Les performances Untitled event, en 1952, à laquelle participe John Cage, et Robert Rauschenberg ; Howl d'Allen Ginsberg en 1955 et 18 Happenings in 6 parts d'Allan Kaprow en 1959 sont les jalons les plus importants de l'art performatif qui nait dans les années 50 aux USA et se développe avec le mouvement Fluxus au début des années 60. L'art performatif est l'héritage d'une succession de mouvements et va se déployer largement en Europe durant les années 60 et jusqu'à aujourd'hui.
Les prémisses de l'art performatif naissent dès les années 1910, sous l'impulsion de l'expressionnisme qui revendique le primitivisme (1-1). Le corps entre en scène de manière progressive et constitue un enjeu historique et sociétal qui dépasse, de loin, la seule représentation. Il en est de même pour les futuristes (1-2) et les performances du mouvement Dada (1-3), pour l'école fonctionnaliste du Bauhaus (1-4) et le surréalisme (1-5). Les années 1950 voient la libération des corps dans l'art et notamment avec l'abstraction lyrique qui apporte un renouvellement du vocabulaire des formes (1-6).
Dans les années 50, events, happenings ou performances mettent en jeu le corps, le temps et l'espace à la fois aux Etats-Unis (2-1) et en France (2-2). L'art ne s'exprime plus dans un objet mais permet au corps de s'exprimer. Le corps s'affranchit des lieux de légitimation pour partager de l'intelligence, de l'expérience, une construction de soi. Les choses ne sont alors plus tout à fait comme avant ; L'art et la vie se retrouvent. Au lieu d'avoir "l'art et la vie" qui se distinguent l'un de l'autre, on passe à "l'art est la vie", union fertile. En parcourant une exposition, on fait des expériences étendues à l'ouïe, l'odorat..
Ces pratiques performatives s'intensifient, se mondialisent et se théorisent dans les années 60 avec l'émergence de Fluxus (2-3). Les années 70 intègrent toute la violence du monde aux pratiques performatives. Le corps devient politique (2-4). Les années 80 et suivantes se recentrent sur le ressenti subjectif de l'artiste et mettent souvent en avant des préoccupations autobiographiques (2-5).
Le premier exemple d'un artiste qui assume lui-même le geste d'un spectacle en concevant ce dernier en dehors de toutes les normes établies, y compris la nécessité d'une dimension narrative allégorique ou symbolique, est sans doute celui de Loïe Fuller qui a créé et développé La danse Serpentine en suivant une démarche purement expérimentale. Elle s'est produite dans des salles de théâtre mais également dans des lieux alternatifs. par ailleurs, en 1892, lorsqu'elle a déposé au bureau des copyrights de Washington une demande visant à protéger la propriété intellectuelle de son invention, elle a été déboutée car la danse Serpentine ne correspondait à aucune forme d'expression artistique, chorégraphique ou théâtrale connue.
Les pratiques performatives qui placent le corps au centre de l'action sont favorisées d'une part par l'idée d'art total, le rapprochement des arts (danse, théâtre, architecture, musique) et, d'autre part, par l'influence des objets et témoignages sociétaux et religieux ramenés des colonies où, le corps se met en scène d'une autre manière qu'en occident. Les valeurs de l'occident sont en effet remises en causes avec la guerre. Le primitivisme innerve. Il est une source de poésie préservée du chaos de l'Europe et recèle potentiellement un sentiment d'extase que l'on prête aux peuplades lointaines.
Sont ainsi directement influencées par le primitivisme : La danse (Henri Matisse, 1910), Danse autour du veau d'or (Emil Nolde, 1910), Nature morte aux masques (Emil Nolde, 1911), Danseuses aux bougies (Emil Nolde, 1912).
Emil Nolde est fasciné par la danse « en tant qu'expression artistique, en tant que mouvement et expression de la vie ». Cet intérêt profond se cristallise dans ses rencontres avec des danseurs, parmi lesquels Mary Wigman. Celle-ci devient un des modèles du peintre, qui la présente au chorégraphe Rudolf Von Laban, dont elle sera l'élève et l'assistante. Dans Danseuses aux bougies (1912), Nolde cherche à transposer le sentiment d’extase inhérent aux rituels de certaines cultures primitives : la facture du tableau met en évidence le geste de l'artiste, imprégné du mouvement des danseurs, comme s'il en épousait la transe. Le caractère sacré de cette danse est souligné par la présence des bougies.
