Le producteur Harry Pebbel fait venir dans son bureau Georgia Lorrison, grande vedette de l'écran, Fred Amiel reconnu comme l'un des meilleurs réalisateurs d'Hollywood, et James Lee Bartlow, qui vient d'obtenir le prix Pulitzer pour son dernier roman. Pebbel attend un coup de téléphone de Jonathan Shields, qui se trouve en Europe. A ce nom, chacun se souvient de son passé et de sa rencontre personnelle avec Jonathan Shields.
Dix-huit ans plus tôt, Fred Amiel a fait ses débuts de cinéaste avec Jonathan. Après avoir dit ses quatre vérités au sujet de Hugo, le père de Jonathan à son enterrement sans savoir que celui-ci l'écoutait, il était venu s'excuser. Jonathan n'avait pas un sous. Lui, Fred avec Kay sa fiancée qui deviendra sa femme et Syd, le fidèle attaché de presse, ils avaient tous les quatre misés leurs derniers sous pour une partie de poker... perdue contre Pebbel alors producteur de série B...qui engagea Jonathan pour se rembourser sur son salaire de sa dette de 6 351 dollars.
Après quelques films de série Z produits et réalisés ensemble, Jonathan et Fred se trouvent devant un script particulièrement calamiteux, Le crépuscule des hommes chats. En mettent en communs leurs idées, en suggérant plus qu'en montrant, ils obtiennent un vrai succès. Mais Pebbel veut leur imposer une suite. Fred Amiel propose alors à Jonathan Shields le script des Monts lointains, adaptation d'un célèbre roman sur lequel trois studios se sont déjà cassé les dents. Jonathan améliore encore le scénario de Fred en travaillant tard le soir chez lui. Fred convainc, par la qualité de son scénario, Victor Riberia dit, Gaucho, le latin lover à la mode, de jouer le rôle principal. Jonathan obtient l'accord de Pebbel pour un budget de un million de dollars avec tournage à Vera Cruz mais confie la réalisation au célèbre Von Ellstein ne créditant Fred que du rôle d'assistant à la production. En rompant sa promesse envers Fred, il se fâche définitivement avec lui.
Aujourd'hui, Harry Pebbel voit Fred Amiel regarder l'oscar que Les monts lointains rapporta mais lui fait remarquer que, depuis dix huit ans, il a bien rebondi avec deux oscars et six enfants. Et, lorsqu'il voit Georgia regarder le dessin réalisé par son père, pris autrefois chez elle par Jonathan en accroché depuis lors dans son bureau, il dit aussi la comprendre.
Treize ans plus tôt, Giorgia naviguait en plein naufrage, inconnue et alcoolique. Jonathan la sauva de la déchéance connaissant le traumatisme qu'était pour elle d'avoir à subir le poids d'être la fille d'un acteur adulé et qui par ailleurs fut pour lui une sorte de parrain dans la vie. Il lui donnant des rôles de plus en plus importants mais la trompa en lui faisant croire qu'il l'aimait, comme elle l'aimait, elle!
Quant à Bartlow, professeur d'histoire médiéval dans une université sud, il y a trois ans encore, Jonathan contribua malgré lui à lui faire gagner le prix Pulitzer. Il l'avait fait venir à Hollywood pour adapter son premier roman, Les grands chemins. Mais Bartlow n'écrivait rien, tant il était dérangé par son épouse aimante mais fort naïve. Jonathan avait demandé à Gaucho de servir de chevalier servant à Rosamry pendant qu'il faisait travailler son mari au calme.
Au retour de leur retraite de travail, Bartlow avait appris qu'un avion dans lequel elle s'était envolée avec Gaucho, s'était écrasé. Jonathan avait veillé à ce que la presse étouffe la destination de ce vol vers Acapulco où Rosamry s'apprêtait probablement à divorcer mais n'avait jamais dit à Bartlow qu'il le savait par un coup de téléphone de Gaucho passé juste avant ce vol. Il surcharge Bartlow de travail pour lui faire oublier sa femme. Sur le tournage des Monts lointains, il fait démissionner Von Ellstein pour mettre le film en scène lui-même... qui s'avéra si mauvais qu'il refuse de le sortir, ce qui, après deux échecs, le ruine définitivement. Bartlow lui propose alors de produire son nouveau scénario. Shields se coupe alors et révèle à Bartlow qu'il est indirectement responsable de la mort de sa femme.
Aujourd'hui, Pebbel rappelle à Bartlow que c'est bien grâce à Jonathan qu'il connaît les qualités et défauts de sa femme et qu'il est aujourd'hui un romancier célèbre et le scénariste le mieux payé d'Hollywood. Il leur propose de travailler de nouveau avec Jonathan. Ils refusent et sortent de la pièce. Georgia se saisit néanmoins du téléphone du secrétariat et écoute la voix de Jonathan, bientôt rejoint par Fred et Jim. Ensorcelés, ils répondront sans doute positivement à l'appel de Jonathan Shields.
En 1952 à Hollywood, il s'est déjà fait beaucoup de films sur les acteurs et actrices : Show people (King Vidor, 1928), What price Hollywood ? (George Cukor, 1932), Une étoile est née (William Wellman, 1937) ou Sunset boulevard (Billy Wilder, 1950) mais seul Keaton s'était attaqué au rôle du metteur en scène avec Le Cameraman en 1928. Les ensorcelés est le premier film à mettre en scène l'ensemble du système hollywoodien avec les rapports entre acteurs, scénaristes, réalisateurs, producteurs et presse. L'image qu'il en donne sera complétée dans les années 50 par Chantons sous la pluie (Stanley Donen, 1952), Une étoile est née (George Cukor, 1954), Le grand couteau (Robert Aldrich, 1955), La comtesse aux pieds nus (Joseph Mankiewicz, 1954).
