Histoires du cinéma
Shadows (John Cassavetes, 1961)
My fair lady (George Cukor, 1964)

1959 est une année-clef pour apprécier à la fois le déclin relatif d'Hollywood et les raisons qu'avaient alors Mekas et ses amis d'espérer. Pour caractériser la période 1958-1961, Luc Moullet dans les Cahiers du cinéma, parlera de "débâcle et survie", précisant aussitôt "moins de 200 films l'an". La crise se manifeste en effet d'abord en terme de production et par des chiffres éloquents : de 1957 à 1959, on passe de 300 films produits par an à 181. Après une diminution constante depuis la pointe de 1921 (854 films) -700 longs métrages en moyenne par an durant les années vingt, 500 dans les années trente, 375 dans les années quarante.

En sept ans, le public diminue de moitié : de 1951 à 1959, on tombe de plus de 4 milliards de billets vendus par an à environ 2 milliards. Dans le même laps de temps, le nombre de foyers équipés d'une télévision passe de 30 % à 90 %. Par la concentration qu'elles rendent nécessaire, les inventions spectaculaires que la technique d'Hollywood multiplie en vain pour regagner le public (Cinémascope, Cinérama, etc.) précipitent la diminution du nombre de salles (20 000 vers 1945, 11 000 en 1959).

En septembre 1959, invité par le président Eisenhower, Nikita Khrouchtchev fait un voyage spectaculaire aux Etats-Unis. Un an plus tard, John Kennedy sera élu président. Ainsi consolidée par la détente qui s'amorce avec l'Est, à peine troublée par la révolution cubaine, la pax americana, à l'extérieur garantit mieux que jamais, à l'intérieur, l'énorme déglutition des classes moyennes installées dans la société d'abondance. Le temps de la guerre froide est passé. L'Amérique se réchauffe. Du même coup, répression et censures vont se relâcher; les oppositions et les dégouts refoulés pendant les années sombres du maccarthysme vont surgir enfin et chercher à se dire. Ce sera la Beat generation. L'allusion et l'appel à cette nouvelle génération est constant dans les textes de Mekas dès 1959. Contre la "génération d'Eisenhower et de Nixon" avec ses valeurs de violence et de profit - les valeurs de la classe moyenne -une nouvelle génération d'artistes - et d'abord de cinéastes doit maintenant s'exprimer outre le choc provoqué par la découverte de Bergman et la montée d'Antonioni, trois phénomènes récents semblent permettre de ce point de vue tous les espoirs : l'exemple du free cinema anglais, la Nouvelle vague française et ce qu'on va bientôt baptiser l'école de New York.

Bien que parfois encore trop liés au théâtre et non totalement exempts de clichés, les films du free cinema dira Mekas, ont conduit au rajeunissement du cinéma commercial britannique et creusé "un large fossé entre l'ancien et le nouveau". Plus profond, plus subi, plus spectaculaire cependant, le fossé creusé par la nouvelle vague en France. Au même moment quelque chose comme une nouvelle vague américaine pointe à l'horizon new-yorkais : deux films font figure d'emblèmes: Shadows (John Cassavetes, 1958-59) et Pull my daisy (Robert Frank et Alfred Leslie, 1959)

1 - La fin de l'usine à rêve

La croisade anticommuniste du sénateur McCarthy se traduisit par une «chasse au sorcière» qui frappa le cinéma au même titre que les autres modes d’expression artistique (voir : censure). Interdits de tournage, des réalisateurs comme Joseph Losey ou Jules Dassin quittèrent le pays pour s’établir en Europe.

Dans un effort pour reconquérir un public de plus en plus attiré par la télévision, on inventa de nouveaux standards de films, tels le Cinérama, le CinémaScope, les films stéréoscopiques, le panoramique ; par ailleurs, on tourna de plus en plus en couleur et à l’étranger. Le procédé Technicolor fut peu à peu remplacé par le système Eastmancolor, puis par d’autres procédés fondés sur la technique Agfacolor à partir de 1951.