Mary Wigman crée une danse d'«expression» qui implique un engagement total de l'être. Elle conjugue l'extase et le sacrifice dans son premier grand solo La Danse de la sorcière (1914).
L'influence des primitifs se retrouve aux USA avec La danse de l'antilope de B. J. O. Nordfeldt qui reprend l'héritage de Cézanne et des fauves. Elle se retrouve en Russie avec le baigneur (Kazimir Malevitch,1910). Il faut désapprendre la peinture : les mains et pieds prennent une importance considérable
Le Sacre du printemps, ballet composé par Igor Stravinsky et chorégraphié par Vaslav Nijinski pour les Ballets russes de Serge de Diaghilev, fait scandale lors de sa création au théâtre des Champs-Élysées à Paris, le 29 mai 1913. Ses deux parties, L'adoration de la terre et le sacrifice, reposent sur le fantasme d'un primitivisme emrprunté aux tribus indiennes d'Amérique du nord. Leur économie non capitalistiques n'est pas basée sur l'accumulation des richesses mais le don, le potlatch. Elle est connu depuis la publication par Friedrich Engels en 1884 de L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, d'après les notes de Karl Marx sur les études anthropologiques des sociétés archaïques de Lewis Henry Morgan dont la tribu des Sénécas ou Tsonnontouans, peuple amérindien d'Amérique du Nord qui faisait partie de la Confédération iroquoise
Dès 1905, en publiant à Milan la revue Poesia, Marinetti débute un engagement militant pour le renouveau de l'art et de la culture en Italie. Il organise des "soirées futuristes" dans toutes les villes italiennes. Ce sont de véritables tournées soigneusement préparées. Marinetti loue une salle de théâtre, fait paraître des affiches annonçant l'événement. Ensuite, installés sur la scène, les futuristes récitent des poèmes, déclament des manifestes, montrent des peintures, jouent des sketches, interprètent des musiques au piano, répondent directement aux interpellations et aux invectives des spectateurs. La presse parle en effet du tumulte répondant à la "violence impressionnante de certaines affirmations futuristes: l'idée par exemple d'incendier les musées (la gazetta del popolo, 16 février 1910 à Turin.
Victoire sur le soleil, opéra futuriste russe créé en 1913 au Luna-Park de Saint-Pétersbourg, souligne les parallèles entre le texte littéraire, la partition musicale et les arts graphiques.
Le livret, écrit en zaoum, est dû à Alexeï Kroutchenykh, considéré comme l'une des plumes les plus radicales du futurisme russe. Il chante le triomphe de l’Homme sur la nature ainsi que sa supériorité obtenue par la machine.
Dada nait en 1916 à Zurich sous l’impulsion d’Hugo Ball, créateur du Cabaret Voltaire, événement multidisciplinaire qui a réuni les esprits insurgés de Tristan Tzara, Hans Arp, Richard Huelsenbeck, Sophie Taeuber, Marcel Janco. Tous ont en commun un dégoût pour ce rôle de complices de la bourgeoisie destructrice dévolu aux artistes. Tous décident de faire sauter les frontières, celles qui enferment l’art dans une série de définitions, celles qui enferment l’homme dans les rouages aliénants de la machine à produire : des morts, des œuvres, de la poudre à canon.
Tzara, Huelsenbeck et Janco créent le poème simultané, phonique L’amiral cherche une maison à louer, au cabaret Voltaire de Zurich. Hugo Ball profère Karawane, poème incantatoire primitivisme hasard, aléatoire spontanéité, erreurs réhabilitées.
