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La féline

1942

Voir : photogrammes
Genre : Fantastique
Thème : Psychanalyse

(Cat people). Avec : Simone Simon (Irena Dubrovna), Kent Smith (Oliver Reed), Tom Conway (Dr. Louis Judd), Jane Randolph (Alice Moore), Jack Holt (The Commodore). 1h15.

New York. Dans le zoo de Central Park, Oliver Reed, un architecte naval, fait connaissance d'Irena Dubrovna, jeune modéliste d'origine serbe. Il tombe amoureux d'elle et lui achète un chaton. Mais celui-ci a le poil qui se hérisse dès qu'il voit Irena. Oliver l'échange contre un canari, non sans que, chez la marchande, Irena n'affole la ménagerie. Bientôt Oliver avoue son amour. Irena en est effrayée. Elle est hantée par la peur d'être la descendante d'une race de femmes-monstres qui se transforment en panthère. Oliver essaie de la convaincre que ses craintes sont sans fondement, qu'il ne s'agit que d'un conte de fée entendue petite fille en Serbie et qui n'a plus sa place en Amérique.

Lors du repas de mariage organisé par Alice dans un restaurant Serbe, une femme-chat salue Irena du nom de sœur. Le soir, Irena demande à Oliver d'être patient,terrifiée à l'idée de consommer leur union alors qu'elle n'est pas persuadée de n'être pas mauvaise.

Un mois après leur mariage, Irena se rend au zoo revoir la panthère. Pour se détendre de son travail, elle joue avec son canari. Celui-ci, affolé, meurt. Irena l'enferme dans une boite et, de dépit, s'en va le jeter à la panthère. Elle s'en ouvre à Oliver qui constate qu'il ne parvient pas à retirer de l'esprit de sa femme ses croyances qui détruisent leur bonheur. Oliver veut agir de façon intelligente en faisant appel à un psychiatre.

Irena accepte bien volontiers l'aide du docteur Louis Judd qui la soumet à l'hypnose. Lors de celle-ci, elle lui dit que les félins le tourmentent la nuit, provoquant ses insomnies, leurs pas murmurant dans sa tête. Elle lui confie aussi que les femmes sorcières de son village, poussées par la passion ou la colère, peuvent se transformer en panthère. Si l'une d'elle embrassait son amoureux, son mauvais instinct la poussait à le tuer. Judd espère trouver dans son enfance les raisons qui l'ont poussé à croire cela. Son père étant mort avant sa naissance, les autres enfants traitaient sa mère de féline et de sorcières. Judd lui conseille de ne rien dire à son mari. En rentrant, Irena trouve Oliver en compagnie d'Alice. Celle-ci lui avoue qu'Oliver lui a tout raconté et que c'est elle qui a choisi le psychanalyste. Irena est profondément meurtrie de ces confidences faites à une autre femme. La nuit, elle se rend au zoo prés de la panthère. A Oliver qui l'a attendue, elle lui demande de ne jamais éveiller en elle jalousie ou colère ; ce qu'il promet.

Au bureau, Oliver avoue à Alice être malheureux de voir Irena ne pas sortir de ses pensées puisqu'elle a même cessé de voir Judd. Alice lui avoue alors son amour. Comme Oliver ne semble pas y être indifférent, elle lui expose sa conception saine, heureuse et éternelle de l'amour. Mais Oliver lui réaffirme être attiré par la chaleur d'Irena qui s'impose à lui.

Alors qu'elle se promène au zoo, Irena remet au gardien la clé de la cage de la panthère qu'il avait oublié. Judd l'en félicite : chacun de nous porte en lui un désir de mort, un besoin psychique de déchainer le mal. Elle a peur de la panthère mais pourtant elle l'attire. Elle pourrait en faire un instrument de mort. Elle lui reproche de parler de son esprit et non de son âme.

