Prologue. Alors que Lui et Elle font l'amour dans la salle de bain, leur enfant sort de son parc, sort de sa chambre, les aperçoit et monte sur la table pour montrer la neige à son nounours. Il se penche à la fenêtre et tombe alors que ses parents atteignent l'orgasme.
Chapitre I : Deuil. Les parents suivent le cercueil, Lui pleure et Elle s'écroule. A l'hôpital, Elle est sous traitement médicamenteux depuis un mois. Son mari, psychothérapeute, réprouve ce traitement. Il reçoit les résultats de l'autopsie de son fils et sans ouvrir l'enveloppe la glisse dans son manteau. Il finit par ramener, contre son grès, sa femme à la maison. Elle pleure devant les jouets, les affaires de son fils qui encombrent la maison. Elle devient sa patiente de son mari. Il refuse de répondre à sa demande sexuelle. Le chagrin laisse la place à l'angoisse et il doit lui apprendre à respirer calmement. Une fois pourtant il succombe et fait l'amour avec Elle. Il l'interroge sur ce qui lui fait le plus peur. Comme elle refuse de répondre, il lui demande quel lieu lui fait le plus peur. Des branches d'arbres s'imposent alors à Elle. C'est dans la forêt qu'elle a le plus peur. Cette victoire est de courte durée. Elle reproche à Lui d'avoir été distant avec elle comme avec son enfant lors de leur dernier été. Il les avait laissés seuls à Eden, leur refuge dans la montagne. Il se défend en répondant qu'il les avait laissés seuls pour qu'elle puisse terminer tranquillement d'écrire sa thèse. Ils décident de partir à Eden.
Dans le train qui les conduit à Eden, Il essaie de la faire parler de son dernier séjour là-bas, de ce qui lui a fait peur dans la forêt. C'est le pont d'abord dont elle a peur. Celui-ci une fois franchi, elle a peur de s'avancer devant le terrier du renard. Ses pas, au lieu de s'enfoncer dans l'herbe, s'enfoncent dans la boue. Il essaie alors une technique de relaxation, l'oblige à s'allonger en pensée dans l'herbe et d'y disparaître.
Une voiture franchit un large pont et s'enfonce dans la forêt. Elle et Lui grimpent vers Eden, sac à dos et matelas en bandoulière. Elle se plaint que la terre brûle. Deux ampoules au pied en révèlent la cause. Il la laisse dormir et marche dans la forêt. Il aperçoit une biche et s'approche. Celle-ci d'abord très calme doit soudainement s'enfuir avec difficulté et il découvre avec dégoût qu'elle est en train de mettre bas son petit qui reste accroché à elle dans sa fuite.
Chapitre II : Douleur (le chaos règne). Lui et elle reprennent leur marche. Avec beaucoup de difficulté, elle franchit le pont de bois dont elle avait parlé à son mari. Elle court ensuite et Lui marche à sa recherche. Il franchit le terrier du renard et parvient au chalet où il la découvre endormie.
La nuit, ils sont réveillés par des bruits étranges. Ce sont les glands qui tombent des grands chênes sur le toit. Au matin, il découvre sur sa main laissée imprudemment passée à travers la fenêtre, des sangsues végétales. Il se rendort puis prépare une sorte de jeu thérapeutique pour sa femme. Elle doit marcher dans l'herbe entre deux pierres pour vérifier qu'elle ne se transforme pas en la boue de ses rêves. Elle réussit l'épreuve.
Elle lui parle aussi du denier été où elle fut avec leur fils de ces cris de souffrance qu'elle entendit à travers toute la forêt. Elle parcourut les bois, folle d'inquiétude, craignant que ce ne fussent les cris de son fils. Mais elle le retrouva plus tard jouant tranquillement dans la remise. C'est dalleurs là quelle pris la photo que lui découvrit en entrant au chalet.
Le lendemain, elle se dit guérie et ils vont se promener dans la forêt. Elle fuit à nouveau et seul, il découvre sous des fougères une boule de poils pelotonnée. Il s'agit d'une renarde qui ouvre grand la gueule et déchire la poche de placenta de son petit nouveau-né avant de prévenir d'une voix menaçante que "le chaos règne.
Chapitre III : Désespoir (Le gynocide). Au petit matin, il aperçoit une échelle abandonnée dehors sous la pluie. Il va la chercher et grimpe dans le grenier. Il y découvre la documentation de sa femme pour sa thèse concernant la répression des pratiques de sorcellerie menée par les hommes contre les femmes accusées d'être des sorcières au cours des âges. La thèse de son épouse d'abord écrite avec application devient incohérente et finalement illisible après plusieurs pages.
Il reprend le jeu de la pyramide et tente de faire dire à sa femme ce qui lui fait plus peur encore que Eden. Serait-ce Satan ? En faisant le feu, Elle découvre les papiers de l'autopsie de leur fils qu'il avait laissé traîner. Il lui explique ne lui avoir rien dit pour ne pas la troubler. D'ailleurs l'autopsie n'a révélé qu'une malformation du pied de leur enfant qui n'a rien à voir avec son accident mortel.
En y réfléchissant, Il découvre toutefois sur la photo que les chaussures de son fils sont inversées : la chaussure gauche est mise au pied droit et celle de droite au pied gauche.
Il se rend dans la remise, inquiet de trouver les indices qui prouveraient que sa femme a torturé leur fils. Elle surgit derrière lui, l'assomme et cogne son sexe avec une masse de bois. Elle masturbe le sexe de son mari pour en faire jaillir du sang qui macule ses vêtements. Elle va chercher une perceuse et lui perfore le mollet. Elle démonte ensuite une meule qu'elle fixe à la jambe de son mari avec un écrou qu'elle serre à l'aide d'une clé qu'elle jette ensuite sous la maison.
