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Copie conforme

2010

Thèmes : Le couple, La grâce

Cannes 2010 : prix d'interprétation pour Juliette Binoche Avec : Juliette Binoche (Elle), William Shimell (James Miller), Gianna Giachetti (La patronne du café), Jean-Claude Carrière (L’homme de la place), Agathe Natanson (La femme de la place), Adrian Moore (Le fils), Angelo Barbagallo (Le traducteur), Filippo Troiano (Le marié), Manuela Balsimelli (La mariée). 1h46.

James Miller, un séduisant écrivain anglais quinquagénaire, donne à Arezzo en Toscane, à l'occasion de la sortie de son dernier livre, Copie conforme, une conférence ayant pour thème les relations étroites entre l'original et la copie dans l'art. Une jeune femme est venue solliciter des dédicaces mais doit attendre la fin de la conférence afin de pouvoir les obtenir car l'orateur est déjà en retard. Son jeune fils de treize ans, impatient de sortir, ne lui donne pas le loisir d'écouter la conférence et elle fait transmettre à l'orateur, par son traducteur, une invitation pour le lendemain.

Julien, le fils de la jeune femme, d'origine française, avait faim. Dans le fast-food où ils déjeunent, Julien ironise sur le comportement de sa mère : sur les six exemplaires du livre de James qu'elle a achetés, sur son envie probable de revoir "ce type", sur son refus d'un autographe pour lui avec son nom de famille.

Le lendemain dimanche, James se rend chez la jeune femme qui tient une galerie d'art près de l'université où il a dormi. Il se laisse mener par sa guide n'ayant rien à faire d'autre qu'à reprendre son train à neuf heures du soir. La jeune femme décide donc de l'emmener à une demi-heure de voiture de là, dans le village de Lucignano, tout à la fois pour prendre un café, profiter du paysage et lui montrer, lui dit-elle, une surprise qui l'intéressera.

En voiture, la jeune femme demande à James de lui dédicacer les six exemplaires de Copie conforme qu'elle a achetés pour des proches.. plus ou moins proches. Ainsi, trois seulement auront droit à une dédicace particulière dont sa sœur, Marie. C'est sa sœur qui avait remarqué le livre dans la librairie et en avait immédiatement acheté un exemplaire, attirée par le sous-titre commercial du livre "Une bonne copie vaut mieux que l'original". Pour Marie en effet, la copie vaut mieux que l'original, du moins en matière de bijoux : un bijou en toc produit le même effet qu'un vrai bijou et procure bien moins de soucis. La jeune femme reproche à James de tenter la même démonstration dans le domaine de l'art mais de le faire de façon bien moins naturelle : Marie vit cette thèse que James ne fait que la prêcher. L'écrivain admire aussi cette position, qu'il dit d'ailleurs éprouver pour lui-même dans la vie, tout en faisant remarquer que sa thèse est un peu plus complexe. S'il défend la bonne copie c'est dans la mesure où elle renvoie, mieux qu'un original défraîchi, à l'idée originale de l'artiste et à la vie même. Une copie de La Joconde est moins originale que celle peinte par Léonard qui n'est pourtant aussi qu'une copie de Mona Lisa. L'homme conclut-il n'est pas capable comme les animaux de rechercher simplement le plaisir. Nais le genre humain se distingue heureusement des animaux réplique la jeune femme. Elle aime réfléchir et ne se sent aucunement simple d'esprit. Pour la calmer, James se propose de rajouter un mot particulier sur le livre destiné à Marie. Mais, sans que l'on sache ce qu'il a écrit, ce que découvre la jeune femme la met en colère

Pour détendre l'atmosphère, James propose de raconter une blague à la jeune femme : un naufragé dans une île découvre une lampe magique dont sort un génie qui lui propose d'exaucer trois de ses vœux. Le naufragé, presque mort de soif, réclame alors une bouteille de Coca-Cola qui ne se viderait jamais. Le génie exauce son vœu et donne une bouteille de Coca-Cola que le naufragé boit d'un coup... et qui se remplit immédiatement. Le génie lui demande alors ce qu'il souhaite pour ses deux autres vœux. Alors, termine, dans un éclat de rire moqueur, la jeune femme qui connaît la chute "deux autres bouteilles de Coca-Cola !" Un peu dépité par sa blague tombée à plat, James tient néanmoins à donner la morale de cette histoire. Bien heureux ceux qui se contentent d'être heureux avec ce qu'ils ont sans souhaiter davantage. Et la jeune femme de renchérir en parlant de sa sœur Marie qui se contente de son mari paresseux et va jusqu'à trouver sublime qu'il soit bègue et n'en finisse pas de la nommer : MMMMMarie