Ils remettent tout en jeu et revendiquent « la liberté totale de l’art, le partage d'intelligence et de ne pas s'inscrire dans un système. le mouvement éclate ensuite à Paris (Picabia), New York (Duchamp) et Berlin. L'évènement dada est une gifle au goût du public. il exige la fin du rapport passif du spectateur; la vie revient au centre du lieu. Hugo Ball se déguise pour la soirée d'avril 1917, épure du signe fin, de la distinction salle scène ; ne plus croire au langage, à ce qui est dit mais valoriser le son, ce qui vient des organes et qui fait du bruit
Oskar Schlemmer intègre le Bauhaus de Weimar de 1921 à 1929 en tant que professeur de peinture puis décorateur et scénographe. Ses œuvres peintes ou sculptées témoignent de son souci d'allier l'immobilité hiératique de la rigueur géométrique et de la pureté des contours à la vivacité des formes et la mobilité de l'espace. Mais c'est son implication dans les arts de la scène et notamment la danse et le théatre avec le Ballet triadique (1922) qui va en faire un précurseur de l'art performatif.
Œuvre fondamentale du Bauhaus pour la danse moderne, le ballet triadique ballet se fonde sur une approche pluridisciplinaire du mouvement, dont s'inspireront notamment Alwin Nikolais, Bob Wilson ou Philippe Decouflé. Ce ballet dure plusieurs heures, et se voit comme une encyclopédie des conceptions de Schlemmer sur la mise en scène. Il crée cette œuvre de façon pragmatique, en recherchant d'abord les personnages et leurs costumes, puis la musique qui va avec, enfin la danse correspondant à la musique. Il arrive à une description métaphysique d'un équilibre des contraires, entre concepts abstraits et pulsions affectives, typique de l'enseignement du Bauhaus. Contrainte poétique sur le corps de l'artiste (voir aussi la danse des bâtons), rapports subversifs et joyeux.
Le Surréalisme propose aussi des performance ainsi que l'indique le carton d'invitation de l'exposition internationale du surréalisme du 17 janvier 1938. On y voit une sorte de Frankenstein entouré de policiers. Mis en valeur les "Actes manqués" commandés à Hélène Vanel. L'espace d'exposition est plongé dans le noir. Les invités sont munis d'une torche électrique dans l'exposition. Au plafond des sacs de charbon et de l'eau par terre ; le but est de faire des rencontres dans l'espace d'exposition.
Le 12 décembre 1959, chez Joyce Mansour, avenue du Maréchal Maunoury à Paris, l'artiste québécois Jean Benoît exécute une performance qu'il prépare depuis une dizaine d'années et qui consacre son entrée dans le mouvement surréaliste. L'exécution du testament du marquis de Sade, cérémonie produite pour marquer le 145e anniversaire de la mort du marquis, ouvre symboliquement l'Exposition internationale du surréalisme dédiée à Eros. (Présence de Yves Klein, Festin Hans Belmer dans une cage ?).
Avec Jackson Pollock, l'acte de peindre devient plus important que la peinture elle-même.
Double influence; d'abord celle du transfert culturel des surréalistes réfugiés aux USA durant la guerre. Ainsi l'écriture automatique de Soupault. Il s'agit de lancer des mots sur la page, de mélanger et de coller sans tenir compte de l'orthographe et de la syntaxe. Au lieu d'une trame narrative, on obtient un hasard contrôlé. La poésie nait de la rencontre fortuite de deux réalités. L'erreur, le hasard et la spontanéité sont réhabilités. On retrouve cette violence décorative, avec les toiles peintes à même le sol ; une spontanéité contrôlée. Autre influence, la peinture sur sable des Navajos; l'image est capable de rétablir l'harmonie générale avec le dessin du shaman sur le sable. Pollock devient un mythe. Pollock est alors le premier peintre américain de l'expressionnisme abstrait à être connu du grand public en raison de l'écho qu'il rencontre dans la presse. Le geste et présence de l'individu, l'acte de présence sont réhabilités après l'humanisme détruit pendant la guerre.
De 1937 à 1946, soit durant la seconde guerre mondiale, Antonin Artaud avait vécu enfermé dans une chambre d'asile à Rodez ou dans sa chambre à Ivry. « Lundi 13 janvier 1947, à 21 heures, Histoire vécue d'Artaud-Mômo. Tête à tête par Antonin Artaud, avec 3 poèmes déclamés par l'auteur ». Cette manifestation au Vieux colombier sera l'ultime apparition publique d'Artaud.