En s'éveillant de son évanouissement, il pense à fuir et, profitant du brouillard, parvient à se traîner jusqu'au terrier du renard. Là il découvre une maman corbeau qui l'attaque en essayant de mettre au monde son petit Entendant les cris du corbeau, Elle le découvre dans le terrier et fait glisser une pierre devant l'entrée. Elle l'enterre vivant.
Elle s'en repent toutefois et l'aide à sortir de son tombeau de terre. Elle le ramène dans la remise et l'oblige à la masturber. Elle a toutefois sous la main une paire de ciseaux avec laquelle elle tente de le tuer avant de se couper le clitoris turgescent. Blessé mais toujours vivant, Il profite de l'évanouissement de sa femme pour récupérer la clé, cachée juste sous le plancher de la maison, desserrer le vis et se libére de l'emprise de la meule. Dans un dernier combat, Il la tue.
Chapitre IV : Les trois mendiants (Deuil, douleur, désespoir)
En se réveillant de son combat avec Elle, il aperçoit la constellation
des trois mendiants formée par deuil, douleur et chagrin mais aussi
la biche, le renard et le corbeau. D'ailleurs ceux-ci rentrent dans la maison.
Se réveillant à nouveau, il brûle son épouse et
le chalet et s'en va, claudiquant, à travers la forêt parmi les
corps de toutes les femmes tuées pour sorcellerie.
Epilogue.
Le retour au noir et blanc le voit arrivant, rayonnant, au sommet d'une colline d'où toutes les femmes viennent à lui comme pour écouter sa bonne parole.
Lars van Trier continue son exploration de la présence du mal dans nos sociétés contemporaines. Apres les pauvres (Dogville) et les noirs (Manderlay), c'est à un autre groupe humilié, les femmes, qu'il attribue cette fois la puissance diabolique. De ce fait, la femme perd ici sa place de victime sacrificielle, si présente dans Breaking the wave ou Dancer in the dark. On évitera de crier à la misogynie tant le personnage féminin se révèle capable d'un jusqu'au-boutisme satanique qui en fait un être beaucoup plus puissant que l'antichrist un peu puéril incarné par son psychothérapeute de mari.
Il faudra une hallucination intellectuelle et la mort de son enfant pour que le personnage féminin aille au bout des forces du mal que, de tout temps, les femmes ont porté en elles et que, poussées à bout, elles peuvent déchaîner. Le film se révèle aussi éprouvant que le Salo de Pasolini, en moins politique et plus métaphysique. Grands cinéastes des puissances du faux, l'un et l'autre, face à l'extrême violence déchaînée, utilisent un dispositif pour la mettre à distance. Ce seront les dispositifs de mise en scène voyeuriste chez Pasolini et le recours à l'imagerie du conte chez Lars von trier.
Symbolisme et imaginaire
Le combat entre les deux acteurs, les seuls que l'on voit à l'écran si l'on excepte la présence muette de l'enfant dans quelques plans et le vague cortège de silhouettes lors de l'enterrement prend la dimension d'un pur combat métaphysique (c'est à dire sur les cimes) entre Elle et Lui, l'homme et la femme, le père et la mère.
D'un côté le psychothérapeute travaillant le symbolique, établissant des hiérarchies avec sa "pyramide de la peur", tentant d'éclaircir la forêt des signes ; de l'autre, la mère à laquelle a été refusé l'accès au symbolique (" ton sujet de thèse est banal") et se plongeant alors jusqu'à l'excès dans l'imaginaire féminin ; Imaginaire et symbolique ou combat du moi et du surmoi.
Lui, le surmoi, semble avoir d'abord l'avantage mais elle, l'imaginaire, échappe sans cesse à son emprise. Ses efforts incessants et ses échecs répétés se marquent autant par les ratures sur "la pyramide de la peur" que par un montage ou champ et contre-champ se succèdent sous des axes, toujours différents, qui empêchent une résolution.
Une ironie certaine
Sans soute pourra-t-on apprécier au second degré cette meule qui immobilise le thérapeute, sorte de poids du ça. Sa puérilité à Lui est aussi marquée par son impossibilité à considérer que l'innocence est compatible avec la maternité, ainsi de l'image de la biche enfantant, du renard devenant agressif avec la poche de placenta et le bébé corbeau reprenant le combat abandonné par sa mère tuée.
L'antichrist a reçu ici la révélation malgré lui, malgré ses jeux un peu puérils consistant à faire jouer sa femme entre deux pierres ou la faire disparaître dans l'herbe. Certes il est bien ressuscité après que la lourde pierre ait fermé le tombeau. Il peut alors apparaître comme le messie apportant aux femmes mais probablement aussi aux hommes qui voudront bien se reconnaître en elles, la bonne nouvelle des pulsions mauvaises qu'ils portent en eux.
La dimension du conte
Le prologue, par le maniérisme de son noir et blanc, ses ralentis, sa musique lyrique, son symbolisme (eau, neige, linge) une passion pour l'imagerie qui prépare le spectateur à plonger dans le conte cruel qui suit.
Les trois mendiants, deuil, douleur et désespoir dictent le chemin de croix des personnages. Ils sont d'abord vus sous forme de figurines que balaie l'enfant pour monter sur la table. Ils prendront ensuite la forme de la biche, du renard et du corbeau puis des constellations qu'ils dessinent. Même variation dans la répétition des images pour leur faire échapper à un sens trop univoque avec les figures du pont, du terrier et des esprits frappeurs : les glands, la pluie la grêle, les sangsues.
Lars von Trier possède cette capacité rare à déterrer sous nos mondes policés les terreurs qui ont fait l'histoire et qu'il exorcise le temps d'un film.
Jean-Luc Lacuve le 10/06/2009