Oliver annonce à sa femme qu'il pourrait vouloir se séparer d'elle car elle en cherche plus à se soigner. Oliver, dépité retourne dans son bureau mais préfère finalement aller prendre un café. Irena téléphone au bureau mais c'est Alice qui décroche. Irena prend son manteau et s'en va vers le bureau. Elle voit Oliver et Alice attablés au café sans entendre la seconde conseiller au premier de se réconcilier avec sa femme. Oliver laisse Alice renter seule chez elle. Celle-ci se sent poursuivie et c'est effrayée qu'elle monte dans le bus. Alors que des moutons du zoo ont été égorgés, Irena titube dans la rue et rentre en taxi. Oliver l'attend, inquiet. Elle lui répond à peine, se baigne puis s'endort, hantée par des rêves de félins. Alors que les paroles de Judd énonçant l'envie de déchaîner le mal résonnent dans son crâne, elle a la vision du roi Jean brandissant une épée à laqulle succède celle de la clé de la cage de la panthère. Le lendemain, Irena s'empare de la clé de la cage de la panthère, une nouvelle fois oubliée par le gardien.

Alors qu'ils visitent un musée de la marine, Alice et Oliver excluent Irena de leur passion commune. Alice rentre tard et descend à la piscine de son hôtel. Irena qui l'a suivie descend à son tour à la piscine. Alice est effrayée par des bruits de félins et de sombres reflets inquiétants. Elle se jette au milieu de la piscine. Ses cris alertent la gérante de l'hôtel. Irena rallume alors la lumière et s'en va moqueuse. Alice constate que son peignoir est en lambeaux. Alice demande alors l'aide de Judd : elle croit avoir été suivie par la forme féline d'Irena qui, par deux fois, a voulu la tuer. Judd lui répond que toutes deux sont victimes de la peur : Irena a peur du passé et elle du présent.

Irena est retourné voir Judd qui lui reproche son évasion dans le fantasme : dans le parc et dans la piscine, elle n'est pas loin de la démence. Elle doit se débarrasser des œuvres d'art félines et renoncer à ses croyances. Iréna est toute joueuse d'annoncer à son mari qu'elle s'est débarrassée de ses croyances mais celui-ci lui répond qu'il est trop tard et qu'il aime Alice. Il veut divorcer. Alice et Oliver demandent conseil à Judd qui laisse le choix à Oliver ou de faire interner sa femme ou d'annuler son mariage. Ils leur donne rendez-vous à 18 heures chez Irena.

Mais, à 19h30, celle-ci n'est pas là. Oliver et Alice décident d'aller travailler. Judd prétexte l'oubli de sa canne pour laisser la porte ouverte et pouvoir revenir attendre Irena. Au bureau, Alice et Oliver sont appelés au téléphone. Personne ne répond et Alice en déduit qu'il s'agit de nouveau d'Irena. Elle a peur et veut partir mais la porte est mystérieusement fermée a clé. Un rugissement se fait entendre ; une panthère s'approche. Oliver et Alice fuient : "Pour l'amour de Dieu, laisse-nous en paix" demande Oliver, un té de dessinateur en main qui dessine l'ombre d'une croix sur le mur. La panthère s'enfuit, la porte est de nouveau ouverte. Oliver et Alice sentent le parfum d'Irena et vont se réconforter en prenant un verre au café du coin. Alice, qui a pressenti la manœuvre de Judd, téléphone chez Irena pour le prévenir qu'elle est dangereuse. Mais juste à ce moment, Irena rentre chez elle.

Judd tente de séduire Irena et l'embrasse. Irena s'avance alors vers lui et Judd, effrayé, sort sa canne épée. Une bataille s'engage entre lui et félin qui finit par avoir le dessus.

Lorsque Alice et Oliver accourent, ils constatent que la canne épée est brisée à moitié hauteur. Irena est effectivement mortellement blessée. Elle a juste le temps de parvenir devant la cage de la panthère qu'elle libère. Celle-ci l'achève d'un coup de pate en s'enfuyant mais est tout de suite écrasée par les roues d'un taxi passant par là. Alice et Oliver se précipitent au zoo devant la cage de la panthère et découvrent le corps d'Irena sans vie. En se penchant sur elle Oliver déclare : "Elle ne nous avait pas menti".

