De l'histoire et des lettres dans le cinéma d’Eric Rohmer
(11 et 12 février 2015)

Deux demi-journées d’études consacrées à l’Histoire et aux lettres dans le cinéma d’Eric Rohmer, organisées par le LASLAR (groupe de recherche des Sciences de l’homme de l’Université de Caen, regroupant les Lettres modernes et classiques, les Arts du spectacle et les langues romanes). 

Ces demi-journées s’attachent à étudier les adaptations à la fois personnelles et scrupuleuses de l’Histoire par un cinéaste qui en était friand et qui aimait en retrouver l’évocation dans la grande littérature classique.

Mercredi 11 février, 14h30 : Le pari de Rohmer (à propos de Blaise Pascal dans deux films de Rohmer, Ma nuit chez Maud et Conte d’hiver) par Pascal Couté.

 Ma nuit chez Maud : Vidal transpose le pari de Pascal au sens de l'Histoire
Conte d’hiver Félicie fait le pari de
retrouver Charles

Dans Ma nuit chez Maud (1969), Éric Rohmer met en images le  pari de Pascal, tentative du philosophe français de démontrer l’intérêt d’épouser la foi chrétienne, malgré l’impossible preuve de Dieu. Selon Pascal, le pari en lui-même n’est pas un choix : on est obligé de parier ; action liée à l’existence. Dans son film, Éric Rohmer n’adapte pas le fragment écrit de Pascal : il s’agit d’une transposition en images de son propos. Couté rappelle donc que Rohmer n’est pas un philosophe mais qu’il est, comme le dit Gilles Deleuze des metteurs en scène, un penseur en images en mouvement.

Le cinéaste fait preuve d’ironie, en opposant un catholique qui doute et refuse le rigorisme de Pascal (le personnage principal, joué par Jean-Louis Trintignant), à un marxiste qui parie sur le sens de l’histoire (son ami Vidal, joué par Antoine Vitez). Dans son film, le personnage principal se concentre sur le choix d’une des deux femmes qu’il vient de rencontrer (Françoise et Maud) pour partager sa vie. Il projette un mariage avec Françoise, qu’il a pourtant peu de chance de recroiser. Rohmer transpose donc rigoureusement le pari de Pascal, tout en l’appliquant à des questions terrestres et à un personnage non ciblé par le philosophe (Jean-Louis Trintignant joue en effet un chrétien). Pascal Couté y voit presque un blasphème.

Après Ma nuit chez Maud, Éric Rohmer reprend le motif du  pari de Pascal dans Conte d’hiver (1992). Dans ce film, l’héroïne (Félicie, jouée par Charlotte Véry) a perdu la trace de Charles, son grand amour (joué par Frédéric van den Driessche), et se retrouve partagée entre deux hommes, Loïc (Hervé Furic) et Maxence (Michel Voletti). Pascal Couté remarque qu’il y a donc deux paris : un petit et un grand. Le grand pari, c’est de choisir ou non de retrouver Charles. Si c’est non, il reste un petit pari : choisir entre Loïc et Maxence. En outre, Félicie évoque aussi la réminiscence chez Platon lorsqu’elle décrit la nature de son amour pour Charles. Selon Pascal Couté, Éric Rohmer réalise en somme une sécularisation la philosophie au travers du sujet amoureux.

Compte-rendu de Jonathan Renoult, le 19/02/2015

 

Mercredi 11 février, 15h30 : Entre histoire et fiction  : réflexions autour de L’Anglaise et le Duc par Charlotte de Castelnau-L’Estoile, Monica Martinat

Les intervenantes s’interrogent sur ce que peut dire la démarche du cinéaste Éric Rohmer sur la démarche des historiens. Elles analysent ici les rapports qu’entretiennent histoire et fiction dans L’Anglaise et le Duc (2001) — récit de l’Écossaise Grace Elliot tandis qu’elle vit la période révolutionnaire française entre 1790 et 1794.

