D'un livre du Don Quichotte illustré par Gustave Doré sortent Don Quichotte et Sancho Penza. Aujourd'hui, assis sur un banc de Porto, mais toujours revêtu de son armure, Don Quichotte, pense encore certainement à ses aventures anciennes. Surgit alors devant lui, couronné de ses lauriers, Luís de Camões qui veut lui parler des grandes défaites que le vieillard du Restelo évoque et qu'avec une ironie jamais égalée, Don Quichotte représente. "La mer a engendré les Lusiades et l'humain Don Quichotte". Et, de la mer, sort un exemplaire des Lusiades alors que le générique défile.
Luís de Camões dit qu'aux victoires peuvent succéder les déroutes comme celle de l'invincible Armada qu'évoque Don Quichotte écrit seize ans après cette défaite. Inutile de lire au roi Dom Sebastiao Les Lusiades : la défaite d'Alcacer Kibir illustre le jugement du vieillard du Restelo et montre la force d'un destin de perdition. Ces deux déroutes illustrent la fin de la chevalerie et le déclin de la puissance navale ibérique. Et Quichotte s'en va attaquer les moulins. Off, Teixeira de Pascoaes dit, s'approchant du banc où il s'assoit entre Camões et Don Quichotte : Camões eut la chance après les Lusiades de les lire au roi Dom Sebastiao avant qu'il ne parte pour l'expédition d'Alcacer Kibir.
Mais sur le champ de bataille, le roi refusa d'encourager ses troupes. Alors que la défaite s'annonce il dit "Oh gloire de commander, o vaine avidité de cette vanité appelée renommée. O le goût frauduleux que maintient agité une aura populaire. Quel châtiment, quelle justice, fais-tu régner pour qui t'adore ? Que de morts, de périls et combien de tourments, combien de cruauté lui fais-tu endurer ?". Alors que l'ennemie attaque, il disparait.
Le vieillard du Restelo qui apparait dans mes Lusiades, dit Luís de Camões, est un homme expérimenté qui redoute ce qui vient s'opposer à la gloire comme imposée par le destin. C'est l'âme que Cervantès voit comme une étoile : la péninsule dans cet effet, comme dans toute pensée qui nous domine, ne peut s'extérioriser qu'artistiquement. L'œuvre d'art est une projection de la faune et de la flore crées dans notre intimité. Une œuvre lyrique est un jardin ; une œuvre un jardin zoologique avec des rugissements de tigres et des chants de sirènes.
Apparait alors le quatrième personnage qui reste debout devant les trois autres : Camilo Castelo Branco. Camilo, séduit par la vie portugaise, a toujours dédaigné le point de vue humain ; déteste la patrie, déteste la famille. Ils sont à mes yeux la corde du bourreau. Lorsque l'on parle ma langue, je crois entendre les imprécations du bourreau. La lumière de mes yeux s'éteint mais je veux voir le ciel dans mon dernier regard. Son personnage d'Un amour de perdition supplie : "Ne me demande pas de subir dix ans de prison, sauve toi si tu peux, renonce au destin d'un grand malheureux..."
Teixeira de Pascoaes s'en prend à Camilo pour avoir écrit des destins trop mécaniques qui manquent d'âme et de passion. Il vénère le Quichotte don de la statuaire grecque, de Phidias, aux ibériques. Camões, Homère et Cervantès sont au sommet de la pyramide érigée par Hugo. C'est eux qui ont inspiré le jeune Camilo. Notre littérature a deux visages comme la fontaine en pierre de Tras-Os-Montes ; ce sont les deux faces de ce vieux monde celto-arabes baigné par l'Atlantique et le Sahara. L'Espagne, désert avec deux oasis, la Galice et la Catalogne, terre pleine de mystère pour Goya Camilo et sainte Thérèse qui appartiennent au christ et au diable. Ainsi la vie de Camilo qui enleva Ana Placido une femme mariée pour vivre avec elle qu'il mais dit, désabusée : "L'amant n'est pas meilleur que le mari". Camilo connut ainsi une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider en 1890 avec un revolver, assis sur son rocking-chair, réconforté peut-être par le destin que lui avait prédit une sorcière : il sera le plus grand des écrivains.
Et les Lusidiades replongent dans la mer et les quatre personnages de méditer sur la vanité des choses qu'avait perçues le vieillard du Restelo, Don Quichotte sautant du moulin à vent se retrouva, illustré par Gustave Doré, les quatre fers en l'air; c'est ainsi que se referme ici le livre de Cervantès.
Nouvelle méditation de Oliveira sur la force des destins de perdition. Elle réunit, sur un banc de Porto aujourd'hui, les fantômes de Don quichotte, héros espagnol de toutes les défaites, et de trois grands écrivains portugais.