Il arrive sur scène avec ses carnets qui contiennent des textes en prose sur son histoire et des poèmes. Il abandonne son projet de lire à haute voix. Il improvise pour être intègre vis à vis de son propos, la pratique de l'oralité. Comme un grillot, il pousse sa voix, procède à des mouvements rythmiques du corps, cogne heurte, frappe sur des surfaces. Il y incarne la figure du rescapé, celui de l'asile d'aliénés au même titre que les rescapés des camps de concentration. Son but est de faire sentir que nous sommes tous des envoûtés avec la séparation du corps et de l'esprit. C'est une manière d'exorciser les emprises"
Le 1er février 1948, sa pièce Pour en finir avec le jugement de dieu enregistrée dans les studios de la radio française entre le 22 et 29 novembre 1947 est censurée. Cette création radiophonique était une commande de la RDF (Radio diffusion française). Elle est censurée le jour de sa première diffusion, le 1er février 1948, par son directeur, Wladimir Porché, qui avait écouté l'enregistrement la veille et était effrayé par le langage trop cru d'Artaud Les textes étaient lus par Maria Casarès, Roger Blin, Paule Thévenin et l'auteur. L'accompagnement était composé de cris, de battements de tambour et de xylophone enregistrés par l'auteur lui-même.
Mise en scène du poème d'Isidore Isou, Cris pour 5.000.000 de juifs égorgés (1947). Une veille dame arrive sur scène. Elle sort sa partition. On entend des éructations, râles et gargouillis. Durant 20', elle essaie en vain de dire quelque chose d'intelligible. Le mot est atomisé, le corps devient exposition.
Les mots action, happening et performance correspondent à trois phases historiques. Exception faite du mot "event" employé par John cage, le mot action caractérise les années cinquante, qui sont marquées par une attitude de désengagement et une recherche de la liberté individuelle qu'exprime la Beat Generation. Le mot happening appartient aux années soixante qui voient la redécouverte des avant-gardes historiques et une grande prolifération de nouvelles expériences visant à opérer un décloisonnement des catégories de l'art. le mot performance désigne les innovations des années soixante-dix qui sont marquées par la contestation politique et les revendications socio culturelles des mouvements étudiant, féministe, pacifiste, noir, hippie, gay, etc.
Le terme de « happening », littéralement « ce qui est en train de se produire », est employé pour désigner un rituel mettant en scène un artiste avec l'implication du public. C'est une forme d'art éphémère de type événementiel. C'est Allan Kaprow qui l'employa dans ce sens lors d'un pique-nique dans la ferme de Georges Segal en 1957 afin de désigner les pièces/pratiques artistiques qui s'y déroulaient. Allan Kaprow l'emploie lors de l'hiver 1958 dans le magazine Anthologist. Le mot vient de l'anglais "to happen" qui signifie se produire, est introduit pour la première fois dans la langue française en 1964. Les Happenings sont des œuvres uniques car le public est différent à chaque représentation ce qui inclue un part de spontanéité et d'improvisation.
Trois performances vont marquer les années 50 :
1952 : Untitled event, au Black Montain college. Pluralité d'actions simultanées. Les spectateurs doivent choisir parmi les actions proposées. David Tudor donne le 4'33" de John Cage (l'art comme cadre pour percevoir, le silence n'existe pas). Rauschenberg projette des diapos colorées au plafond, si bien que la focalisation sur la scène est impossible, le spectateur s’ouvre de ce fait à une perception différente.
1955 : Allen Ginsberg écrit Howl, qui prône une poétique de la présence où se confondent contenu et style ; échapper à cette schizophrénie; ne pas censurer ce que l'on entend dans la rue. C’est une poésie du spoken word. Howl est d'abord lu à la Six gallery, un atelier de carrosserie un peu avant, dans le quartier noir de San Francisco avant d'être publié notamment . Avec Howl, il s'agit de défier la machine éditoriale de New York, son bon goût; c'est la véritable naissance de la contre-culture.
1959 : 18 Happenings in 6 parts performance organisée par l’artiste américain Allan Kaprow (1927-2006) à la galerie Reuben de New York en 1959.