Etant tombé d'accord, le couple regarde le paysage somptueux devant eux. Mais, bientôt, James ré-embraye sur la dispute philosophico-artistique et affirme que sa thèse sur la dépréciation de l'original trouve une confirmation dans l'art moderne avec Jasper Jones ou Andy Warhol qui reproduisent des bouteilles de Coca-Cola dans des œuvres qui n'ont de valeur que parce qu'elles sont exposées dans un musée et transformées ainsi en œuvre d'art par le regard du public. Le vingtième siècle a désacralisé l'objet d'art : ce qui importe c'est le regard. La jeune femme marque son dédain pour cette thèse qui ne vaut que pour des artistes très connus et n'est pas à la portée des autres. Mais, heureusement, le couple est arrivé à Lucignano

Il y a foule sur la place, foule de mariés car, comme l'explique la jeune femme, nombreux sont ici les jeunes gens qui viennent se marier sous la protection d'un arbre d'or qui promet des unions heureuses.

Alors que James demande à la jeune femme si c'est ici qu'elle s'est mariée, le téléphone de celle-ci sonne. C'est son fils qui lui demande l'autorisation de se rendre là où il le souhaite avant un cours reporté d'une heure Elle se plaint de l'irresponsabilité des enfants. James en fait l'éloge : ils savent cueillir l'instant présent. Certes, répond la jeune femme, mais seulement parce que les parents sont là pour les protéger.

Ce n'est pas l'arbre d'or que la jeune femme est venue montrer à James mais un tableau particulier du musée, un vrai faux du XVIII, "la copie originale", copie d'une fresque romaine napolitaine, qu'un riche toscan demanda à un artiste de recopier et qu'il fit passer pour une œuvre de la Renaissance. James se montre toutefois peu intéressé par ce qui illustre pourtant parfaitement sa théorie. Son livre est fini, explique-t-il, et il désire maintenant passer à autre chose.

Déçue, la jeune femme entraîne James près de l'arbre d'or et lui demande de poser avec un jeune couple auquel elle a raconté qu'ils étaient venus pour leur quinzième anniversaire de mariage. James résiste de même qu'il résiste à la demande du marié mais finit par se laisser entraîner par la mariée.

La jeune femme entraîne maintenant James au café et lui demande de parler de ce qui a motivé l'écriture de son livre, il y a quelques années, lors d'une première visite à Florence. James lui raconte alors l'étrange histoire d'une femme qui s'adressait à son fils de huit ans pour lui parler de la statue du David de Michel Ange sur la place de la seigneurie (Piazza della Signoria). Cette femme, il en avait observé l'étrange manège depuis son appartement, elle s'éloignait de son enfant, regardait s'il la suivait puis allait un peu plus loin recommencer le même manège lorsqu'il s'approchait. Il avait été ému de les trouver là, rassemblés sur la place de la seigneurie, ému aussi par la verve de la jeune femme cachant à son fils qu'il s'agissait d'une copie du David, l'original ayant été déplacé, pour le protéger, à l'Accademia. Alors qu'il termine son histoire, la jeune femme acquiesce : oui ce jour là sur la place de la seigneurie, elle était bien fatiguée et une larme coule sur sa joue. James n'a pas le temps de parler davantage ; son téléphone sonne et il sort parler dans la rue….