L’adaptation est une interprétation. L’adaptation cinématographique d’un récit historique double donc une autre interprétation : celle de l’historien. Fondant leur réflexion sur un texte de François Furet de 1978, à propos d’une lecture éthnologique de la Révolution, Martinat et Castelnau-L’Estoile évoquent ainsi un discours historienhabituel, basé sur la réduction de la distance entre un sujet d’un côté, et l’historien et son lecteur de l’autre.

De manière très nette pourtant, Éric Rohmer fait tout pour mettre à distance les spectateurs des faits de l’histoire. Par exemple, L’Anglaise et le Duc se construit autour du point de vue d’une aristocrate britannique à laquelle on ne peut s’identifier (différence de nationalité, de milieu, d’époque…). Autre exemple : dans la scène de la révolte, l’Anglaise interroge sa servante sur ce qu’elle voit de la révolte. Or, cette dernière observe les évènements au travers d’une longue vue dans laquelle le spectateur ne regarde pas. En outre, elle ne décrit finalement rien et déclare même ignorer les faits.

Dans le même temps, Rohmer refuse la reconstruction photographique du passé : il s’inspire de la peinture d’époque pour l’atmosphère et les décors du film (réalisés en toiles peintes). Le cinéaste ne cherche pas à ressusciter le passé mais à chasser l’anachronisme, faute de goût et faute de sens (Martinat) qui détournerait le spectateur de l’enjeu principal : dire la vérité, et non montrer la réalité.

Comme le remarquent les intervenantes, on engage d’habitude des historiens au cinéma pour nous rendre proches un contexte, une époque. Éric Rohmer — extrêmement précis dans la reconstitution — fait aussi appel à des conseillers, mais il nous met à distance de ce contexte et de cette époque (récit lacunaire, surjeu d’acteurs, usage de toiles peintes, etc.). Il filme quand la Révolution française est terminée (citation du film). En un mot, il propose un regard étranger sur l’Histoire, loin du roman national. Une telle approche de dépaysement de l’histoire se retrouve chez François Furet donc, mais aussi chez Marc Bloch (1886-1944) ou Carlo Ginzburg (1939-).

D’après Martinat et Castelnau-L’Estoile, l’artifice chez Rohmer permet de saisir le vrai ; ce qui n’est pas la réalité, mais permet d’appréhender le sens de l’Évènement dans la vie intime de celui ou celle qui l’a connu.

Compte-rendu de Jonathan Renoult, le 19/02/2015

 

Mercredi 11 février, 18h15 : Projection au Cinéma Lux des Amours d’Astrée et de Céladon  précédée d’une présentation par Julie Wolkenstein, romancière et enseignante de lettres modernes, et David Vasse, critique et enseignant de cinéma, tous deux de l’Université de Caen. Adapté d’un texte du XVIIe siècle d’Honoré d’Urfé, Les Amours d’Astrée et de Céladon, son dernier long métrage, témoigne merveilleusement de la volonté proverbiale de Rohmer de conjuguer la référence ancienne avec la fraîcheur constante de l’enregistrement cinématographique.

 

Jeudi 12 février, 9h30 : Éric Rohmer médiéviste, les leçons du Perceval par Didier Lechat.

   

En 1976, Rohmer a obtenu le Grand prix spécial au festival de Cannes avec La marquise d'O, en restant fidèle au texte en allemand de Kleist et en s'inspirant des tableaux de  Greuze et Ingres. Les Archives de l'IMEC montrent que pour Perceval le gallois l'attente est grande comme l'indiquent les nombreuses lettres de candidatures spontanées des comédiens (équitation, escrime)  et de techniciens pour jouer ou trvailler dans le film. Rohmer, comme pour son film précédent, part des manuscrits et de détails précis parfois un morceau de sculpture. Cependant Perceval, son film le plus long, le plus longuement muri (depuis un projet pour la télévision datant de 1964) sera aussi celui qui aura le moins de spectateurs.

