Jecheon, été 2008. Ku Kyung-nam arrive au Festival de cinéma de Jecheon, où on lui a demandé de faire partie du jury. Il est accueilli par Gong Hyeon-hee, jeune femme responsable des relations publiques et par deux jeunes gens, étudiants bénévoles, supposés veiller à ses besoins. Après avoir remercié les bénévoles et leur avoir promis de prendre un verre avec eux plus tard, Ku Kyung-nam est réprimandé de façon inattendue par Gong Hyeon-hee, qui lui reproche de faire une promesse qu'il ne tiendra pas.A peine est-il arrivé à son hôtel que sa maîtresse l'informe qu'elle ne pourra le rejoindre. Trop des critiques qu'elle connaît seront là et elle préfère rester à Séoul.
Ku, à l'âge de quarante ans, ne peut plus échapper à l'étiquette de "réalisateur art et essai". Il est félicité pour sa mise en scène par les autres membres du jury : une actrice connue, un réalisateur américain et un critique de cinéma, mais il rêve de pouvoir enfin faire le film qui intéressera deux millions de personnes. En attendant, alors que les autres jurés assistent à leur première projection, il reste dans son hôtel pour se reposer afin d'être "suave avec tous" pour la fête du soir.
Le soir, Ku participe ainsi à la fête et semble intéresser Oh Jeong-jee, une jeune actrice décidée à faire des films sérieux après une carrière de star du porno. Mais celle-ci le délaisse bien vite pour le cinéaste Kim. Celui-ci fut jadis très respectueux du talent de Ku. Après trois films, il a aujourd'hui dépassé Ku en notoriété et le festival lui consacre une rétrospective de son œuvre.
La fin de soirée est bien arrosée dans la chambre de Kim, qui part néanmoins se coucher le plus tôt. L'actrice célèbre s'éclipse alors que Gong fait un concours de boisson avec Oh, l'actrice porno. Gong part vomir dans les toilettes. Oh, très saoule, veut aller dormir dans la chambre de Kim. Ku et le critique l'en empêchent et la reconduisent dans sa chambre. Kim entend Gong vomir dans ses toilettes.
Le lendemain, au sortir de la projection où tous se sont un peu endormis, Ku est abordé par un ancien ami, Bu, qu'il n'a pas revu depuis huit ans et qui lui fut autrefois très dévoué. Celui-ci l'invite chez lui à 40minutes de là dans une maison un peu délabrée et lui présente sa femme, son âme soeur, Yushin. Ku se moque un peu de la prétention de celle-ci de se croire en accord avec elle-même après un stage payant assez cher chez un gourou.
Au milieu de la nuit, Ku est réveillé par les pleurs de la femme de son amie. Son mari est mort et elle accuse Ku de l'avoir trop fait boire. Ku la console, lui promet le mariage, et couche avec elle. Au matin, Ku est réveillé par les ronflements de son ami. Il comprend qu'il a rêvé et reste sans réagir devant la porte de la douche où Yushin se lave. Bu s'étonne que sa femme ne soit pas encore debout et le raccompagne au festival.
Ku s'endort au festival et reçoit les offres de service de l'actrice célèbre pour travailler avec lui. Il reçoit aussi une lettre d'insulte de son ami et s'en va chez lui tenter de régler le malentendu. C'est un échec et son ami lui jette une pierre au visage.
Ku décide alors de quitter le festival en emmenant les DVD qui lui permettront de juger les films. Mais il se fait prendre à parti par Gong Hyeon-hee qui l'accuse de l'avoir laissée seule dans la chambre de Kim après qu'elle se soit saoulée. Restée sans protection, elle s'est fait violer et ne veut plus jamais revoir Ku.
Douze jours plus tard, Ku est sur l'île de Jeju pour donner une conférence, à la demande de son ancienne école de cinéma. Devant quelques étudiants, il raconte sa carrière, mais est pris à partie par une étudiante acerbe. Ku répond que si elle ne comprend pas le film, c'est de sa responsabilité. Contrairement aux séries qu'elle regarde, il n'y a pas de message clair dans ses films, au mieux sont-ils ambigus. "Je me lance dans un processus créatif sans idée préconçue ; j'amasse les pièces que je découvre et je les assemble dans un tout.Il se peut que le résultat ne vous plaise pas mais je crois que tout ce qui est précieux dans la vie est libre. Trouver quelque chose de neuf, apprécier le présent".