Historiquement considérée comme la « première » d’un genre nouveau (la performance), A la fois improvisés et parfaitement mis en scène et écrites par Kaprow, ces happenings marquent un point de non-retour, au-delà duquel les limites traditionnellement attribuées à différentes formes d’expression (peinture, danse, musique, théâtre, poésie) implosèrent définitivement. Cela donnera naissance à une catégorie d’œuvre qui transforme le rôle du public, les rapports entre les arts et la frontière entre l’art et ce qui n’en est pas. La conception des 18 Happenings intensifiait également une participation potentielle du public qu’il s’agissait de libérer de son rôle de spectateur passif. Un tract précise le déroulement du happening et le rôle de chacun, y compris des spectateurs. Des instructions avaient ainsi été distribuées aux public à son arrivée en 1959 : différents placements délimités entre chaque scène, ne pas applaudir...) . Dans un espace divisé en six, trois happenings indépendants se déroulaient. Le public était confronté à ces actions fragmentées dans un ordre délimité. Kaprow parle et joue d’un instrument de musique. Rosalyn Montague parle et marche, Shirley Prendergast et Janet Weinberger marchent et jouent d’un instrument, Robert Whitman parle, marche et joue à un jeu avec des cubes. Sam Francis, Red Grooms, Lester R. Thompson peignent des toiles vierges.
Pour Kaprow, ces indications pour le public représentaient une voie pour la libération finale de l’art et du spectateur telle qu’il la concevait alors dans la réalisation d’un « art totalement nouveau. » Un art, disait-il, qui, tout comme les peintures de Mondrian, « se dissoudrait dans une sorte d’équivalent de la vie ». À ce titre, Kaprow a toujours résisté à l’identification de son œuvre au genre du happening et de la performance. Par l'expérience les gens sont transformés. Il y a partage de quelque chose dans différentes salles, les acteurs jouet quelque chose dont ils assument le devenir, la spontanéité, l'erreur.
En France, le lettrisme offre une alternative au moment où dadaïstes et surréalistes sont légitimés. Les jeunes sont condamnés à une pratique radicale, pour être une alternative au PCF et aux Temps modernes. C'est le cas de François Dufrêne, Gil J. Wolman, Guy Debord et Maurice Lemaître.
François Dufrêne fait partie des Nouveaux réalistes. A 16 ans, il rencontre Isidore Isou (20 ans), auteur du Traité de bave et d'éternité (1951). Il crée les "crirythmes", où poésie et magnétophones ont partie liée pour sortir de l'articulation du langage pour une expression non langagière. L'automatisme et la spontanéité sont la prolongation du surréalisme."J'interroge et j'invective : poème à hurler/ à la mémoire d'Antonin Artaud" (1949). François Dufrêne va suivre Gil J. Wolman et Guy Debord vers l'internationale lettrisme (1952) puis l'internationale situationnisme (1957).
Gil J. Wolman créée Les mégapneumes (musique organique). Les mégapneumes se veulent le pas au-delà de la poésie lettriste : quand celle-ci est fondée sur la lettre, Wolman y substitue le souffle, exprimé aux moyens de diverses cadences respiratoires, créant ainsi une forme de poésie lettriste ciselante, c'est-à-dire déconstruite, puisque les phonèmes sont désormais inexistants. Il met en scène une asphyxie. Gil J. Wolman réalise L'anticoncept en 1952, film sans image où ombres et lumières alternent sur un ballon sonde, une heure de collage avec monologues et sens évacué puis le mégapneume.
Hurlements en faveur de Sade (Guy Debord, 64', 1952) composé de séquences d'écran blanc, durant lesquelles sont énoncées par quelques voix off des phrases provenant du Code civil ou de romans d'autres auteurs alternant avec des séquences à écran noir silencieuses, dont la dernière de 24'.
Le film est déjà commencé ? (Maurice Lemaître,62' 1951); on jette des seaux d'eau sur la file d'attente.