En 1978, le moyen âge fait l'objet d'une attention révérencieuse face à l'enfance de notre histoire. En dépit d'une grande attention aux décors, aux jeux des acteurs et au texte, Le conte du graal de Chrétien de Troyes, le film sera critiqué par les médiévistes. Jacques le Goff lui reproche une esthétique théâtrale pour un texte datant d'avant les mystères et le théâtre en rond. On lui reproche aussi de ne pas respecter le retardement du nom du personnage principal, comme dans le roman. Enfin, la fin du récit est ajoutée par rapport au roman inachevé.

Les archives permettent de connaître les motivations, les choix et les écarts entre le projet et sa réalisation ; entre l'intention et sa réception. Les partis pris se reflètent dans les notes et entretiens. Les boites d'archives sont reparties en trois catégories : les documents préparatoires, la réalisation et la sortie avec sa réception.

Les documents préparatoires sont constitués en grande  partie de cahiers d'écolier à petits carreaux avec  traduction du texte, références et côtes des ouvrages consultés à la bibliothèque de l'Arsenal et à la Bibliothèque nationale avec quelques mots de descriptions et de commentaires. Il y a les différentes étapes du scénario, la note sur le scénario et la traduction, des cartes postales et quelques story-boards, ce qui est rare et reproduction d'enluminures.

La boite numéro 2 comporte photos et maquettes des décors, des K7 de textes, des notes sur la façon de les réciter, des lettres de Guy Robert sur la musique du film.

La boite numéro 3 comporte des documents pédagogiques et des correspondances d'élèves, notamment ceux d'une classe de 5e du collège de Mezidon, proche de Caen.

1 - L'élaboration du texte

Pour Jacques Legoff, le texte est intraduisible.  Rohmer  souhaite adapter le texte avec soin mais sans affectation. Comme il s'en  explique dans un numéro  de l'avant-scène publié en 1979, il souhaite être accessible à un large public. Le texte est effet plus important que les thèmes développés. Il faut lui rendre l'audience qu'il n'a plus en dehors d'une dizaine d'érudits. Il ne veut pas d'une traduction pétrifiée mais tient aux octosyllabes car dit-il "que seraient les fables de La fontaine en prose ? ". Toutefois cette forme est un peu la prose du 12e puisqu'il n'existe pas alors d'autres styles. Il choisit de garder les octosyllabes à rimes plates, la traduction mot à mot et une versification classique avec diérèse et enjambement. Il indique là où faire la liaison et là où ne pas la faire.. Il obtient un texte compréhensible traduit avec le double soucis de la littéralité et de la sensibilité. Rohmer est ainsi en adéquation avec les théories de la traduction défendues par Henri Meschonnic dans son Poétique (1999) où il revendique le droit à l'étrangeté; la traduction serait "une belle infidèle".

Les lectures  de Rohmer sur la littérature, l'histoire, les costumes ou la musique sont celles d'auteurs assez anciens. Il consulte l'édition de 1906 du Conte du graal. Il lit Gustave Cohen (Un Grand Romancier d'amour et d'aventure du XIIe siècle : Chrétien de Troyes et son œuvre, 1931), Émile Mâle, Jean Frappier ou l'historien d'art Louis Réau sur la forme de l'objet graal. Rohmer lit aussi des médiévistes allemands sur la musique et la poésie chantée. Rohmer, habituellement opposé aux musiques de films, ajoute ici des musiciens, certes jouant sur des instruments anciens, mais qui n'étaient pas là au 12e. Il s'éloigne ainsi de la vérité historique pour mieux faire connaître, pour promouvoir la culture médiévale dans une mise en scène dramatique sans concession. Il souhaite recréer un moyen âge plus authentique éloignant de la musique de Prokofiev pour Alexandre Nevski (Eisenstein, 1938) ou du Lancelot du lac de Bresson (1974) lui sont des anti-modèles.