La patronne du café fait alors remarquer à la jeune femme qu'ils forment un beau couple et, la complimentant sur la qualité de son italien, lui demande depuis combien de temps elle vit en Italie. La jeune femme répond qu'elle y vit depuis cinq ans, d'abord à Florence puis à Arezzo. La patronne lui demande si son mari parle aussi un peu italien. Pas du tout, répond la jeune femme, qui lui explique qu'elle et française et que l'anglais est la langue de son mari. La patronne la félicite de parler ainsi trois langues et déplore le peu d'efforts que fait son mari pour parler une autre langue que la sienne. Il n'est pris que par son travail répond la jeune femme et la laisse seule bien trop souvent. Ce sur quoi la patronne embraye sur le fonctionnement des couples, les femmes s'occupant d'organiser la vie domestique alors que les hommes sont absorbés par leur travail, dans le meilleur des cas, par leurs maîtresses, autrement. Les hommes travaillent sans mesure alors que les femmes le font avec modération se plaint la jeune femme. Même le jour de son mariage, il s'était montré désinvolte sur la vie quotidienne ne s'étant pas rasé sous prétexte qu'il ne le faisait qu'un jour sur deux. La patronne trouve la jeune femme bien exigeante alors que son mari, loin de faire une égoïste grâce matinée, la promène un dimanche matin et lui raconte des histoires. La jeune femme se rebiffe trouvant qu'il n'est pas normal que les hommes s'occupent aussi peu des tâches domestiques et de l'éducation des enfants.

James rentre dans le café et accepte la proposition de la patronne de lui remplacer son café froid par un chaud. Surpris par la gentillesse de cette proposition, la jeune femme lui explique que la patronne les a pris pour mari et femme et qu'elle ne l'a pas détrompée. "Nous formons un beau couple" lui fait remarquer James. Quand la patronne lui demande s'il parle un peu français comme sa femme, il répond, un peu dépité, qu'il a appris le français au lycée mais qu'il ne lui en reste que peu de chose. Puis, à une dernière question de la patronne sur la fracture que cela risque d'entraîner, il répond, désinvolte, que lui mène sa vie de son coté et que sa famille mène la sienne du sien. Cette remarque ne pouvait pas plus mal tomber, après le sentiment d'abandon de la part des maris qu'avait exprimé précédemment la jeune femme. Ainsi, sortant du café commence-t-elle à se mettre en colère contre James.

Mais, de nouveau, le téléphone de la jeune femme se met à sonner. C'est encore son fils qui ne trouve pas un objet important pour ses devoirs. Elle finit par le lui faire trouver au fond d'un tiroir, puis la conversation finie, se tourne vers James en lui disant qu'il n'est jamais là et qu'il pourrait partager un peu avec elle l'éducation de leur fils.

Le couple arrive alors sur une place fréquentée de Lucignano où la jeune femme reproche à James de ne jamais être là, toujours en voyage, en conférence et de ne jamais s'occuper de la vie de leur couple. S'il est tant absorbé par son travail, qu'au moins, il lui explique la beauté de cette statue au milieu de la place. James s'y refuse, trouvant la statue quelconque. En colère, la jeune femme, s'en va alors trouver des gens qui pourront confirmer la beauté qu'elle ressent pour cette statue et aborde un couple de septuagénaires qu'elle vient présenter à James.

C'est de la femme du couple que la jeune femme attend confirmation de son impression et elle la force un peu à dire à James que ce qui est beau dans cette statue, c'est la force de l'homme qui donne sa protection à la femme qui a posé sa tête sur son épaule. Alors que les deux couples vont se séparer, le vieil homme prend James à part et lui dit que, bien que beaucoup moins cultivé que lui, il se permet de lui donner un conseil car il pourrait être son père. Ce qu'il a retenu de leur conversation, c'est que sa femme n'attend qu'une chose de lui : la même demande de protection qu'offre la statue. Pour la rendre heureuse, il suffirait que James pose la main sur son épaule.

James est un peu interloqué mais quand, après avoir exprimé son envie de déjeuner à la jeune femme, elle le conduit vers une petite auberge, il pose sa main sur son épaule.

Dans l'auberge, il tente de passer commander en italien. Mais, vu l'heure tardive, on refuse de lui servir autre chose que du vin, ce qu'il accepte finalement. Un dialogue s'échange en français, la jeune femme se disant heureuse d'être ici alors que pour leur quinzième anniversaire de mariage, il s'était comporté d'odieuse manière oubliant cet événement en rentrant, fatigué, se couchant près d'elle en ronflant. James tente d'atténuer la faute, repiquant, en français, qu'il était seulement fatigué et que tout cela n'était pas bien grave.

La jeune femme s'en va alors aux toilettes. Elle se maquille puis essaie deux paires de boucles d'oreilles se décidant pour des blanches. Lorsqu'elle retrouve James à table, celui-ci est très énervé et veut s'en aller. Le serveur l'ignore alors que le vin qu'il lui a emmené est bouchonné. La jeune femme lui reproche de ne pas savoir prendre plaisir à l'instant présent, d'avoir toujours négligé les bons moments qu'ils auraient pu passer ensemble. Ainsi ce quinzième anniversaire de mariage. James s'en va puis revient.