C'est d'abord Luís de Camões qui vient s'entretenir avec Don Quichotte des grandes défaites. Don Quichotte représente les déroutes avec une ironie jamais égalée. En revanche, le vieillard du Restelo, un des personnages de ses Lusiades, les redoutaient comme inévitables. Elles étaient pour lui comme ce qui succède à la gloire imposée par le destin. Celle de l'invincible Armada qu'évoque Don Quichotte écrit seize ans après cette défaite et la défaite d'Alcacer Kibir illustrent d'ailleurs bien la fin de la chevalerie et le déclin de la puissance navale ibérique.
Teixeira de Pascoaes est le plus mordant des quatre personnages du récit. C'est sardonique qu'il remarque que Camões eut la chance de lire les Lusiades, poème épique nationaliste dédiées au roi Dom Sebastiao avant qu'il ne parte pour l'expédition d'Alcacer Kibir. L'extrait de Non ou la vaine gloire de commander illustre en effet cette défaite consentie par le roi qui marqua le déclin de l'empire portugais.
Luís de Camões se défend en évoquant son vieillard du Restelo qui justement était conscient de cette face cachée de la gloire. Don Quichotte a alors une illumination en voyant concomitamment une étoile dans le ciel. Cervantès voyait l'âme comme une étoile inaccessible qui nous domine par sa grandeur et contraint à ne s'extérioriser qu'artistiquement. La conscience de la grandeur de l'Espagne et du Portugal ont aussi conduit à de grands poèmes et romans. Ce qui vient de l'extérieur à été recueilli dans l'âme : "L'œuvre d'art est une projection de la faune et de la flore crées dans notre intimité. Une œuvre lyrique est un jardin ; une œuvre un jardin zoologique avec des rugissements de tigres et des chants de sirènes".
Le quatrième personnage, Camilo Castelo Branco, ne s'assoit pas sur le banc. Sa vie a été aussi tragique que celles des héros de ses oeuvres. Cela n'empêche pas Teixeira de Pascoaes de le critiquer comme trop mécanique dans la présentation de ses tragédies et de préférer la filiation portugo-gréco-espagnole : Camões, Homère et Cervantès sont au sommet de la pyramide érigée par Hugo.
Ils concluront toutefois que la littérature portugaise a besoin de deux visages comme la fontaine en pierre de Tras-Os-Montes comme Goya ou sainte Thérèse partagés entre Dieu et le diable ou, comme le disait le vieillard du Restelo, de la victoire et de a défaite.
Jean-Luc Lacuve le 12/04/2015
compléments
Le vieillard du Restelo comporte des extraits de Amour de perdition (1979), Non ou la vaine gloire de commander (1990), Le jour du désespoir (1992) et Le cinquième empire (2004) et du Don Quichotte de Grigori Kozintsev (1957)
Luís Vaz de Camões, dit « le Camoëns », est un poète portugais, né vers 1525, mort le 10 juin 1580 à Lisbonne. Auteur de poèmes dans la tradition médiévale (redondilhas) ou pastorale, de sonnets inspirés de la Renaissance italienne, et particulièrement de l'épopée nationale des Lusiades (en 1572 mais peut-être déjà achevée en 1556), Camões est considéré comme le plus grand poète du Portugal et fait l’objet d’un culte de la part du peuple portugais en général, et de gens de lettres en particulier, à l'instar de Shakespeare. L’épopée des Lusiades est associée au renforcement du sentiment national portugais et a contribué à son essor. Son œuvre peut être comparé à celles de Virgile, Dante ou Shakespeare.
Teixeira de Pascoaes : Écrivain portugais (1877–1952). Issu du groupe Renascença Portuguesa, il inspira (1912-1917) un mouvement esthétique et doctrinaire, le Saudosismo (le « Nostalgisme »), proche de l'esthétique symboliste et considéré comme un développement du mysticisme panthéiste de la « génération de 70 ». Comme d'autres écrivains de sa génération, Pascoaes part d'un sentiment de frustration patriotique. Avec lui, l'apologie de la saudade, traditionnelle dans le lyrisme portugais, est élevée au rang d'intuition ethnique (Maîtresse de la nuit, 1909 ; le Fou et la Mort, 1913 ; Élégie d'amour, 1924) : le monde de l'imagination est le seul réel, le reste n'est qu'ombre vaine.
La vie agitée de Camilo Castelo Branco (1826- 1890), Camilo, comme on l'appelle affectueusement, a été aussi riche en événements et aussi tragique que celle de ses personnages : fils naturel d'un père noble et d'une mère paysanne, il est très tôt resté orphelin. Marié à seize ans avec Joaquina Pereira, il connut d'autres passions tumultueuses, dont l'une le mena en prison : celle pour Ana Plácido qui devait devenir sa compagne. Fait vicomte de Correia-Botelho en 1885, pensionné par le gouvernement, il connut cependant une fin de vie des plus pénibles : perclus de douleurs et devenu aveugle, il finit par se suicider en 1890 avec un revolver, assis sur son rocking chair