2 - Les sources iconographiques

Le manuscrit du conte du graal n'est pas illustré. Rohmer va puiser chez des auteurs du 14e (Guillaume de Machaut) et 15e (Christine de Pizan), des manuscrits illustrés près de 300 ans après Chrétien de Troyes et donc sans rapport avec l'esthétique du XIIe.  Rohmer recherche des motifs pour les arbres, des scènes de cheval, des lits ou des rideaux. La BNF avec sa banque image permet de retrouver ses sources. Des Anciennes chroniques d'Angleterre (Jehan de Wavrin), il garde la forme rectangulaire de la table d'Arthur. Du Tristan en prose, du Lancelot du lac et du Lancelot en prose la quête du saint graal 1274 l' arbre en forme de boulle alors que le rideau au-dessus du lit vient du Dit de la Pastoure (Christine de Pizan). Dans un manuscrit de Perceval ou le conte du graal, Perceval entre à cheval chez Arthur ; la façon dont Ivanit présente la coupe vient d'une illustration d'un texte de Guillaume de Machaut.  Le Dit de l'Alérion est utilisé pour les prairies.

Ces choix seront contestés. Pour Jean-Louis Bory, les arbres sont "des choux de Bruxelles montés sur tiges". Rohmer se refuse à juxtaposer un chevalier d'époque et un arbre photographié. Il refuse le réalisme et fuit l'image photographique.Il porte une grande attention au décor en rond : Perceval pénètre à cheval car naïf, il ne connait pas les usages.

Le conte du graal est inachevé : Gauvain est laissé en plan au milieu de ses aventures, entrelacées avec celles de Perceval. A la fin du texte laissé inachevé L'Hermite apprend à Perceval la mort de sa mère. Rohmer termine  par les étapes de la passion chantée par un chœur. Le Christ est interprté par Lucchini qui porte la barbe. La fin est digne de Chaplin : Perceval s'en va continuant sa route.

Rohmer christianise ainsi le Conte du graal ce qui chez l'auteur médiéval n'est pas explicité. La scène de la lance qui saigne, écho visuel de la lance du soldat romain du nom de Longinus (en français Longin) qui perça le flanc du Christ sur la Croix à l'aide de sa lance, est montrée auparavant avec le cortège du graal chez le roi pêcheur.

3 - Sens de l'œuvre

Roman d'apprentissage, de chevalerie, d'une quête sentimentale, de la parole et de la connaissance de soi, Le conte du graal est tout cela mais, avant tout, une quête mystique, celle de l'image du Dieu de gloire. Perceval prend les chevaliers pour ces dieux de gloire qui décident de sa vocation de chevalier. D'abord, il les prend pour des diables du fait du fracas des armures puis pour des anges resplendissants. Arthur, le plus beau d'entre eux est assimilé à Dieu. A la fin de cette scène de rencontre, Rohmer introduit un écart avec le roman qui se contente d'un simple, "il prie" alors que dans le film, Perceval récite un Notre père médiéval. La fin, ajoutée par Rohmer, rend explicite le lien avec la passion. Cette lecture religieuse est sa marque la plus personnelle

Œuvre très personnelle qui n'a satisfait ni les médiévistes ni les spectateurs, Perceval le Gallois garde une grande part d'étrangeté et de mystère. L'adaptation n'est pas fidèle car elle juxtapose des esthétiques de périodes différentes. Elle permet néanmoins de défamliariser le spectateur des conventions cinématographiques jusque là appliquées à la représentation du moyen-âge.


Compte-rendu de Jean-Luc Lacuve le 22/02/2015.

 

Jeudi 12 février, 10h30 : "Mon semblable, mon frère", Rohmer lecteur d'Urfé par Marie-Gabrielle Lallemand.

Rohmer prend une carte de lecteur à la BNF à 83 ans. Il souhaite adapter l'adaptation de Zucca, très personnelle, qui n'a pu aboutir avant sa mort. Au final, il ne garde que le motif et la phrase principale : "Garde-toi bien de te faire voir à moi sauf si je te le demande"

Rohmer, lorsqu'il était professeur de lettres, avait lu des extraits de L'Astrée à ses élèves de 3e dans le Chevallier-Audiat, manuel scolaire, ancêtre du Lagarde et Michard.

