Guthrie McCabe, shérif de Tascosa, fait la sieste, tranquillement installé sur la terrasse du saloon de Belle Aragon, lorsqu'un groupe de cavaliers de l'armée, venant de Fort-Grant, entre dans la bourgade. Le lieutenant Jim Gary et le sergent Darius Posey se présentent à Guthrie. Ils sont venus sur l'ordre du commandant Frazer. McCabe est chargé, presque malgré lui, d'aller en compagnie du lieutenant Gary négocier avec les Indiens Comanches la restitution des prisonniers blancs qu'ils ont capturés au cours des dix dernières années.
Les deux hommes s'enfoncent en territoire indien où ils sont vite capturés. Réussissant à faire croire au chef Quanah Parker qu'ils sont venus uniquement pour faire du commerce, ils découvrent que, dans le camp comanche, quatre prisonniers blancs ont survécu. Après de difficiles tractations, ils obtiennent la libération d'un jeune blanc, Running Wolf, qui se croit un authentique Indien, et d'une jeune femme, Elena, qui fut l'épouse d'un officier américain et qui dut accepter de devenir la squaw d'un guerrier comanche.
Le retour des deux hommes, avec Running Wolf et Elena, soulève de graves polémiques. Personne, à l'exception d'une mère esseulée qui "reconnaît" son fils en Running Wolf, ne daigne recevoir dignement les deux nouveaux arrivés dans le monde des blancs. Le jeune guerrier sera victime d'un lynchage à la suite du meurtre de sa "mère". Elena, qui a enduré l'hostilité de tous parce qu'elle a été "souillée" par un Indien, sera emmenée par McCabe, qui l'épousera.
Comme dans La prisonnière du désert, Les deux cavaliers a pour thème le drame des blancs faits prisonniers par les indiens. Que sont devenues les femmes ? Qu'est-il arrivé aux enfants ? Sont-ils encore des blancs ou totalement des indiens ? Le film retrace donc le voyage d'un officier et d'un shérif tentant de récupérer des captifs blancs auprès des Comanches.
Quelques années plus tôt, le shérif aurait été un homme généreux et accomplissant ce qui lui semblait être son devoir. D'emblée le shérif McCabe faisant sa sieste sous le porche de la prison renvoie à l'image du Wyatt Earp de My darling Clementine.
Mais à la générosité de ce dernier font place le cynisme et la cupidité. Ici, le personnage de McCabe, pourtant joué par l'incarnation même de la droiture et de la justice, James Stewart, reconnaît qu'il touche 10 % sur tout ce qui se passe à Tascosa. Et, discutant du problème des prisonniers de Quanah Parker, il évalue à cinq cent dollars le prix de chacun et il se met d'accord avec Henry Wringle pour lui fournir contre mille dollars un prisonnier susceptible d'être le fils de Mrs Wringle afin de calmer définitivement cette dernière et de permettre à son mari de refaire rapidement des affaires. Tout ceci alors que le valeureux lieutenant Jim Gary ne gagne que quatre-vingts dollars.
Mais le cynisme de McCabe n'est pas sa nature profonde. Simple adepte de la real politic, cet ancien aventurier ne fait que s'adapter à l'évolution sociale ; la situation de shérif lui permettant de profiter sans risque du pouvoir économique.
Il est ainsi difficile de suivre Patrick Brion lorsqu'il conclut que Ford atteint ici les limites d'une déromantisation de l'univers du western comme de l'Amérique et du héros fordien. "Tourné en 1956, La prisonnière du désert était un western à la fois lyrique et inquiet. Cinq ans plus tard, Les deux cavaliers est un film tragique et crépusculaire."
Il nous semble tout au contraire que Ford s'est débarrassé de tout idéalisme. C'est ce que ne manqueront pas de souligner ses deux films suivants et dès à présent ce que ressent le commandant de Fort-Grant : "Seul Dieu a le droit de jouer à être Dieu".
Nul amertume pourtant dans ce renoncement, ni même un goût pour la soumission au confort bourgeois présenté par la séduisante et autoritaire Belle Aragon. Plutôt un désir d'ailleurs et un goût pour les cultures exotiques (espagnole, mexicaine et indienne) qui fait de ce film le précurseur de La taverne de l'Irlandais.
A tous ces colons figés dans l'espoir de retrouver ceux qui on disparu et qui iront jusqu'au lynchage, Ford oppose l'humour, très présent dès les première scénettes (le réveil de la ville, la veuve enceinte, les joueurs renvoyés à leur diligence, les ivrognes buvant à leur liberté, l'échange des bières) et le goût du présent. Ainsi ce célèbre plan fixe où McCabe et Jim Gary, assis au bord de la rivière, parlent nonchalamment de leur vie durant trois minutes et quarante-cinq secondes, pimenté par des dialogues nonchalants et brillants :
- Depuis peu, elle m'appelle "Guth". J'ai 'abord cru qu'elle avait
quelque chose de coincé entre les dents mais ça venait de plus
loin. Elle a parlé mariage.
- Non ! C'est affreux, mariage ! (...).
- Elle porte un poignard dans la jarretière.
- Je sais.
- Comment le sais-tu ?
- Tu viens de me le dire. (...)
- Elle s'y est prise en me demandant pourquoi je me contentais de 10 % de
ses revenus alors qu'elle m'en offrait la moitié. Je touche 10 % de
tout à Tascosa.
- Quel escroc !
- Ca fait partie du boulot de marshal. Je ne peux pas vivre avec la paie d'un
marshal : 100 dollars par mois.
- C'est 20 de plus que moi.
- Je sais mais bon regarde-toi ! Tu te satisfais de peu. Moi, je suis un peu
plus exigent.
- Foutaises !