Bitters, coin perdu du Wyoming envahi par les neiges, l'éleveur Blaise Starrett, qui a autrefois nettoyé la région des bandits qui l'infestaient, s'oppose à des fermiers voulant poser des barbelés. L'un d'eux, Hal Crane, dont la femme Helen a eu une liaison avec Starrett, le défie.
Les deux hommes sont sur le point de se battre en duel quand surgit une bande de hors-la-loi poursuivis par l'armée. Leur chef, Jack Bruhn, ex-officier de cavalerie, qui souffre d'une blessure très profonde, doit être immédiatement opéré : le vétérinaire du village extrait une balle logée en pleine poitrine. D'une résistance à toute épreuve, Bruhn fait infliger une sévère correction à Starrett quand les femmes du village tentent de s'enfuir. Il cède aussi au désir de Tex et Pace, deux de ses hommes, d'organiser une fête, mais intervient quand elle commence à dégénérer.
Pour sauver le village, Starrett propose de guider la bande à travers la montagne jusqu'à Cheyenne. Il espère ainsi que les hors-la-loi s'entretueront. Loin d'être dupe, Bruhn accepte. En route, les incidents ne tardent pas à se multiplier. Tex abat son cheval blessé, obligeant Gene, le plus jeune, à lui céder le sien. Bruhn est abattu à la suite d'une chute. Bientôt, la troupe ne se réduit plus qu'à Starrett, Tex et Pace.
La nuit approchant et le froid se faisant de plus en plus vif, ils se mettent en quête d'un abri. Starrett leur fausse compagnie. Au petit jour, Pace est mort de froid. Tex, les doigts engourdis, ne peut utiliser sa carabine pour tuer Starrett. Seul survivant, celui-ci regagne le village que Gene est parvenu à rejoindre. Il l'accepte dans la communauté mais l'oblige à lui remettre son arme.
La chevauchée des bannis, titre bien meilleur que l'original, met en scène la transition entre un Far West archaïque et la civilisation incarnée par la volonté d'établissement qui passe aussi bien par le mariage que par la pose de barbelés. De Toth réalise un western inoubliable, âpre, violent, aux tensions sans cesse renouvelées qui en fait non seulement le précurseur de L'homme qui tua Liberty Valance mais aussi, et mieux que le film de Ford, le précurseur du western moderne qu'est La horde sauvage.
L'entrée des bannis
Sobrement, le film démarre par l'arrivée de Blaise Starett et de Dan son ami et associé approchant des quelques maisons de bois, une épicerie bar, un salon de barbier et la baraque du vétérinaire qui constituent le village de Bitters. La halte devant un chariot abandonné des deux hommes problématise le combat de Starett : il veut empêcher l'établissement des barbelées par le fermier Hal Crane et lui voler sa femme, Helen, qu'il n'a pu oublier durant l'hiver qui se termine. Les deux hommes s'approchent ensuite du village avec le chariot au premier plan derrière eux.
Cette façon de placer un élément de décor sans le faire intervenir de façon appuyée dans la fiction (il ne brûle pas, il n'est montré en gros plan entre deux plans de visages), caractérise l'économie de moyen constante du film. A l'explosion violence qui serait un moyen de résoudre provisoirement la tension, de Toth préfère la dilatation dans la profondeur de champ comme une souffrance qui n'en finira pas.
Le reflet dans la glace que Blaise contemple avant de descendre au matin pour brûler le chariot ne trouvera aussi sa résolution que bien plus tard. Il expliquera à Helen qu'il s'est vu comme un bandit qui ne valait sans doute pas mieux que ceux qui sont venus ensuite.
Un peu plus tard, la caméra qui suit la bouteille qui roule sur le bar ne sert pas à résoudre la tension mais la dilate sans qu'elle puisse éclater puisque Bruhn intervient avant sa chute.
La danse des bannis
Il n'est évidemment pas innocent que Bruhn intervienne juste au moment où la bouteille tombe. Bruhn et sa troupe de dégénérés est une incarnation de ce que deviendrait Blaise s'il abattait les trois fermiers. Bruhn le redit à Helen au cours du bal, s'il s'en va, elle sera veuve.
Blaise ne peut sauver les femmes de la communauté. Il échoue à les faire fuir et Bruhn lui rappel par le sang et la boue qu'il fait partie de la bande dans la séquence de la bagarre. Loin d'être l'habituel moment de soulagement du western classique, elle est ici âpre, teigneuse, sans plaisir. Elle se termine provisoirement par la victoire de Blaise sur Vause mais Bruh envoie alors Tex et Pace le "finir" pour que, roués de coups, il soit puni d'avoir favorisé la fuite des femmes.
La séquence de bal avec son interminable panoramique à plus de 360°, renforce la tension. Ce n'est pas comme traditionnellement dans le western un moment de pause où la communauté retrouve ses valeurs, où les amours naissent ou se résolvent. Non c'est l'empire des passions, presque un viol collectif si on ne l'arrêtait.
La chevauchée des bannis
Troisième temps de l'exclusion, après l'entrée refusée et la ronde sans issue, la chevauchée des bannis. Ernine a avoué à Gene qu'il n'y avait pas de passage et que leur départ était un suicide. Gene en averti Bruhn qui se laisse convaincre par Blaise qu'il vaut mieux mourir noblement que comme un porc ; qu'en agissant ainsi il racheta le crime qui l'a fait chasser de l'armée pour avoir massacré un camp mormon. Les trois hommes acceptent donc leur mort pour éloigner le danger constitué par la troupe de dégénérés sans foi ni loi. Sublime départ dans la neige et le brouillard, toute profondeur de champ coupée, sous le regard des femmes qui connaissent le destin des hommes qu'elles aiment sans pouvoir les aimer.
Sublime enfin cette chevauché dans la montagne d'abord splendide au point que Brunh espère s'en tirer puis tournant au jeu de massacre et enfin apaisée, Tex les doigts gelés s'écroulant silencieusement dans la neige sans pouvoir tirer.
Magnifique retour enfin où Blaise passe devant Bitters sans s'arrêter rejoignant son ranch où l'attendent Dan et Gene. Celui-ci épousera Ernine et Blaise acceptera les barbelés. La violence archaïque a disparue dans la montagne.
Jean-Luc Lacuve, le 23/07/2010
Bibliographie :