Honoré d'Urfé publie les trois premières parties de L'Astrée de 1607 à 1619,  la quatrième est publiée en 1624 mais incomplète avant d'être publiée de façon posthume en 1627. En 1628, une 5e  partie est publiée par son secrétaire, Balthazar Baro. C'est une pastorale sentimentale située dans les vallées du Forez  dont la géographie lui a permis d'échapper aux invasions romaines et barbares, entre les départements de la Loire et de la Haute-Loire, près du Puy-de-Dôme. Rohmer extrait les amours d'Astrée et Céladon des multiples histoires enchâssées d'amoureux et d'amoureuses constituant une encyclopédie du sentiment amoureux, de héros plus ou moins exemplaires : la vie d'Alcippe, le père de Céladon, chevalier qui deviendra berger, de Silvie, de Phillis, la sœur d'Astrée et Lycidas, de Polémas pour obtenir la main de la princesse Galathée. Il garde les deux extrêmes en opposant Hylas, tenant des aventures multiples et  Sylvandre, fondu en Lycidas, partisan de l'amour unique.

Les bergers du Lignon s'expriment par du discours direct. Rohmer trouve cette prosopopée de l'âge baroque  plus cinématographique que les longues descriptions qui viendront dans les romans du 19e. Les dialogues d'Honoré d'Urfé ne lui semblent ni mineurs ni ridicules même s'ils ne sont pas faciles à lire  : sans  même de retours à la ligne dans l'édition originale ou des tirets permettant d'identifier plus clairement qui parle. Cela lui semble plus facile à adapter que Balzac dont, dit-il, la mise en scène (les descriptions) sera  toujours supérieure à ce que  l'on pourra faire. Dire et jouer ce texte au cinéma, dire son intériorité sentimentale à haute voix, c'est le rendre accessible (Les mémoires de Madame de Sévigné indiquent d'ailleurs, qu'on lui lisait le texte à haute voix).

Qu'est-ce que l'amour ? Suis-je aimé ? Est-ce que j'aime ? ont toujours été les grandes questions des personnages de Rohmer.  C'est le discours sur la fidélité et l'amour,  le discours platonicien sur les âmes sœurs, de Marion dans Pauline à la plage que préparait déjà son roman, Friponnes de porcelaine. Félicie et Charles dans Le conte d'hiver font preuve d'un syncrétisme platonicien et chrétien. Juxtaposé au conte moral, il y a aussi l'aspect érotique de l'Astrée. La séquence du Jugement de Pâris, Céladon voyant Astrée en partie dénudée, endormie dans une allée puis, couchant dans la même chambre, il voit "ses charmes ordinairement cachés". Les nymphes ne sont  pas surprises au bain mais un équivalent érotique est trouvé avec la finesse des voiles qui leur sert de vêtements, transparents  à contrejour. Les gravures de l'édition Vaganay (1647 1733) révèlent aussi les formes des nymphes.

Urfé met beaucoup de lui en Céladon. La pastorale nait avec Théocrite, créateur de la poésie bucolique grecque mais ici le berger de la pastorale a le même lieu de naissance que l'auteur, il n'est pas désincarné, présence dans son œuvre tout à la fois en Céladon et Sylvandre; et nul besoin pour cela de faire jouer les hypothèses du roman à clé d'Olivier Olivier Patru. cet aspect autobiographique du roman le rapproche du film le plus autobiographique de Rohmer : L'amour l'après-midi. Ma nuit chez Maud se situe à Clermont-Ferrand, lieu de naissance de Pascal, et l'insistance de Rohmer à dire qu'il n'a pas pu tourner dans la vallée du Forez, abimée par la modernité, est une façon de pointer la volonté d'ancrage de l'auteur dans son oeuvre.