Au début des années 1960, l’ "usine à rêves" Hollywood, et les recettes qui avaient fait leurs preuves, atteignent le point mort. La carrière de réalisateurs de renom comme Alfred Hitchcock ou John Ford décline, et les stars de l’ "Âge d’or" sont mortes (Humphrey Bogart, Gary Cooper), soit sur le retour (Cary Grant, John Wayne). Les dirigeants des studios, tous très âgés comme Jack Warner, occupant ces postes depuis l’ère du cinéma muet ont perdu tout contact avec la réalité sociale d’alors

À la fin des années soixante, la disparition des derniers «nababs», les échecs retentissants de certaines superproductions (de Cléopâtre à La Bible) et une chute apparemment irréversible de la fréquentation des salles firent présager à certains la mort de Hollywood, victime d’une politique de surinvestissement aussi extravagante que ruineuse. C’était méconnaître la plasticité du cinéma américain et sa faculté d’adaptation à toute situation nouvelle.

Dès 1962, la 20th Century Fox, affaiblie par le gouffre financier de Cléopâtre, accuse un déficit record de 40 millions de dollars, tandis que la fréquentation a été plus que divisée par trois depuis 1946, pour un parc de salles réduit de moitié. La crise atteindra son maximum en 1969-1970, après un très provisoire redressement des «Major Companies» dans la voie ouverte par Darryl Zanuck qui, à peine arrivé à la tête de la Fox, s’était empressé de louer à la télévision un stock de deux cents films. On crie à la fin de Hollywood, mais le pouvoir change simplement de mains. L’intérêt des banques pour le cinéma n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que les sept Majors soient convoitées puis contrôlées en l’espace de vingt ans par des conglomérats financiers et industriels pour lesquels le cinéma ne représente qu’une activité parmi bien d’autres, depuis Universal, qui devient en 1962 une branche de Music Corporation of America, jusqu’au rachat de Columbia par Coca-Cola en 1982, en passant par Paramount, United Artists, Warner Bros, M.G.M. et Fox.

En 1967, The Big Shave de Martin Scorsese, Le lauréat de Mike Nichols et Bonnie and Clyde d'Arthur Penn sonnent le glas d'un système exsangue et ouvrent la voie au Nouvel Hollywood, grand mouvement des années 70.

The Big Shave (Martin Scorsese, 1967)
Le lauréat (Mike Nichols, 1967)

2 - Epanouissement du cinéma indépendant

Comme en Europe, dans les années soixante, un public cultivé américain, jeune, ne se reconnait plus dans la production cinématographique qui lui est proposée et permet à des réalisateurs de saisir alors leur chance.

Une plus grande liberté de ton, le recours à des caméras plus mobiles, des ruptures de ton, des effets de distanciation, des thématiques sociales plus critiques sont autant d’éléments qui apparaissaient déja avec Le petit fugitif (Moris Engel, 1953) ou On the Bowery (Lionel Rogosin, 1957).

Mais les années 60 marquent un bourgeonnement sans précedent du cinéma indépendant selon au moins cinq de ses six branches:

Six branches du cinéma indépendant US : La série B, les grands espaces, le cinéma expérimental, les fictions néoréalistes, le cinéma vérité ou direct, le cinéma noir-américain

La série B

Roger Corman intègre la 20th Century en 1948 et gravit peu à peu les échelons de la major hollywoodienne. La fondation de la compagnie American International Pictures (A.I.P.) par Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson en 1956, dédiée à la production de films indépendants à petits budgets, principalement à destination des adolescents lui permet de s'illuster comme producteur et réalisateur.