En 1942, Val Lewton, est choisi par la RKO comme directeur d'une unité de production indépendante avec pour objectif de relancer le filon des films d'horreur. Le genre est depuis trop longtemps abandonné sans véritable concurrence au studio Universal qui n'en finit pas de décliner les grands succès que furent Frankenstein, La momie et Dracula dans des films de série B produits à la chaîne. Lewton est un homme cultivé qui a de l'ambition, même s'il sait que ses productions devront être réalisées avec des budgets et des plannings de série B. Ils s'entourent des monteurs Mark Robson et Roberts Wise, bientôt promus réalisateurs, du scénariste DeWitt Bodeen, et des chefs opérateurs tels que Nicholas Musuraca. Il donne à Jacques Tourneur la possibilité de tourner son premier grand film : La féline .

Le budget est très réduit, 21 jours et 130 000 dollars, mais lui assure une totale liberté de conception et d'exécution, Le profit net fut d'un million de dollars pour la seule année 1942, ce qui sauva la RKO de la faillite. Les décors sont réduits avec le zoo de Central Park comme principal extérieur et, l'escalier de la maison d'Iréna construit par Orson Welles pour La splendeur des Amberson pour les intérieurs. Tourneur se joue des contraintes économiques imposées en étant à l'origine d'une forme nouvelle de mise en scène de la peur : suggérer sans montrer, ou, moins on voit, plus on croit. Il ne s'interdit pas de visualiser l'objet de la terreur mais sous forme d'ombre ou d'apparition rapide. Deux ans plus tard, Lewton donnera à Robert Wise la possibilité de réaliser une curieuse suite, La malédiction des hommes chats alors que Paul Shrader réalisera un remake en 1982

La marque de Val Lewton

Lewton est féru de psychanalyse et de poésie qui ne seront jamais absents de l'ensemble de ses films. En ouverture est proposé un carton : "De même que le brouillard persiste dans les vallées, de même le péché ancien persiste dans les profondeurs, les dépressions de la conscience du monde", censé être tiré de L'anatomie de l'atavisme du docteur Louis Judd. Or Louis Judd est précisément le psychiatre interprété par Tom Conway, psychiatre fictif que l'on retrouvera interprété par le même acteur dans La septième victime (Mark Robson, 1943), autre production de Val Lewton. Le carton final "Mais le noir péché a disparu dans la nuit sans fin. Le monde où je vis est en deux parties. Et les deux parties doivent mourir" est, comme il l'est indiqué, bien tiré du cinquième des Holy sonnets de John Donne dont une autre citation fait l'ouverture de La septième victime.

Ces deux citations, fictive ou réelle, donnent l'ambition du film de dépasser les rudiments alors connus de la psychanalyse pour atteindre à la poésie de l'âme. Vous parlez à mon esprit et non à mon âme s'était plainte Irena à Judd. On ne saurait alors mieux dire que Jacques Lourcelles :

"Film essentiel, non seulement dans la carrière de ses deux principaux artisans (le producteur Val Lewton et le réalisateur Jacques Tourneur), dans l'histoire du genre fantastique, mais aussi et surtout dans l'évolution du cinéma tout entier (...). Avec ce film, le fantastique -qui ne sera plus jamais pareil- découvre qu'il peut tirer son efficacité maximum de la litote, qu'il peut inventer de nouveaux moyens d'empoigner le spectateur en s'adressant à son imagination. La richesse du travail sur la lumière notamment contribuera à intérioriser le contenu du film dans les personnages et à provoquer une identification plus subtile et plus poussée du spectateur avec les personnages. C'est là que se situe, avec pudeur, la révolution radicale du film. On peut la résumer d'un mot : c'est la révolution de l'intimisme. Elle dessine pour ainsi dire une ligne de fracture entre le cinéma d'avant-guerre et le cinéma moderne. Ce que le cinéma va y gagner, c'est une plus grande proximité, une plus grande intimité -qu'on pourrait presque qualifier de psychique - du spectateur avec les personnages, explorés dans les tréfonds de leurs peurs, de leurs angoisses, de leur inconscient. Cet apport n'est pas contradictoire, loin de là, avec celui du néoréalisme qui aboutira lui aussi, au moins chez Rossellini, à augmenter l'intimité du spectateur sur un plan social et bientôt spirituel avec les personnages. A partir de Cat People, le cinéma tendra à devenir cet instrument de plongée qui descend au plus profond des personnages comme dans un puits. Pendant les années qui suivront, le courant du film noir renforcera cette évolution en mettant à son service, sous une forme actuelle et contemporaine, les acquis lointains de l'expressionnisme mariés à une découverte récente et parfois rudimentaire de la psychanalyse. Point de départ de l'œuvre réelle de Tourneur, Cat People cerne bien ce qui va être le credo de cette œuvre et son mode d'approche de la réalité. Toute réalité est de l'ordre du mystère, de l'étrange, de l'ineffable. Il faut l'appréhender de l'intérieur, par la suggestion et l'imagination."