Les bergers d'Urfé sont issus de familles nobles mais, dégoutés des affaires du monde, l'amour est leur principale occupation. Ce sont des personnes privées par refus d'être de personnes publiques. Aucune description du travail avec ainsi un temps illimité pour l'amour. Ce sont, comme souvent chez Rohmer, des personnes en vacances, en fin de journée en week-end. Rémy dans Les nuits de la pleine lune est urbaniste à Marne-la-vallée, il a un métier moderne dans une ville moderne, mais que fait-il ? Dans Quatre aventures de Reinette et Mirabel, on voit un garçon de café et un galeriste. Dans Conte d'automne, Magali a pour amie une vigneronne de côtes du Rhône. Dans La femme de l'aviateur, François est postier. Félicie tient un salon dans Conte d'hiver. Il n'y a néanmoins pas d'effort de documentation précis de la part de Rohmer sur les métiers; chez lui le travail reste abstrait. À la conception sociologique du XIXe, Rohmer prèfère la conception classique où la nature humaine est sans rapport avec le social ; son oeuvre à une visée esthétique plus que sociologique.

Le film ne reprend aps la fin du roman d'Urfé ; la fontaine de vérité d'amour, fontaine magique qui dit qui vous aime vraiment : son visage apparait à côté de celui qui interroge et rend les cœurs transparents. sans doute que Rohmer ne veut pas refaire le coût du Rayon vert. Dans le roman de Jules Verne, l'héritière écossaise a rencontré un jeune homme et n'a pas besoin de regarder le rayon qui rend capable de lire dans ses sentiments et de lire ceux des autres. Chez Rohmer, elle le voit et c'est la fin du film. Le mystère du cœur n'est pas révélé. Dans le roman, la fontaine est inaccessible et ils racontent leur histoire et c'est un berger qui juge, Simyrion (?). Que reste-t-il à raconter si l'on sait qui aime, plus besoin de roman ni de romancier ? La Bruyère le disait dans Les caractères : "Tout est dit et l'on vient trop tard au monde...qu'importe si je l'ai dit comme mien". En d'autres termes, ce n'est pas la nouveauté, c'est le style qui compte.

Compte-rendu de Jean-Luc Lacuve le 24/02/2015.

 

Jeudi 12 février, 11h30 : L'anglaise et le duc, l'adaptation de Journal of my life during the French revolution (1859) par Nathalie Mary.

Une critique des mécanismes de la terreur, la Révolution étant la première Première terreur moderne. Dans la "Filmographie mondiale de la Révolution française" Sylvie Dallet et Francis (Lherminier : Editions des Quatre-Vents, 1989), Rohmer ne voit aucune adaptation de récit de contemporains. Il ne veut pas quelque chose d'impersonnel et choisit Journal of my life during the French revolution de Grace Elliott, paru à Londres en 1859 et en 1861 en France avec une préface de Sainte-Beuve. Ces Mémoires de madame Elliott sur la révolution frnaçaise sont d'une authenticité douteuse. Ce journal est composé de 8 chapitres, du 12 juillet 1789 à juin 1794 et n'est pas écrit pour être publié. Son écriture est modeste. Les huit chapitres sont transformés en séquences : 3 à 10 pour 1792 avec les journées du 10 août et du 3 septembre et les séquenecs 11-21 pour 1793 avec le procès de Louis XVI et l'arrestation de Grace. Le film démare le 13 juillet 1790, lors de la fête de la convention et du retour du duc d'Orléans et se termine le 27 juillet 1794, après le journal de Grace. Marot réalise 36 tableaux pour les décors. Extraits sur fonds noir avec dialogue au style direct ou indirect. On lui apprend des choses par des discours indirects "j'aurais pu voir (un homme lui narre l'exécution, on pouvait voir).

Le point de vue de Grace est favorable au changement mais elle est terrorisée par les excès. Rohmer édulcore son rôle d'espionne pour Marie-Antoinette. Elle est proche de Charles Fox. On lui reproche les termes "populace" ou "hideuse révolution". Dans les années 1950, Camus, Blanchot, Sartre, Paulhan, Bertrand d'Astorg avaient aussi pris en charge cette réflexion sur les valeurs occidentales qui n'ont pas su empêcher la venue d'un monde de la terreur.

Compte-rendu de Jean-Luc Lacuve le 24/02/2015.

 

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