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Le direktor

2006

(Direktøren for det hele). Avec : Jens Albinus (Kristoffer - Svend E), Peter Gantzler (Ravn), Benedikt Erlingsson (Tolk), Iben Hjejle (Lise), Henrik Prip (Nalle), Mia Lyhne (Heidi A.), Casper Christensen (Gorm), Louise Mieritz (Mette), Jean-Marc Barr (Spencer), Sofie Gråbøl (Kisser), Anders Hove (Jokumsen). 1h40.

Kristoffer est embauché par Ravn pour jouer durant une heure le rôle d'un patron quasi muet dans une réunion avec un patron islandais. Mais celui-ci ne veut pas conclure lors de la prochaine réunion quinze jours plus tard sans la présence de celui qu'il croit être le patron se l'entreprise danoise. Pire encore, Kristoffer se présente aux salariés de l'entreprise et oblige Ravn à le faire intervenir dans différentes réunions internes. Les salariés n'avaient en effet jamais rencontré celui qu'ils croient être leur patron, invention de Ravn pour masquer ses décisions de chef d'entreprise souvent impopulaires.

Les premières réunions entre les salariés, "les vieux" dans le langage de Ravn, et Kristoffer s'avèrent explosives tant l'incompétence de celui-ci est manifeste.

Kristoffer comprend bientôt que Ravn souhaite vendre son entreprise au patron islandais. La femme de Kristoffer, qui débarque à l'improviste et se révèle être l'avocate du patron islandais, lui révèle même que Ravn est un poltron doublé d'un escroc puisqu'il s'apprête à dépouiller "les vieux" de leurs droits pour récupérer à lui seul les 254 millions d'euros de la vente.

Tenu par les contrats de confidentialité qu'il a signé, Kristoffer fait ce qu'il peut pour repousser la vente, aidé en cela par son ancienne épouse. Elle lui suggère notamment d'inventer un directeur du directeur de tout et de ravir ainsi à Ravn le rôle de chouchou des salariés….

Ravn finit par craquer et révéler à tous qu'il est le patron. Il reçoit un coup de poing mérité mais continue de vouloir vendre son entreprise.

Sur les conseils de son ex-épouse, il réunit l'ensemble du personnel pour assister à la signature. Il réussit à détourner Ravn de son projet qui comprend que la solidarité et le respect de ses salariés comptent plus pour lui que l'argent de la vente.

Mais alors que tous s'apprêtent à partir, le patron islandais remarque que l'on se serait cru dans une pièce de Gambini, l'idole et le maître à penser de Kristoffer. Il n'en faut pas plus à celui-ci pour abuser des pouvoirs qui lui ont été confié et de vendre l'entreprise pour jouer devant le patron islandais qui sait dater à l'année près la pièce : "le ramoneur de la ville sans cheminée"

Comédie burlesque, Le direktor est aussi un film sur le théâtre, sur ce qu'il peut face à la scélératesse de certains patrons, et par là même, un vrai film politique bien loin des illustrations où s'affrontent dans des camps bien distincts les bons et les mauvais.

La forme s'avoue comme mineure s'adaptant au ton de la comédie après la splendeur des tragédies qu'étaient Dogville et Manderlay. Lars von Trier en rajoute dans la distanciation comique. Il annonce, interrompt et conclut le récit. Il se moque du dogme. Il promet à ses spectateurs une comédie où ils n'auront pas trop à réfléchir puis, reconnaissant que certains lui auraient demandé moins et d'autres plus, il nous sert en conclusion que seuls seront heureux ceux qui accepteront le film tel quel.

Comment en effet ne pas se monter trop caricatural dans la dénonciation du capitalisme sans, non plus, produire un discours inoffensif et consensuel sur les conditions économiques d'aujourd'hui ?

Il est probable que Lars von Trier se soit amusé à confronter ici art et économie leur réservant un espace propre, assumant leur différence. D'où, d'une part, la distanciation déjà évoquée et la forme haché du montage comme si, sans cesse, les plans ne se parlaient pas au sein d'un même espace. Art et économie parlent deux langages différents, leur communication est faite de frottements, de vide, d'explosions et de rencontres forcement comiques... et éphémères

Le théâtre s'amuse des jeux de l'entreprise

La comédie burlesque débusque tous les petits comportements, jeux ridules qui font le sel des relations salariales (Le cyclothymique qui annonce sa crise de colère par un gimmick : "L'automne est vraiment très chaud", la souffre douleur qui crie à chaque démarrage de la photocopieuse, l'informaticien qui s'empêtre dans ses explications, la DRH prête à tout, la secrétaire qui se croit amoureuse d'un patron qu'elle ne connaît pas). Lars von Trier en rajoute une bonne dose avec les saynètes dégoulinantes de sentimentalisme où Ravn réconforte ses collaborateurs.

Les invraisemblances du scénario (l'ex-femme avocate de la partie adverse, l'invention du "directeur du directeur de tout") concourent au projet de cette comédie qui sait par ailleurs ménager ses ressorts dramatiques : la révélation de la machination de Ravn, l'arrivée de l'ex-femme de Kristoffer, la première ligne de défende de Ravn pour rendre inoffensif Kristoffer consistant à lui faire dire oui à tous sauf à Jokumsen qui a une revendication légitime, le plan de sauvetage (faire plus sentimental que Ravn et inventer un "directeur du directeur de tout") qui échoue d'abord puis est relancé par la séance de la signature devant le personnel rassemblé.


L'économie ne peut asservir le théâtre

Lars von Trier, toujours politiquement incorrect, est, malgré ses dénégations, un partisan des solutions extrêmes, révélatrices de la réalité. Il ne célébrera pas ici la réconciliation du théâtre et de l'économie, comme si l'un pouvait sauver l'autre.

Si le film se termine mal, le direktor signant la vente de l'entreprise au patron islandais qui s'empressera de licencier des Danois qui l'insupportent, ce n'est pas tant que le théâtre ne peut rien face à la politique. Plutôt dira-t-on que théâtre et politique suivent des voies parallèles et que Ravn a bien eu tord de faire confiance à Kristoffer. Celui-ci a la passion du théâtre chevillée au corps et le mettra au-dessus de tout préférant interpréter "le ramoneur de la ville sans cheminée" de son idole Gambini pour un connaisseur plutôt que de suivre son penchant humaniste.

Karl Marx aurait certainement approuvé ce théâtre qui révèle les vicissitudes du capitalisme sans donner de solutions toutes prêtes pour faire bouillir la marmite des idéalistes. Seul personnage vraiment lucide sur ces jeux politiques et économiques qui nous dirigent, la femme de Kristoffer fait ce qu'elle peut. Elle accepte élégamment l'inévitable lorsque le mot de Gambini est prononcé.

Lars von Trier refuse le sentimentalisme dégoulinant de Ravn et montre un théâtre qui reste séparé et indépendant de l'économie, un théâtre qui suit sa logique propre. Si Kristoffer ne fait pas ce que le spectateur peut penser être le bon choix politique, Lars von trier lui ayant enjoint de sortir maintenant de la salle, il peut toujours aller voter ... comme le message humaniste du film le propose avant le choix radical et personnel de Kristoffer.

Jean-Luc Lacuve le 05/03/2007

critique du DVD
Editeur : M6. Octobre 2007. Langues : Danois, Français.
Sous-titres : français. Format : 1,85.
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