Dix ans plus tard, Vincente Minnelli racontera brillamment dans l'un des épisodes des Ensorcelés comment les enjeux esthétiques du film sont apparus du fait de l'indigence du budget et du génie du producteur et de son metteur en scène. Kirk Douglas, alias Jonathan Shields, joue, dans la partie sympathique de l'épisode, le rôle de Val Lewton avant de se monter prêt à tout pour que son projet aboutisse.

La marque de Jacques Tourneur

Les premiers temps du film sont consacrés à la mise en place des éléments fantastiques. Le dessin abandonné par Irena qui vole au vent est prémonitoire de son destin tout comme la sculpture du roi Jean de Serbie qui transperce un félin avec son épée. La proximité-répulsion avec les félins est olfactive (son parfum, Lalage, est décrit comme chaud et vivant par Oliver), sonore (elle aime le rugissement des lions du zoo, qu'elle entend depuis son appartement. Elle écoute la berceuse "dodo l'enfant do" (en rapport probablement avec l'occupation française des mamelouk qui ont laissé prospérer les messes noires) tactile et physique avec la répulsion immédiate qu'ont les chats en sa présence (le chaton offert, l'affolement de la ménagerie, le chat près de la piscine).

   

La première mise en scène de la peur n'intervient qu'au bout de quarante minutes de film. Il s'agit de la poursuite d'Alice par Irena qui va soudainement et de façon invisible prendre sa forme féline. La poursuite alterne des plans d'Alice et d'Irena de plus en plus serrés, corps, hanches, jambes alors que le volume sonore des pas augmente. Quand Alice est de nouveau cadrée en pied, le bruit des pas a disparu et le contre-champ attendu sur la poursuivante est vide. Alice est saisie d'inquiétude et se met à courir. Un rugissement se fait entendre puis un bruit sourd : c'est l'autobus ! Alice se retourne avant de monter et voit les feuilles des arbres s'agiter derrière elle dans le zoo. Les plans suivants montrent le gardien découvrant des traces de pates et des moutons égorgés alors qu'Irena revient dans la rue pour prendre un taxi, un mouchoir sur la bouche, comme écœurée.

Dans la scène de la piscine, pas même le jeu sur les ombres manifeste la présence d'Irena en panthère dont témoigne seul le peignoir déchiré. En revanche, dans la scène du bureau, l'ombre sur le mur est bien celle d'une panthère et sa forme dans l'ombre et sous une table figure brièvement dans un plan. Enfin sa transformation en panthère après que Judd l'embrasse fait l'objet d'un plan très bref. Le film se conclut sur la phrase d'Oliver "Elle ne nous avait pas menti" alors qu'une forme indistincte est allongée sur le sol mais il n'est pas certain que Tourneur veuille suggérer qu'Irena a pris sa forme de panthère en mourant.

   

 

Jean-Luc Lacuve le 16/08/2013

 

Test du DVD

Editeur : Editions Montparnasse. Nouveau master restauré, version originale, sous-titres français.

 

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