car Crash Fourteen Times et Electric Chairs, la force de la répétition rend les scènes à la fois banales et plus profondément traumatisantes. À partir de 1963, Warhol sentoure dassistants dans son atelier, la Factory, poussant ainsi à son paroxysme le caractère industriel de son travail.
Gloire et décadence de la série : L'art contemporain promeut la série comme valeur sûre, économiquement.
L'homme d'affaires américain Peter Brant a cédé Le "Balloon Dog" orange qu'il avait acquis à la fin des années 1990 pour plus de 58 M$, le 12 novembre 2013. chez Christie's de New York, réalisant ainsi un considérable bénéfice. Le "Balloon Dog" orange fait partie d'une série de cinq œuvres réalisées par Jeff Koons au début des années 1990. L'entrepreneur et philanthrope Eli Broad possède le bleu, Steven A. Cohen à la tête d'un fond d'investissement a lui le jaune, le grec Dakis Joannou le rouge et François Pinault le rose fluo.
Jean-Luc Lacuve, le 25 janvier 2021.