Il lui reproche alors aussi d'avoir été très fatigué ce jour où elle faisait le voyage Rome Florence, avec leur fils. Quelqu'un lui a mis les mains sur les yeux en lui faisant "coucou qui est là" et elle s'est endormie. C'était bien plus grave de s'endormir sur la route que lui dans son lit après quinze ans de mariage ! Dépité, en colère, James veut quitter l'auberge et dit maintenant mourir de faim. Il s'éloigne pendant que, de la vitre de l'auberge, le couple de jeunes mariés fait des signes à la jeune femme qui leur souhaite beaucoup de bonheur.

Dehors, elle tend un morceau de pain à James en gardant un pour elle-même. Elle va alors dans une pharmacie prendre une aspirine et se rend dans l'église de Lucignano. James entrouvre la porte et la distingue, agenouillée. Il laisse sortir de l'église un couple de vieillards qui se soutiennent mutuellement l'un l'autre, bientôt suivie de la jeune femme qui les suit pour aller s'asseoir sur les marches d'un petit hôtel. James la rejoint. Il l'interroge sur sa halte à la pharmacie et l'église et désire savoir pourquoi elle priait. Elle lui répond qu'elle se sentait oppressée. Elle ne priait pas dans l'église mais retirait son soutien-gorge qui l'empêchait de respirer. Puis la tête sur son épaule, la jeune femme lui demande s'il se souvient de l'hôtel où ils passèrent leur nuit de noces ; tout près d'ici dit-elle. James a du mal à s'en souvenir et lui en désigne un, au hasard, devant eux.

La jeune femme entre alors dans l'hôtel derrière eux et demande au concierge de lui donner la clé de la chambre neuf où elle prétend avoir passé sa nuit de noces quinze ans plus tôt. James la suit. La jeune femme lui demande s'il se souvient de la vue, de la place qu'il occupait dans le lit. James se penche à la fenêtre, vient s'allonger près d'elle... et lui rappelle qu'il doit être à neuf heures à la gare. "Reste, reste ; ce sera mieux pour toi et mieux pour moi. Les voisins, les petits vieux m'ont fait envie. On pourrait être heureux en étant indulgent avec les défauts de l'autre. Reste J-J-James". Une larme coule à nouveau sur la joue de la jeune femme alors que James est parti aux toilettes.

James se lave les mains en se regardant dans la glace alors que des cloches d'église sonnent à toutes volées. Dans un dernier geste, il se recoiffe et ouvre la porte. Les cloches apparaissent alors dans l'embrasure de la fenêtre qu'il vient de quitter. Durant le générique, le plan des cloches se maintient alors que le ciel s'obscurcit jusqu'à la nuit.

En transposant la subtilité de son cinéma iranien dans le bain lumineux de la Toscane autour d'un couple franco anglais, Kiarostami réalise sans doute son plus grand film. Après une première partie de comédie sophistiquée de haute volée, aux dialogues brillantissimes sur les rapports entre la saisie du réel au travers d'une œuvre originale ou de la copie de celle-ci, le film bascule pour incarner la théorie jusqu'alors développée. Il devient alors une comédie sentimentale bouleversante : le couple n'est qu'une copie de couple mais renvoie, mieux qu'un vrai, à ce qu'est la réalité d'une vie de couple.

A jouer avec le faux, on découvre le vrai, voilà sans cesse ce que nous apprennent les personnages des films de Kiarostami depuis Close-up jusqu'à Shirin. Il n'est ainsi nul besoin d'aller imaginer que l'histoire de ce couple, qui n'a qu'une journée devant lui pour s'inventer, aurait réellement commencée quinze ans auparavant. Il sera toutefois nécessaire de discuter ce point tant les interprétations qui laissent subsister la possibilité d'une histoire ancienne, que Kiarostami nous révélerait soudainement, empêchent d'apprécier les ambiguïtés plus subtiles du film et le jeu dangereux que mène la jeune femme, Elle, pour aller jusqu'au bout de son désir.

C'est en se servant de leur expérience commune de la vie de couple que la femme et l'homme, Elle et Lui, vont se parler de leur passé, vider les rancœurs et les aigreurs, les malentendus qui ont jusqu'ici gâché leur vie respective pour, peut-être, donner naissance à un couple tout aussi jeune mais bien plus lucide que les jeunes mariés qui viennent demander la protection de l'arbre d'or.