American International Pictures (A.I.P.) fonde le cinéma indépendant de série B

Tous les genres sont abordés par l'Américain, mais il se révèle à partir de 1960 avec la réalisation de films d'horreur : La petite boutique des horreurs puis huit films adaptées d'oeuvres d'Edgar Allan Poe : La chute de la maison Usher (1960) The Pit and the Pendulum (1961), The Premature Burial (1962), Tales of Terror (1962), Le corbeau (1963), The Haunted Palace (1963), Le masque de la mort rouge (1964) The Tomb of Ligeia (1964)

Derrière la caméra, Roger Corman ne s'illustre que durant une quinzaine d'années. Cette période lui permet notamment de lancer Robert De Niro dans Bloody Mama (1970) alors que comme producteur il va permettre de découvrir de nombreux talents tels que Martin Scorsese, Brian De Palma, ou Ron Howard.

Les films érotico-mammaires de Russ Meyer, les westerns de Monte Hellman, les films d'horreurs de Romero (La nuit des morts vivants, 1968) ou Le carnival des âmes (Herk Harvey, 1962) deomplètent le tableau d'un cinéma indépendant qui va rayonner .

Fictions néoréalistes

Dans le sillage du Le petit fugitif (Moris Engel, 1953) se développent des fictions néoréalistes telles The savage eye (Joseph Strick, 1960) ou Shadows (John Cassavetes, 1959) et La ballade des sans espoirs (John Cassavetes, 1962)

Le petit fugitif de Moris Engel (1953)
Shadows de John Cassavetes. (1959)

Cinéma direct ou vérité

En 1960, Richard Leacock se joint à Robert Drew pour créer Drew Associates en 1960 et il élabore en équipe les techniques du Cinéma Direct. Avec D.A. Pennebaker, Albert Maysles et d'autres, il développe les techniques du cinéma-vérité et participe aux vastes débats que ce mouvement a engendrés en France. Sa maîtrise des techniques légères font l'admiration des cinéastes comme Jean Rouch ou Mario Ruspoli. La même année, il produit le film Primary et devient le premier réalisateur à faire du « cinéma direct » en suivant au jour le jour la campagne des candidats démocrates américains Kennedy et Humphrey. En 1963, il crée avec Donn Alan Pennebaker, Leacock Pennebaker Inc.

Stanley Brakhage pousuit ses films expérimentaux après Anticipation of the night (1958) ainsi que que Kenneth Angeravec Scorpio rising (1964) et Andy Warhol avec Sleep (1963) et les huit heures de Empire (1964). Le cinéma underground nait avec Guns of the trees (Jonas Mekas, 1961).

 

Rio Bravo Howard Hawks   1959
Certains l'aiment chaud Billy Wilder   1959
La mort aux trousses Alfred Hitchcock   1959
La chevauchée des bannis André de Toth   1959
Les cavaliers John Ford   1959
Mirage de la vie Douglas Sirk   1959
Soudain l'été dernier Joseph L. Mankiewicz   1959
Pull my Daisy Robert Frank Indépendant 1959
Shadows John Cassavetes Indépendant 1959
Celui par qui le scandale arrive Vincente Minnelli   1960
La garçonnière Billy Wilder   1960
Primary Robert Drew Indépendant 1960
Psychose Alfred Hitchcock   1960
Les deux cavaliers John Ford   1961
La fièvre dans le sang Elia Kazan   1961
Un, deux, trois Billy Wilder   1961
West side story Robert Wise   1961
Guns of the trees Jonas Mekas Indépendant 1961
Les quatres cavaliers de l'Apocalypse Vincente Minnelli   1962
Miracle en Alabama Arthur Penn   1962
Quinze jours ailleurs Vincente Minnelli   1962
L'homme qui tua Liberty Valance John Ford   1962
Le carnival des âmes Herk Harvey Indépendant 1962
Les oiseaux Alfred Hitchcock   1963
Cléopâtre Joseph L. Mankiewicz   1963
Shock corridor Samuel Fuller   1963
Sleep Andy Warhol Indépendant 1963
My fair lady Georges Cukor   1964
Pas de printemps pour Marnie Alfred Hitchcock   1964
Les Cheyennes John Ford   1964
Frontière chinoise John Ford   1966

Source :

vers : le cinéma américain des années50
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