Mars 1945, en Amérique du Sud. Un détachement de militaires vient annoncer à des chercheurs de diamants européens qu'ils n’ont plus le droit d'exploiter la montagne. Un arrêté du gouverneur Roberto Guzman a en effet nationalisé l’extraction de diamants. Sous la conduite d'Alberto, le plus décidé d'entre eux, les européens vont protester, armes à la main, dans le petit village où le capitaine Ferrero commande la garnison. Celui-ci exige qu’ils rendent leurs armes avant de négocier. Devant leur refus, il s'apprête à tirer sur eux. Dans la confusion qui suit, surgit Shark, un aventurier, qui s'interpose avec désinvolture entre les deux camps. Il rejoint le bar du coin où il fait la connaissance de Maria, sourde et muette, qu'il importune en marchant sur les lacets de ses bottines pour l'immobiliser face à lui. Castin, le père de Maria, un brave Marseillais qui a maintenant accumulé suffisamment de diamants pour rentrer en France, s'interpose. Il a 68 ans et guère les moyens d’impressionner Shark
Shark demande un bon lit à l'aubergiste qui, complet, lui donne une adresse où il devra néanmoins payer un bon prix. Shark découvre une chambre vide où il somnole bientôt. Il est réveillé par Djin, la prostituée qui occupe la maisonnette. Ils font rapidement affaire, non sans que Shark ait imprudemment révélé qu’il porte une fortune sur lui.
Au petit matin le capitaine Ferrero vient arrêter Shark et lui prendre le portefeuille qu'il a sur lui. Shark insulte Djin, complice de Ferrero. Le capitaine le dépouille de son argent en prétextant le vol d'une banque à proximité. Pire, il est reconnu comme auteur de l'attaque par Chenko, le propriétaire d'un bateau de contrebande et lui aussi complice de Ferrero. Il craint dès lors d'être abattu durant le trajet vers la capitale de l'état.
Pendant ce temps les européens ont décidé de se battre et mènent une escarmouche tuant un soldat alors qu'un des leurs, blessé, est fait prisonnier. Le père Lizardi s'oppose à cette violence "qui vit par le glaive périra par le glaive". Castin a lui d'autres projets : rentrer en France avec sa fille et épouser Djin. Castin demande à Alberto d'intercéder en sa faveur. Celui-ci fait valoir ses arguments à Djin il est honnête, d'une bonne famille et espère ouvrir un restaurant. Djin n'a que faire de ces rêves de respectabilité et seule la perspective d'un décès rapide de Castin, qui a 68 ans, pourrait la faire fléchir.
Ferrero a décidé de fusiller le prisonnier blessé pour intimider les chercheurs de diamants. Le père Lizardi vient le visiter en prison. Shark est enfermé dans la même cellule. Devant la naïveté du père, il décide de s'en faire un allier et encourage le prisonnier à se confesser. Pour cela, la porte de la prison doit être ouverte et Shark en profite pour tuer les gardiens et s'enfuir. Le prisonnier est exécuté. Cela ne calme pas la foule bien au contraire qui entame un combat inégal avec l'armée. Mais Shark fait exploser la poudrière de la forteresse, anéantissant la garnison. Castin, qui a couru au milieu de la fusillade, trouve refuge chez Djin qui accepte de le laisser entrer
Le lendemain le colonel Sandoval décide de l'exécution de quatre otages si Castin, censé être le meneur des Européens, et Shark ne se livrent pas dans les 24 heures. Le père Lizardi court chez Maria et, voyant la photographie de Djin, court chez celle-ci. Il y trouve bien Castin mais celui-ci, qui n'a jamais été le meneur de quoi que ce soit, refuse bien entendu de se rendre. Les européens ont décidé de livrer Castin, dont la tête est mise à prix 5000 pesos, aux autorités et tentent d'enfoncer la porte de Djin. Lorsqu’ils y préviennent, ils découvrent Lizardi dans sa chambre et s'en amuse, allant chercher Castin autre part. Celui-ci sort de sa cachette et remercie Lizardi, effondré par la perte de sa réputation. Djin qui sait par Chenko que leur position n'est plus tenable depuis l'arrivée du colonel, propose à Castin de fuir avec elle sur le bateau de Chenko. ; Castin comprend que la fuite est compromise et donne Djin sa fortune en diamant lui demandant de veiller sur Maria
C'est ainsi que Maria, Djin le père Lizardi qui doit évangéliser les indien des santa Rosalia, montent à bord du bateau de Chenko. Djin vient annoncer à Castin, caché comme passager clandestin, que le départ est imminent. Shark parvient aussi à s'agripper au bateau. Chenko le menace de son arme mais Castin l'assomme et Shark prend le commandement de la petite troupe avec pour objectif de gagner le Brésil voisin. Ils sont cependant pris en chasse par le hors-bord beaucoup plus rapide de Ferrero. Il ne leur reste plus qu'une solution: abandonner le bateau et s'enfoncer dans la forêt vierge. Seul Chenko connaît la route et c'est lui qui, sous la contrainte, guide la petite troupe en portant la nourriture. Le soir, le père Lizardi plaide pour qu'on ne ligote les mains de Chenko que sur son ventre afin qu'il puisse bien dormir et les guider le lendemain. Chenko s’enfuit dans la nuit avec la nourriture et ramène avec lui la troupe de Ferrero. Shark l'a vu approcher et le tue d'un coup de fusil. Ferrero renonce à poursuivre plus avant, persuadé que la jungle aura raison des fugitifs
La jungle est impitoyable et les fugitifs tournent en rond. Ils sont prêts à succomber, lorsqu'ils découvrent l'épave d'un avion. Castin, devenu fou, jette ses diamants, tue Lizardi et Djin avant d'être abattu par Shark qui, sur un canot pneumatique, tente, avec Maria, de gagner le Brésil.