Kiarostami ne cesse de répéter qu'il ne connaît pas le cinéma de Rossellini. Film bouleversant et fondamental sur le couple, Copie conforme est pourtant d'une certaine manière la reprise de Voyage en Italie. D'autant plus que la grâce surgit aussi, à la fin, comme un miracle que l'on n'attendait plus.

Faux et vrai mystères

Sans doute sommes doute tellement habitués aux films pliés en deux autour d'un axe mensonge et vérité (De Mulholland drive aux Femmes de mes amis) que l'on se pose ici aussi la question de savoir si, comme sur les résumés du film que l'on trouve un peu partout, Kiarostami maintient une incertitude sur le fait que le couple aurait pu se connaître avant la rencontre d'Arezzo.

Certes, il est possible d'imaginer que le couple se connaît depuis quinze ans et que dans toute la première partie, il joue à ne pas se reconnaître ou que Kiarostami nous mystifie sur leurs relations réelles.

Dans ce cas, Julien, âgé d'environ treize ans, pourrait être le fils de James, le couple s'étant marié, comme la jeune femme le dit de sa propre histoire, il y a quinze ans. James s'avoue un fils, mais cela n'en fait pas pour autant celui de la jeune femme. Si fils il a, c'est probablement celui qui est mort dans un accident de voiture alors que sa femme s'était assoupie au volant, ainsi qu'il le raconte dans l'auberge. Le seul argument un peu ambigu est la brève phrase, difficilement audible, entre Julien et sa mère dans le fast food où celui-ci s'étonne qu'elle ait refusé pour lui un autographe avec son nom de famille.

Pour justifier une ancienne vie de couple commune entre la jeune femme et James on trouve aussi l'anecdote sur la barbe rasée un jour sur deux énoncée par la jeune femme dans le café en l'absence de James et sa reprise par celui-ci lorsqu'il est assis sur les marches de l'hôtel où ils passeront la nuit.

Ces arguments en faveur d'une paternité non assumée et d'une ancienne vie de couple tiennent difficilement. Julien a vu James et ne le considère pas comme son père. De plus, les rapports transparents qu'il entretient avec sa mère rendent peu probable un tel mensonge. Et ce d'autant plus que, dans sa galerie d'art, la jeune femme téléphonait au père de Julien au sujet d'un cadeau d'anniversaire de leur fils.

Si le couple se connaît depuis quinze ans cela détruit aussi la bien plus mystérieuse histoire d'une première rencontre à Florence, il y a cinq ans. La première larme qui surgit sur le visage de la jeune femme est consécutive à son aveu que, oui, ce jour là sur la place de la seigneurie, elle était bien fatiguée dans sa volonté d'expliquer la beauté du David de Michel Ange à son fils. Il est bien plus émouvant de penser que James a pu voir une première fois la jeune femme à Florence cinq ans avant.

Factuellement rien d'impossible à cela. La jeune femme a indiqué être en Italie depuis cinq ans et avoir été d'abord domiciliée à Florence avant de gagner Arezzo. Son fils devait alors être âgé de huit ans et elle s'adressait à lui en français comme l'indique James. Que celui-ci n'ait pas reconnu dans la jeune femme celle qui l'avait marquée au point d'écrire son livre à partir de cette histoire cinq ans auparavant est cependant difficilement crédible. Le couple mère-fils formé par la jeune femme et son fils est donc probablement une copie du couple qu'à vu James. La copie est néanmoins tellement vraie qu'elle tire une larme des yeux de la jeune femme qui y reconnaît une situation intense vécue par elle.

Une histoire d'amour sur un seul jour

La beauté du film tient en effet en grande partie au parcours dangereux mené par la jeune femme pour obtenir l'amour de l'homme qui l'a séduit. Kiarostami déploie en effet dialogues brillants, commentaires sur l'art, jeu du faux, mystères persans et intervention de la grâce, pour mieux mettre en valeur un trajet extrêmement simple : celui qui va conduite une jeune femme à aller jusqu'au bout d'elle-même pour séduire un homme en une journée.