Fluxus est un mouvement d'art contemporain né dans les années 1960 qui touche aussi bien les arts visuels que la musique et la littérature, par la réalisation de concerts, d'events, la production de livres, de revues, la confection d'objets. Initié par George Maciunas, qui en inventa également l'appellation, Fluxus participe aux questionnements soulevés par les formes d'arts qui voient le jour dans les années 1960 et 1970 : statut de l'œuvre d'art, rôle de l'artiste, place de l'art dans la société, notamment. L'humour et la dérision sont placés au centre de la démarche et participent à la définition de Fluxus comme un non-mouvement, produisant de l'anti-art ou plutôt un art-distraction.
À la New School for Social Research, John Cage proposait en 1958, un cours intéressant aussi bien les musiciens que les artistes et les écrivains : c'est dans ce laboratoire que se rencontrèrent plusieurs des initiateurs du mouvement Fluxus : Jackson Mac Low, Dick Higgins, George Brecht ou La Monte Young.
Aux côtés d'Allan Kaprow et Robert Watts, également élèves de John Cage, George Brecht proposa, en 1958 un projet visant à supprimer les frontières entre toutes les formes artistiques et la vie, mais aussi la science et les techniques. Parallèlement, dans la lignée directe de John Cage, Allan Kaprow développe les happenings tandis que George Brecht met en scène des events. La Monte Young, lui, explore les dimensions musicales ouvertes par John Cage et poursuit son travail sur le silence : c'est à la New School for Social Research qu'il rencontre Yoko Ono, dont l'atelier est un lieu permanent de manifestation aux croisement de la musique et de l'« action vivante ».
George Maciunas, inspiré par Yoko Ono, organise alors dans sa galerie AG des événements. Davantage versé dans le graphisme, il en assure la promotion : c'est sur le programme de l'un d'eux que l'on peut lire pour la première fois, en 1961, le mot Fluxus. Sous l'impulsion de La Monte Young, il réalise en 1961 une publication qui regroupe des œuvres des artistes officiant chez Yoko Ono et à la galerie AG, mais aussi Nam June Paik, continuateur de l'œuvre de John Cage. Intitulée An Anthology, elle porte en sous-titre les concepts qui représentent la diversité du mouvement qui ne porte pas encore le nom de Fluxus.
En 1962, avec le festival Fluxus Internationale Festspiele neuester Musik donné à Wiesbaden, en Allemagne, et organisé par George Maciunas, avec l'aide de Joseph Beuys le mouvement Fluxus est pour la première fois clairement identifié.
Suit alors une tournée Fluxus européenne, durant laquelle plusieurs artistes se lient au mouvement, dont Robert Filliou et Ben Vautier, qui en représentent la branche française. On compte parmi les destinations Fluxus Copenhague (Festum Fluxorum) et Paris en 1962, Düsseldorf, Amsterdam, La Haye et l'un des plus importants, le Fluxus Festival of Total Art de Nice, organisé par Ben, en 1963. Parmi les actions menées : « Gifler, sans l'avoir prévenue, une charcutière » ou « faire du vélo dans les airs en hurlant »
Le but avoué de ce mouvement artistique était de supprimer toutes frontières entre l'art et la vie : tout est art. Les œuvres Fluxus ne sont pas formelles, ni esthétisées, et ne sont pas même considérées comme des œuvres. L'accent est également mis sur la mise en scène du banal, du quotidien, de tout ce qui ne serait pas de l'art : on ne crée pas un « art beau » mais on met en œuvre un style de vie.
En intégrant le public à la performance artistique, les artistes Fluxus veulent supprimer l'idée d'un art qui se donne à voir et mettent plutôt en avant l'idée d'un art qui s'expérimente, se vit. Fluxus a une réelle volonté de « transférer des responsabilités »sur le public. Les artistes Fluxus insistent également beaucoup sur le côté éphémère de leur art, ainsi, Ben Vautier affirme que « toute rétrospective de Fluxus est une fossilisation de Fluxus ».