Le directeur l'entraîne ensuite au restaurant, avec les étudiants. Ku exprime à nouveau la liberté de suivre ses désirs. Il gagne trois bras de fer avant de perdre avec le responsable administratif du festival, M.Yhang. Assez tard, leur ancien professeur, Yang Cheon-soo, devenu un peintre renommé, les rejoint. Ils vont dans un karaoké, Ku dont l'alcool a libéré la parole déclare qu'il doit sa carrière à yang qui lui dit autrefois : "Tu ferais un mauvais peintre, pourquoi ne deviens-tu pas réalisateur ?"
Ils vont ensuite boire dans la chambre de Ku. Yang, héros de la soirée déclare que faire de l'art c'est essayer de créer quelque chose de neuf pour les sens. Le plus important, c'est d'essayer de vivre sincèrement, selon ses convictions, non pas celles des autres. Lorsqu'il va se coucher, l'étudiante acerbe le suit dans la chambre et tous entendent ses cris de jouissance. Ce qui provoquera la colère de Goh, le directeur de l'école, qui reproche à Ku la soirée de débauche chez lui.
Le matin, Yang repasse le voir. Le vieil artiste s'est remarié mais sa jeune épouse n'est autre que Ko Sun l'amour de jeunesse de Ku. Il l'invite chez lui et Ku et Ko se mettent d'accord pour ne rien dire au vieil artiste de leurs amours passées. Ko dit avoir connu plusieurs hommes dans sa vie et vivre désormais avec un vrai homme pour qui elle a du respect. Elle semble satisfaite de sa nouvelle vie. Alors que Ku s'apprête à partir, il découvre une lettre de Ko qui lui dit "J'aimerais savoir si nous pourrions être plus qu'amis."
Ku aperçoit alors Yang à la gare maritime s'apprêtant à partir en voyage. Profitant de son éloignement, il décide donc de retourner voir Ko. Ils vont être amants mais ils en sont empêchés par un voisin qui débarque en pleine chambre à coucher pour empêcher l'adultère de se commettre. Le voisin a ramené deux acolytes dans le but de châtier Ku. Mais, lorsqu'il appelle Yang au téléphone pour le mettre au courant de son infortune, celui-ci pense surtout à ne pas perdre sa jeune épouse qui s'en est allée d'ailleurs tranquillement sur la plage. A Ku, qui voudrait qu'elle parte avec lui, elle lui dit "Pourquoi n'admets-tu pas que tu ne sais pas tout ?"
Le titre français, Les femmes de mes amis, risque d'induire les spectateurs en erreur. Le titre coréen, traduit au premier plan du film par le sous-titre "Tu ne sais pas tout" et le titre international "Like you know it all" renvoient à l'interrogation sur le degré de connaissance que l'on peut avoir sur la psychologie humaine, sur les relations entre les hommes et les femmes et à comment l'on s'arrange avec cette connaissance partielle. Sujet subtil, léger et drôle, magnifiquement mis en scène, mais bien loin du courant mainstream de la comédie d'adultère que suggère le titre français.
Hong Sang-soo superpose trois niveaux de récit. Le premier raconte le parcours plein d'humiliations de l'antihéros cinéaste. Le second, dans une optique rohmérienne, met en scène le décalage entre la parole du jeune antihéros cinéaste et la réalité mystérieuse et opaque à laquelle il est confronté. Le troisième niveau de récit oppose les stratégies féminines qui s'accommodent de ces béances du réel aux atermoiements masculins.
Une satire des milieux du cinéma
Hong Sang-soo développe autour des milieux du cinéma et particulièrement du cinéma d'art et d'essai une auto-ironie extrêmement efficace.
C'est Ku, alter ego de Hong Sang-soo quant à sa position dans le cinéma coréen qui le plus maltraité. Il donne une cause noble à son déplacement à Jecheon ; soutenir de jeunes cinéastes talentueux pas connus. Mais, le premier coup de fil qu'il passe alors que les autres jurés assistent déjà à leur première projection est pour sa maîtresse qui avait promis de venir le rejoindre. Celle-ci travaille aussi dans le milieu du cinéma et prétexte d'un travail important à faire avec des critiques pour ne pas rejoindre son amant. Ensuite Ku sera plus préoccupé de ses affaires personnelles pour regarder convenablement les films et s'endormira lors des projections. Seule l'actrice célèbre, partie la première de la soirée bien arrosée, parviendra à garder les yeux ouverts.