Julien avait bien noté que sa mère était attirée par James et qu'elle avait l'intention de revoir "ce type". Ensuite, la jeune femme se réjouit de ne pas y croire d'avoir obtenu que James soit avec elle dans sa voiture. Le jeu de la séduction commence pourtant plutôt assez mal puisqu'ils ne sont d'accord sur rien, sur l'art ou sur l'éducation des enfants. Leur intelligence respective les conduit néanmoins à aimer discuter. Ensuite, les stratégies pensées par la jeune femme pour séduire James devant le tableau de la "copie originale" ou l'arbre d'or sont des échecs. Et il faudra l'intervention de la patronne du café, sa méprise sur les relations entre James et la jeune femme pour que s'insinue en cette dernière l'idée de jouer au couple avec James. C'est celui-ci qui marque le début du jeu avec sa phrase "Nous formons un beau couple". Dès lors, il accepte que la jeune femme lui reproche de mal élever leur enfant, fasse semblant de lui passer "leur fils" au téléphone et l'appelle "mon chéri".

Ensuite, toutes les ressemblances, depuis la barbe rasée un jour sur deux jusqu'aux disputes incessantes sur l'éducation des enfants ou les oublis des anniversaires de mariage ne sont que des apports amenés par les deux acteurs de ce jeu de la séduction pour se parler d'eux, de leur passé, de leur présent et de leur futur possible.

La séquence sur la place est un nouvel échec de la stratégie amoureuse de la jeune femme. Elle échoue à faire dire à James qu'il trouve beau la protection offerte par l'homme à la femme. En revanche son acception de parler italien après le français dans l'auberge, le fait qu'il assume leur jeu la conduit à la fameuse séquence du maquillage dans les toilettes de l'auberge où elle se propose de dire à son "mari" qu'"elle s'est faite belle pour lui". Mais elle retrouve James de mauvaise humeur et doit de nouveau renoncer à sa stratégie. Exténuée, oppressée, elle se rend à la pharmacie et à l'église avant une ultime tentative sur les marches de l'hôtel. Et là, à bout de forces, seule la grâce parvient à la faire triompher.

La grâce comme dans Voyage en Italie

Alain Bergala a théorisé l'apparition de la grâce au cinéma par "le scénario de la double détente". La grâce n'est pas seulement un happy end. Pour fonctionner comme telle, elle doit avoir été préparée au préalable. Elle frappe ainsi une première fois, vainement, avant de se révéler au héros qui l'accepte alors.

La fois où la grâce frappe ici vainement c'est lorsque James pose la main sur l'épaule de la jeune femme, conformément à ce que lui a appris le vieil homme. Certes l'auberge aurait pu être le lieu de la réconciliation, mais l'heure avancée dans l'après-midi et la qualité du vin en décideront autrement.

Cet échec de la grâce, c'est le même que la découverte des corps de Pompeï de Voyage en Italie ou l'apparition du Christ dans Bad lieutenant. Kiarostami, par le choix de Jean-Claude Carrière, scénariste de Bunuel et fin connaisseur des subtilités théologiques, pour interpréter ce vieux sage ; par le travelling circulaire sur le groupe puis l'apparition dans la profondeur de champ de la statue jusqu'alors soigneusement cachée et surtout par la captation de la lumière toscane de cinq heures du soir, confère à cette séquence une tonalité magique propre à la manifestation de la grâce.

La seconde manifestation de la grâce a lieu, comme dans Voyage en Italie ou Bad lieutenant, dans la dernière séquence du film, et alors que la jeune femme a perdu tout espoir. James quitte la salle de bain de la chambre où l'attend la jeune femme. Vont-ils rentrer pour le train de neuf heures ou faire l'amour et créer un couple ? Lorsque James a quitté la jeune femme sur le lit, la première hypothèse semblait presque certaine. Pourtant, le son des cloches à toutes volées semble le faire changer d'avis. Lorsqu'il quitte le plan, le fait que ce soient les cloches, juste derrière la place qu'il occupait avant, qui continuent de sonner, matérialise l'existence de la grâce. Le ciel qui s'obscurcit pourrait en donner le sens. James et la jeune femme n'étant pas montrés sortant de l'hôtel, on peut en déduire qu'ils y sont restés et qu'une histoire d'amour va débuter entre eux.