Joseph Beuys, George Brecht, Robert Filliou, La Monte Young, George Maciunas, Charlotte Moorman, Serge Oldenbourg, Yoko Ono, Nam June Paik, Daniel Spoerri et Ben Vautier en sont les artistes les plus marquants
Yard 1967 au Pasadena Art Museum, galerie emplie de pneus, effort du spectateur pour parcourir la galerie l'imprévu de la déambulation s'opposent à ce qui n'était avant qu'un voyage organisé
En France dans les années 60 sont aussi influencés par Fluxus, Henri Chopin et Bernard Heidsieck. le premier compose des audio-poèmes. Vibrespace (1964), Mes bronches, Le bruit du sang, La fusée interplanétaire. Le montage de bandes magnétiques permet de relier l'humain à l'espace interplanétaire. Henri Chopin développe des manipulations électroacoustiques avec des allumettes sur la bande magnétique. Improvise sur une bande ; s'enregistre sur la 2e piste et travaille la superposition. Le son est matière, pas besoin de sens. Le magnétophone permet de s'écouter comme un autre et la superposition une hétérogénéité temporelle. Cette perception nouvelle du temps et du corps permet l'utopie d'un homme total. Le poète sonore s'élargit avec la technologie.
Bernard Heidsieck (1929-2014), très influencé par Artaud travaille avec le magnétophone qui est, pour lui, un outil pour s’écouter et écouter le monde, urbain notamment et pouvoir s'y inscrire. "Pour un poème debout", "Vite la page" et, en 1963, "B2B3 Exorcisme à l'American center. Deux voix pour une personne, une voix pour deux textes, simultanés, de même durée. Sur scène, Bernard Heidsieck décrit de façon neutre des mécanismes de financements bancaires. On entend sa voix sur une bande : des impulsions physiques, pure puissance projective, dédoublement circulaire, un double vital. Présent et rêve s'entremêlent avec ce personnage second. Bernard Heidsieck essaie d'éprouver sur scène. Il cherche une transformation. Le poème, plurivoque et pulsionnel éclate l'être. Simplicité du dispositif, influence de Fluxus.
1967 : le Porta pack de Sony libère de la télévision et de l'ORTF (Tous les soirs à 20 heures, la police vous parle). Des publics nouveaux peuvent filmer dans les usines et produire des documents de constat pour des publics qui n'y avaient pas accès.
Les actionnistes viennois (Günter Brus, Abino Byrolle, Otto Muehl, Hermann Nitsch, Rudolf Schwarzkogler) utilisent le corps (le leur ou celui des autres) souvent de façon outrageante et violente pour la création. Né sur les ruines de la politique conservatrice et étouffante que la bourgeoisie puis le régime nazi avaient établie en Autriche, l'actionnisme viennois (1960-1971), renoue avec l'esprit provocateur des premières années de l'expressionnisme autrichien (Oskar Kokoschka, Alfred Kubin, Egon Schiele). En 1962, Otto Muehl, Adolf Frohner et Hermann Nitsch, emmurés dans un atelier-cave, affichent le manifeste Orgue de sang sur la porte. Cette performance-manifeste (les artistes avaient demandé aux spectateurs de les libérer) marque le début officiel de l'actionnisme viennois. Günter Brus (peintre, né en 1938), Adolf Frohner (sculpteur, 1934-2007), Otto Muehl (peintre et sculpteur, 1925-2013), Hermann Nitsch (peintre, né en 1938), Alfons Schilling (peintre, 1934-2013) et Rudolf Schwarzkogler (peintre et photographe, 1940-1969), jeunes artistes à peine sortis des académies d'art viennoises, sont les protagonistes du mouvement.
VALIE EXPORT, Genital panic, 1969. Cette performance ne fut connue, jusqu’à récemment, qu’à travers son mythe. Celui-ci veut que l’artiste autrichienne pénètre dans un cinéma pornographique avec un fusil ou une mitraillette à la main, vêtue d’un pantalon découpé à l’entrejambe et exposant son pubis, avant d’annoncer à l’assistance que de réels organes génitaux sont désormais à leur disposition. Le rapport de force n'est plus le même car elle a une mitraillette entre les mains. La femme devient sujet politique parole minoritaire ce que "être femme" ou "être noir" peut avoir de politqiue alors que l'on ne voyait la révolution qu'avec la lutte des classes. Le corps dénudé est un refus du capitalisme. En étant nu, il affronte l'ordre du monde. les affiches sont placardées dans la ville.