Dans la vie privée, seule la notoriété compte quant à ses possibilités de séduction. Ku intéresse ainsi l'actrice porno avant qu'elle ne le délaisse pour Kim et réussit finalement à coucher avec ce dernier. Ku n'est le héros de la soirée dans l'île que parce qu'il gagne au bras de fer et est bien vite détrôné par le peintre célèbre.
Ku ne parvient pas à convaincre l'étudiante de la qualité de son cinéma. Elle dit ne rien comprendre à ses films. Ku lui dira pourtant justement qu'il fait d'abord des films pour lui-même, pour s'arranger avec le réel. Si elle ne comprend pas, c'est son affaire. Il n'y peut rien.
Le professeur de cinéma est en prise avec les problèmes administratifs et ne peut faire venir que ses connaissances proches pour un maigre cachet. Il pense surtout à draguer ses étudiantes en évitant que ses élèves lui manquent de respect dans les soirées où il se mêle à eux.
Le critique insiste un peu trop pour mettre en difficulté Ku qui n'a
lu que très superficiellement une critique dont il ne se souvient plus
que très vaguement.
Une réalité mystérieuse et opaque
En contrepoint de ce premier niveau de ce récit ironique, Hong Sang-soo va mettre son antihéros en position encore bien plus délicate. Rohmer avait l'habitude d'opposer le discours de héros s'abusant de leur discours et la réalité, souvent bien différente de la vision qu'ils en avaient et que dévoilait la caméra. Hong Sang-soo met aussi souvent en scène des héros bavards, artistes aimant parler de leur art, amoureux au discours volubile, soudain face à une réalité qui leur échappe totalement, opposant une situation qu'ils croient douce et délicate à une situation violente ou humiliante qu'ils n'ont pas vu venir... surtout lorsqu'ils ont trop bu !
La première surprenante intrusion du réel dans l'imaginaire de Ku est la réaction sèche et brutale de Mlle Gong à sa vague proposition de payer un verre aux deux bénévoles du festival. Mais celle-ci n'est rien en comparaison de la vague de colère qui submerge Gong lorsqu'elle apprend à Ku qu'elle a été violée dans les toilettes de sa chambre une fois que tous l'ont abandonnée alors qu'elle vomissait.
C'est Kim qui a profité que Gong soit saoule pour coucher avec elle contre son gré. Celle-ci endormie par l'alcool n'a pu se défendre. Ku reste interloqué par cette situation qu'il ne comprend qu'a posteriori alors qu'il vient lui-même de vivre une situation difficile. Durant la nuit, il a en effet rêvé avoir couché avec la femme de son ami. Le croyant mort et s'en sentant responsable, il aurait ainsi prouvé à sa "veuve" qu'il était bien décidé à devenir son nouveau mari. La photo du couple sur la table de chevet dans le rêve, accrochée au mur dans la réalité et le réveil se fait dans la même position que le premier, couché de travers sur la peluche, sont des marqueurs classiques du rêve. Plus ambiguë est la situation au réveil. Ku s'installe devant la douche et regarde les sous-vêtements abandonnés de Yushin sans réagir. Probablement l'a-t-il vu sortir nue et, maladroit comme il est, a dû effrayer la jeuen femme,facilemen effarouchée. C'est en larmes (on les entend à travers la vitre quand Bu raccompagne Ku le matin) qu'elle a dû expliquer la situation à son mari. Tous deux ont décidé que Ku était coupable. Ku ne parviendra pas à se faire entendre de son ami en colère qui lui jette la pierre de lave à la figure.
Un film coupé en deux.
Les femmes de mes amis est construit sur une répétition de situations qui introduit un sentiment d'inquiétante étrangeté. Le film est en effet coupé en deux, un carton introductif, même ritournelle musicale, même plan d'attente le nez en l'air puis un chauffeur qui passe prendre le pain.
Durant son séjour à Jecheon puis dans l'île de Jeju, Ku rencontre, à chaque fois une ancienne connaissance, marié à une femme qui le rend heureux ce qui le conduit à ne jamais inviter personne chez lui. Une circonstance particulière conduit le héros à coucher avec la femme de son ami dont il est alors follement amoureux. Les deux fois, Ku repart seul avec le souvenir d'une pierre de lave et d'une séance sexuelle énigmatique dans des toilettes après une soirée trop arrosée.