Bunuel accepte cette coproduction Italiano-franco-méxicaine en pleine période mexicaine. C'est son deuxième film en couleur après Robinson Crusoé et il a déjà dirigé George Marchal dans son film précédent, Cela s'appelle l'aurore. Luis Alcoriza, son scénariste, dont c'est la huitième et avant dernière participation aux films de Bunuel (dont El et Los Olvidados) adapte un livre publié en 1954 de José-André Lacour.
Un faux film d'aventure
La coproduction française impose des stars pour pouvoir vendre à l'international. S'expliquent ainsi les présences, outre celle de Georges Marchal, de Simone Signoret et Charles Vanel. En revanche, Michel Piccoli, alors peu connu, intrigue pour obtenir le rôle du père Lizardi. Ce sera une vraie rencontre qui préfigure la période française de Bunuel. Pour Piccoli, Bunuel change le film et transforme le père Lizardi, 45 ans et rondouillard dans le livre, en un fringuant trentenaire.
Bunuel se donne les moyens de se réapproprier plus complètement encore cette coproduction internationale. Il se lève à deux heures tous les matins pour écrire des scènes qu'il fait réécrire en bon français au petit matin. Il fera aussi venir Queneau pendant quinze jours. Bunuel transforme ainsi un scénario humaniste en un film aux personnages singuliers amenés à évoluer. On est ainsi bien loin du film d'aventure où des personnages proches de stéréotype s'accommodent de scènes d'action qui sont mises en valeur.
Malgré ses modifications, le tournage se limitera à 25 jours, Bunuel privilégiant les recadrages à l'intérieur de plans relativement longs ce qui évite de multiplier de nouvelles installations lumière pour chaque plan.
Un vrai film de Bunuel
Ce pourrait être un film de John Huston réalisé par Luis Bunuel ; l'argent corrupteur comme dans Le trésor de la sierra Madre, l'aventure comme dans African Queen. Ce pourrait aussi être un film de Stroheim et, le sac de Lizardi remplaçant celui de Marnie, un film d'Hitchcock.
C'est pourtant un film profondément bunuelien avec une tonalité naturaliste qui fait toujours ressentir le monde primitif et archaïque sous les mondes sociaux de circonstance, ici un petit groupe d'aventuriers dans la jungle brésilienne. Si dans l'Ange exterminateur la nature faisait intrusion dans un salon, c'est ici un salon qui va se constituer dans la jungle.
Les obsessions de Bunuel seront ainsi nombreuses ici. Les bottines de Maria dont les lacets permettent à Shark de l'immobiliser rappelent celles du Journal d'une femme de chambre. L'il crevé du gardien avec un stylo plume, évoque celui du Chien andalou ou l'aiguille dans le trou de la serrure pour percer l'il de l'éventuel voyeur de El. Simone Signoret en brodeuse comme dans Le fantôme de la liberté alors que les fourmis sur le serpent rappellent les fourmis de L'âge d'or. Le tout dans un scénario dipien, où la plus fragile partira avec l'homme le plus fort qui aura au préalable tué son père.
Le plan sur les Champs-Elysées avec leur circulation
et les sons afférents alors que l'on est dans la jungle depuis une
demi-heure est un effet sonore comme dans L'âge d'or alors que le film est très classique. Castin parle de Marseille et Bunuel balance
les Champs-Elysées de Paris, la ville où Bunuel a vécu
et qu'il adore.
La religion, dernier stade de la civilisation
Les grands pouvoirs symboliques et institutionnels que sont l'armée et l'église sont les premiers attaqués par Bunuel. Si l'armée fait l'objet d'un doigt d'honneur par George Marchal, le traitement de l'église au travers du père Lizardi fait l'objet d'un traitement plus subtil.
Dès son apparition, Lizardi, avec sa chasuble de prêtre, possède une grande élégance, costume colonial blanc avec chapeau et bottes et la montre, offerte par Les raffineries du nord, symbolise son attachement au pouvoir économique. Il bénéficie d'une scène de présentation glorieuse qui marque son emprise sur le débat qui s'est engagé au sein des ouvriers révoltés. Dans le dialogue qui s'engage entre ceux-ci et lui, symbole du pouvoir, il n'y a pas de champ contrechamp mais lui en plan large ou lui toujours en plan rapproché : il reste au milieu du plan et de face lorsque ce sont les autres qui parlent.
Pourtant Bunuel avait prévenu Piccoli : "Ton personnage c'est un con, il rate tout ce qu'il entreprend". Il ne devient un héros émouvant que lorsque, au milieu de la jungle et perché sur un arbre, on le découvre ayant renoncé à ses habits de prêtre. Il abandonne aussi sa condition de prêtre pour devenir un homme ordinaire lorsqu'il déchire son missel pour allumer le feu.
Ce jardin n'est ainsi pas un jardin d'Eden sauf peut-être pour Shark et Maria qui parviendront à en être chassés. Lizardi a renoncé aux valeurs catholiques pour y survivre. Le serpent, chair arrachée au monde primitif, y retourne, emporté par la vermine, mangé par les fourmis. Les beaux habits trouvés dans l'avion ne feront illusion guère plus longtemps, leurs porteurs mourront, retournant à l'états primitifs tout comme les cadavres de l'accident jamais montrés qui ont dû être dévorés
Décomposition charnelle mais aussi d'un état de civilisation, La mort en ce jardin sent la pourriture du monde primitif.
Jean-Luc Lacuve, le 28/05/ 2010.
Editions Montparnasse. Juin 2010. . |
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