En 1971, Judy Chicago et Miriam Schapiro développent conjointement le Programme d'Art Féministe au California Institute of the Arts (CalArts). Les deux femmes encouragent les étudiantes à s'exprimer sur leurs expériences et soutiennent leurs aspirations. En 1972 professures et étudiantes, vingt-quatre femmes, restaurent et aménagent une maison à Los Angeles. Se créé un "safe space", comment on décide ensemble de travailler ensemble avec un protocole de prise de parole pour que personne ne soit mis à l’écart. Elles organisent ensemble une des toutes premières expositions d'art féministe : Womanhouse, 17 projets illustrant des expériences de femmes dans une société discriminante. Sont pensés des dispositifs pour que les spectateurs donnent leur avis, un art comme pratique et non comme objet, une éducation populaire théâtre de l’opprimeur. Quatre semaines d’ouverture au public, du 30 janvier au 28 février 1972. L’espace domestique devient espace d’exposition et de performances, la distinction entre public et privé disparait et les conventions régissant la représentation volent en éclats ; la salle de bain et la maison de poupée deviennent des espaces d’exposition "appropriés" à l’art féministe.
Carolee Schneemann, 1975 interior scroll. Elle monte sur une table, le corps prend différentes poses, un rouleau de papier qui sort de son sexe qui reprend tous les poncifs machistes. Jusqu'au milieu des années 90, 95% des œuvres d'art sont produites par des hommes instituer un rapport de force qui pourra déconstruire la citadelle du milieu de l'art.
La création semblait pacifiée par apport à la violence du monde. Les propositions paraissent radicales, tel le corps altéré de Gina Pane, telles celles des actionnistes viennois avec la scénarisation de la violence. Pourtant, à la télévision, elle existe vraiment mais sans que cela choque.
Chris Burden avec Shoot, november 19, 1971 demande à ce qu'on lui tire dessus. Violence du tir réel à Venise.
Dans, Throw the night softly (1973), Chris Burden, en maillot de bain, rampe sur des tessons de bouteilles. La séquence est incorporée au milieu de publicités en opposition totale avec un imaginaire seulement préoccupé d'accéder à un petit confort, avec fétichisation de l'objet et consommateur réifié. Prendre le temps de l'être ; réhabiliter l'ennui. Le montage lent est le temps de la vie ainsi Andy Warhol avec L'empire state building ou Sleep. La temporalité du réel, interrogé dans son entier dans sa complexité, perturbe le temps lénifiant de la télévision.
Bruce Nauman, 1967-68 Walking in an exaggerated manner around the perimeter of a square.
Même démarche que Duchamp : puisqu’un artiste crée dans son atelier, ce que je fais dans mon atelier, même marcher, est une création. Il est dans son atelier, il est là, il crée. Etre au monde pour un artiste c'est créer ; présence de l'humour dans le champ de la perception.
Explore le souffle, la voix, l'appareil phonatoire. Il n'y a plus de séparation entre sens et son, entre langage et action, entre esprit et corps.
Orlan le baiser de l'artiste, 1977 devanture amovible le regardeur fait le tableau fente dans laquelle le spectateur peut mettre 5 francs, le public décide ou non d'activer la performance. Corps de la femme assigné à un certain rôle, ici le corps est monétisé mais selon son choix (document Ina 1977 pour la FIAC 1977). Elle ne propose qu'elle-même pour une expérience avec autrui. Le moment proposé est localisé dans le temps et dans l'espace.
Semiotics of the kitchen 1975 Martha Rosler, vocabulaire de la cuisine, violence symbolique qui est assigné à la femme.
"Collections quotidiennes" : Christian Boltanski (le musée d'Art moderne de Chicago lui a consacré en 1988, une rétrospective qui a circulé ensuite de Los Angeles à New-York), Annette Messager, Sophie Calle, Jean Le Gac "J'ai tellement inventé de faux souvenirs qui étaient des souvenirs collectifs, que ma propre enfance a disparue." Abandonnant dès 1966 toute activité picturale Christian Boltanski va faire appel à des techniques extrêment vatiées : environnement d'objets, pâte à modeler, terre, photos. son oeuvre alterne, brouille et mélange le vrai et le faux, l'objet trouvé et l'objet fabriqué, le travail du bricoleur et celui de l'artiste.
Jean-Luc Lacuve, le 27 juin 2018.
Sources :