Ces parallèles subtilement mis en scène maintiennent le sentiment d'une réalité étrange et opaque car Hong Sang-soo ne s'en sert pas pour faire grandir moralement son héros dont la psychologie, appuyée par la répétition, s'affirme ainsi, devient une sorte d'archétype. Comme le critique en fait le compliment à Ku, on peut remercier Hong Sang-soo de nous dévoiler par le cinéma un invariant de la psychologie humaine : se bercer de perceptions magnifiées par son imaginaire pour rester à l'abri d'une réalité bien plus complexe.
Tu ne sais pas tout
Lorsque Ku est invité par son vieux maître Yang Cheon-soo, c'est en effet au sortir d'une nouvelle soirée bien arrosée qui s'est finie étrangement. L'étudiante brune s'est éclipsée aux toilettes bientôt suivie par Yang. Des sons de jouissance provenant des toilettes n'ont alors échappé à personne dans la chambre, ni aux étudiants, ni au professeur ni à Ku. Celui-ci les a pourtant oublié le matin lorsqu'il est convié par Yang à venir chez lui. Se répète alors le trajet en voiture et la réception amicale dans une demeure entièrement vouée à l'amour conjugal et fermée aux invités, excepté Ku. Celui-ci a pourtant reconnu en Ko son ancien amour de jeunesse mais, échaudé par son expérience récente, Ku se met d'accord avec Ko pour ne pas parler de leur passé devant le vieux maître... surtout qu'il a vu, sur l'étagère derrière lui, une pierre de lave qui ressemble étrangement à celle que lui a jetée à la figure son désormais ex-ami de Jecheon.
Revenu chez lui, Ku se fait prendre à parti par son "ami" professeur qui lui reproche d'avoir laissé dégénérer la soirée chez lui. Son étudiante proclame partout qu'elle a fait l'amour avec Yang ce qui risque de nuire à la réputation de celui que tous vénèrent sur l'île. Ku perçoit surtout dans cet appel, la jalousie du professeur qui aurait bien aimé coucher avec son étudiante.
Lorsque Yang et Ko ramènent Ku à la gare maritime, ils font d'abord halte dans un restaurant où Ko raconte sa vie sentimentale, les trois hommes qui ont marqué sa vie, omettant d'y inclure Ku et donnant le beau rôle à Yang. Ku se venge alors, probablement inconsciemment, en interrogeant le vieux mari sur la fréquence de ses rapports sexuels avec Ko. Yang répond très modestement qu'il a passé l'âge d'en avoir. Ko est furieuse mais Ku se méprend sans doute sur les raisons de sa colère, effectivement due à la grossièreté de la question plus qu'à ce que suppose de frustration la réponse de Yang.
Mais lorsque Ku revient voir Ko après la lettre qu'elle lui a écrite, il se pense en territoire conquis et lui ressort le discours de son ex-ami sur la nécessité de trouver l'âme soeur. Ko est cependant bien plus complexe que l'âme soeur frustrée qu'il s'imagine qu'elle est. Après leur rapport sexuel interrompu et alors que les quatre hommes frustrés s'expliquent en avertissant Yang, Ko se masturbe tranquillement dans sa chambre (c'est ce que les sons perçus du salon laissent entendre) et les domine de toute sa nonchalante hauteur lorsqu'elle quitte la pièce.
Quelques heures plus tard sur la plage, elle fera comprendre à Ku, qui lui ressort son discours d'un absolu amoureux incarné par l'idée de l'âme soeur, qu'il ne la comprend pas. Elle lui déclare qu'elle n'a pas une toile d'araignée entre les cuisses et qu'il a tort de la croire frustrée. Si elle s'ennuie un peu, elle s'accorde quelques escapades amoureuses qui ne nuisent pas, loin s'en faut, à son équilibre. Elle a confiance dans la sagesse de Yang. Le ciel, la plage et le soleil lui donnent entièrement raison.
Les plans de la grenouille au bord de la piscine ou de la chenille sur la route disaient que le règne animal suit son chemin dans une forme étrangère au sens. C'est cette même obstination tranquille à suivre son chemin qui guide Ko et qui sera à jamais étrangère à Ku l'intellectuel... et probablement au spectateur critique trop à l'affût du sens. Merci Hong !!
Jean-Luc Lacuve le 12/5/2010.