En 1952, la politique des auteurs est encore inconnue. Se partagent le haut de l'affiche le producteur (avec par exemple la mention The Selznick studio presents en début de générique), le réalisateur (qui clôt le générique juste après le producteur), le scénariste sans lequel il n'est pas de bons films et les acteurs qui attirent le public. Cet attelage ne fonctionne pas toujours dans l'unité "Les meilleurs films sont souvent faits par des gens qui se détestent" remarquera Shields.
Producteur, réalisateur, scénariste et acteurs
Le travail du producteur apparaît à travers le film comme nécessitant une énergie constante. C'est un chef d'orchestre toujours en mouvement, victime d'émotions contradictoires : "Bosser sur un film, c'est comme draguer une nana. Tu la vois, tu la veux, tu la suis et, après le grand moment, vient la déception. Après chaque film, c'est le coup de blues".
Shields peut être fier de son travail. Pebble l'affirmera "Parmi les dix plus grands films du cinéma, il y a toujours deux ou trois films de Shields que l'on cite". Il est bien loin du producteur comptable, tel Pebbel à l'époque des Hommes-chats : "Je te l'ai dit cent fois petit génie : l'oscar je m'en fiche. Je veux un happy-end qui remplisse les caisses."
Le producteur coordonne la mise en scène mais ne la réalise pas. C'est un travail spécifique comme le lui fera remarquer, a contrario, Von Ellstein lorsqu'il lui déclarera n'avoir, avant ce jour, jamais vu un producteur qui rédige un script comme un réalisateur. Quand Shields voudra passer à la mise en scène, il produira une "pâte molle sans rythme ni intensité". Von Ellstein l'avait prévenu : "... une dimension que je tiens à ignorer : je pourrais faire de cette scène l'apogée de tout le film, mais je serais un mauvais réalisateur. Un film n'est pas seulement une suite de moments forts. C'est une construction globale où il faut savoir parfois ralentir. Vous voulez obtenir exactement ce que vous souhaitez ? Occupez-vous personnellement de la mise en scène. Mais la mise en scène suppose une certaine humilité."
Le dialogue entre producteur et réalisateur est l'acte créatif le plus fécond qui transforme l'horrible script du Crépuscule des hommes chats en modèle du film de terreur faisant penser à La féline (Jacques Tourneur, 1945). C'est d'abord, Shields qui s'interroge : "Si on montre cinq gugusses déguisés en chats, le spectateur va voir cinq gugusses déguisés en chat alors que le public vient pour avoir la trouille. On montrera l'obscurité car c'est vivant, l'obscurité dans le noir tout peut exister. Amiel conclut alors par l'idée de ne jamais montrer les hommes chats. Restent à trouver ce qui, à l'écran, va terrifier le public s'interroge à nouveau Shields. Et ils font alors preuve d'idées successives : "Deux yeux qui brillent dans le noir, les aboiements d'un chien terrorisé, le cadavre d'un oiseau le cou broyé, les hurlements d'une petite fille avec les joues griffées..."
Dans la collaboration producteur scénariste, on retiendra l'idée de ne pas trop écrire. Laisser le public imaginer ce à quoi l'héroïne pense est bien plus efficace qu'une longue tirade, fut-elle très bien écrite.
Au final bien plus qu'un film à clé (Zelznick pour le producteur, Fritz Lang pour Von Ellstein, Mankiewicz pour James Lee Bartlow avec la pipe et le goût pour la voix off), c'est à un hommage à Hollywood que se livre Minnelli.
Motifs visuels et thématiques
A l'entrelacement des talents pour faire un film, Minnelli ajoute l'entrelacement des intrigues et des motifs. Assez conventionnels chacun des trois flashes-back commence et finit par un objet sur lequel se fait un fondu enchaîné : l'oscar pour Amiel, le dessin de Shields caricaturé en diable encadré pour Gloria et le livre de James Lee pour ce dernier.
Mise en scène finalement assez modeste et invisible qui ne s'appuie sur aucun mouvement d'appareil très voyant. Le seul plan un peu long est celui de 1'10 lorsque Shields, Amiel, Syd et Kay s'incrustent dans une soirée avec arrière-plan, hors-champ, entrées et recadrage, le tout filmé à la grue. On note aussi le travelling avant puis arrière sur le tournage des Monts lointains lorsque Von Ellstein est encore à la mise en scène. La voix off est aussi assez discrète : trois très courtes interventions pour Amiel et Gloria Larrison et un peu plus du double pour le scénariste sans qu'elle soit nécessaire à aucune scène.
La réapparition de la devise de Shields, "Non sans droit", d'abord caricaturée d'une moustache par Gloria en souvenir du même geste, sacrilège mais finalement libérateur, commis par Shields sur le portait de son père que l'on retrouve ensuite sur porte du bureau avant de voir son origine et sa transformation éphémère : au temps de l'amitié, il avait dessiné un double heaume marquant son association avec Amiel. Mais ce beau geste était dessiné sur du sable... et donc destiné à ne pas durer.
Le titre du film "The bad and the beautiful" peut faire penser, comme nous y incite l'affiche, à la belle (Gloria) et au méchant (Shields). Mais ce serait oublier Amiel et le scénariste. Le titre français, Les ensorcelés, est excellent, mettant acteurs, scénariste et réalisateur sous la coupe du personnage principal du producteur. Mais peut-être qu'une traduction Le mal et la splendeur rendrait aussi justice à l'idée majeure qui parcourt le film : on ne peut faire un film sans une part d'ombre, de désirs inassouvis, d'imperfections, sans traumatisme puis renonciation... sans l'ombre et la lumière.
Jean-Luc Lacuve le 22/03/2010.