La grâce refusée
la grâce bientôt accordée

Ces deux séquences de la grâce, d'abord refusée puis finalement accordée sont soigneusement mises en parallèle par Kiarostami. L'échec de la première puis la réussite de la seconde, ont lieu toutes les deux dans des toilettes, celles de l'auberge puis celle de l'hôtel. La lumière du soir, la main posée sur l'épaule auraient pu être suffisants. Et la jeune femme y croit lorsqu'elle se rend dans les toilettes pour essayer ses boucles d'oreilles préparant sa stratégie : "ta femme s'est faite belle pour toi" . Cette séquence est suffisamment emblématique pour qu'elle serve d'unique bande-annonce au film et d'affiche. Cette séquence de jeu, trop consciente où Juliette Binoche excelle dans ce jeu théâtral qu'elle prépare, est filmée avec des persiennes vertes en arrière plan qui resteront définitivement closes, signe de la grâce refusée.

La séquence de la grâce accordée est filmée dans les toilettes de l'hôtel. Ce n'est qu'une fois James sorti du cadre où il était filmé en gros plan que l'on découvre les cloches et les persiennes, pareillement vertes, ouvertes pour laisser voir les cloches de la grâce.

Discrétion de la mise en scène

L'intervention de la grâce dans un film a rarement été aussi discrète. Kiarostami ne prêche pas comme la jeune femme reproche à James de le faire dans son livre. Il n'appuie pas sur le fait que ce couple soit une copie du "couple original " comme la faux renaissance du musée de Lucignano. Jamais il ne fait dire aux personnages qu'ils s'amusent bien à jouer à la copie. Kiarostami signale seulement l'ambiguïté du jeu lorsque James et la jeune femme ont un peu de mal à continuer le jeu qu'ils ont décidé de mener : un "mon chéri" lancé comme une amorce de jeu, la séance de maquillage comme la préparation d'un acte suivant de la pièce.

La mise en scène de Kiarostami consiste à briser la linéarité du récit, à lui faire emprunter des zigzags pour permettre des bifurcations possibles afin de donner une chance nouvelle aux personnages, leur permettre d'échapper à leur destin tracé en ligne droite pour inventer le leur.

Nombreux sont aussi les coups de téléphone qui viennent interrompre, briser une situation qui semblait connue d'avance. James reçoit deux appels. Le premier, durant sa conférence initiale, permet de mettre à distance le contenu très intellectuel pour se focaliser sur la situation dans la salle. Le second maintient l'ambiguïté sur la rencontre de Florence et permet d'amorcer le jeu puisque c'est au retour que James lancera le fameux "Nous formons un beau couple". La jeune femme est également appelée deux fois par son fils, permettant d'incarner le thème de l'éducation des enfants dans la conversation.

La présence d'une réalité poétique qui dépasse celle à laquelle sont confrontés les personnages est également marquée de façon discrète. Ce sont les reflets d'Arezzo sur la vitre de la voiture, l'apparition de la statue dans la profondeur de champ ou l'apparition au premier plan de la mariée attendant son tour devant l'arbre d'or, obstinée et accrochée à sa volonté de bonheur comme la jeune femme. Les larmes de la première annoncent celles que versera la seconde. Comme les petits vieux se soutenant l'un l'autre qui sortent de l'église préfigurent la vieillesse de James et de la jeune femme.

Le cinéma n'est qu'une copie du réel mais la copie à une valeur propre si elle nous permet de reconnaître dans ses personnages de fantaisie tout ce qui nous rattache à la vie. Le cinéma de Kiarostami va bien au-delà d'une simple identification à des personnages ou une situation. II travaille le retour à l'origine du couple. Tous les couples aperçus à Lucignano comme celui que vont peut-être former James et la jeune femme ne sont que des copies du couple original. C'est en travaillant à ce retour à l'universel du couple dans un chemin exténuant vers la grâce que Copie conforme bouleverse.

Jean-Luc Lacuve le 25/05/2010

L'office du tourisme d'Arrezzo propose : de Lucignano à Cortona : sur les traces de Copie conforme (148 € par personne en B&B avec piscine pour 2 nuits, 2 dîners 1 entrée au Musée Municipal de Lucignano ; 1 billet pour le Musée Etrusque de Cortona; 1 carte de voyage). Si l'arbre d'or se situe bien dans le musée de Lucignano, la Muse Polimnia, la "copie originale", se trouve au musée étrusque de Cortona.

Lucignano et son Musée
avec l'arbre d'or
Muse Polimnia
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