Millénium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes

Mikael Blomkvist est un brillant journaliste économique qui écrit dans le mensuel suédois Millénium, dont il est copropriétaire avec sa compagne Erika Berger. Parce qu'il n'a pas étayé sérieusement ses informations lors d'une enquête journalistique, il est assez lourdement condamné pour diffamation envers une des personnalités les plus en vue de l'économie suédoise, le multimillionnaire Hans-Erik Wennerström.

Alors que le magazine Millenium semble perdu, une des figures majeures de l'histoire de l'industrie suédoise, Henrik Vanger, lui confie un travail de la plus haute importance, officiellement écrire une biographie de l'histoire de la puissante famille Vanger. En fait, la véritable mission de Blomkvist concerne un meurtre non élucidé depuis plus de trente-six ans, celui de la nièce préférée de Henrik, Harriet Vanger, disparue à l'âge de seize ans, en 1966. Vanger est convaincu qu'elle a été assassinée par un membre de sa propre famille. Pour convaincre Blomkvist, Henrik promet de lui confier des informations sensibles sur Wennerström, envers lequel il pourra ainsi contre-attaquer.

Lisbeth Salander est une jeune femme de vingt-quatre ans, rebelle, étrange et perturbée, en total déphasage avec la société dans laquelle elle vit. Elle est pupille de la nation et lorsque son tuteur est victime d'un AVC elle doit rendre compte de son comportement au fonctionnaire Bjurman. Celui-ci abuse de son autorité et la contraint à une fellation pour obtenir l'argent nécessaire à la réparation de son ordinateur, son outil de travail. Elle est en effet une jeune hacker autodidacte prodige.

Blomkvist s'installe à demeure dans une annexe du manoir de Vanger sur l'ile que possède la famille, percluse de haines avec d'anciens nazis en son sein.

Lisbeth, après avoir été sauvagement violée par Bjurman qu'elle était venue piéger avec une caméra, vient se venger de celui-ci. Elle menace de rependre sur le net la vidéo du viol s'il ne convainc pas l'administration de l'émanciper. Pour empêcher tout renouvèlement de ses pratiques sexuelles infâmes envers les femmes, elle lui tatoue sur le corps un message comme quoi il est un gros porc violeur.

Blomkvist, en possession de toutes les archives d'Henrik, ne parvient pas à élucider la disparition d'Harriet. Toutefois lorsque sa fille, Annika, devenue très pieuse vient lui rendre visite, elle le met sur la piste de versets religieux inscrits sur le carnet d'Harriet évoquant des châtiments bibliques

Blomkvist sollicite l'aide de la personne qui a rassemblé les informations que Henrik possèdait sur lui pour l'engager. Elle travaille en indépendant pour une société active dans le domaine de la sécurité. C'est Lisbeth, une pirate informatique de haut vol, capable de craquer tous les systèmes.

Entre la jeune femme perturbée qui se méfie de tout le monde et le journaliste tenace, un lien de confiance fragile se noue. Lisbeth découvre que les châtiments décrits sont ceux infligées à des jeunes femmes sauvagement assassinées au cour des quarante dernières années en Europe. Ils établissent ainsi le lien entre la disparition d'Harriet et l'œuvre d'un tueur en série qui mutile des femmes aux prénoms bibliques en se conformant aux châtiments préconisés par la bible. En décryptant une photographie prise par une jeune femme alors en voyage de noces à l'arrière d'Harriet en 1966, ils découvrent qu'il s'agit du jeune Martin Vanger revenu d'Uppsala plus tôt dans la journée que ce qu'il l'avait toujours affirmé.

Martin a compris que Blomkvist a découvert qu'il était le tueur en série. Il le piège et va le torturer à mort lorsque Lisbeth survient et le sauve. Blessé, Martin s'enfuit. Poursuivi en moto par Lisbeth, il n'échappe pas au piège qu'elle lui tend à la sortie du pont. Il sort de la route et meurt, brulé vif dans sa voiture.

Le mystère de la disparition d'Harriet n'en est pas résolu pour autant. Blomkvist a compris que Martin n'en savait pas plus que lui. Il ne reste plus qu'une solution: Anita Vanger est Harriet. Celle-ci le lui confirme : sa sœur, Anita l'aida à fuir. Elle prit ensuite son identité d'autant plus facilement que sa sœur et son mari moururent dans un accident d'automobile. Rassurée par la mort de Martin, Harriet revient sur l'ile familiale retrouver Henrik.

Mais Blomkvist est furieux. Henrik n'avait qu'un petit dossier sur le multimillionnaire Hans-Erik Wennerström: une affaire couverte par la prescrition. Lisbeth lui demande 50 000 euros, presque la totalité de son épargne ; ce qu'il lui accorde avec confiance. Il a bien raison : Lisbeth hacke les comptes de Wennerström et, déguisée en sa complice blonde, les fait transférer dans des paradis fiscaux en prenant soin de laisser des traces partout. Déconsidéré, Erik Wennerström tente de fuir la Suède mais est assassiné par la mafia. Ce qui prouve les affirmations que Blomkvist avait fait paraitre dans son journal. Millenium est sauvé.

Lisbeth explique à son tuteur toujousr mal remis de son AVC qu'elle a trouvé un ami en Blomkvist. Elle voudrait néanmoins qu'il soit davantage que cela. Mais, constatant son accord avec sa compagne, elle renonce à le séduire et fuit, plus solitaire que jamais.

Le film propose quatre résolutions successives à ses quatre questions principales : qui est le meurtrier en série de jeunes femmes sauvagement assassinées depuis 40 ans ? Comment Harriet a-t-elle disparue ? Comment Blomkvist va-t-il sauver son journal, Millenium ? Quelle est la personnalité de Lisbeth ? Il court ainsi le risque d'apparaitre, tel une série télévisée, comme la juxtaposition sans lien véritable, hors la réunion dans un même lieu ou un même temps, de quatre histoires indépendantes. Pourtant, une même vision de l'humanité rassemble ses quatre énigmes : les femmes décryptent mieux la réalité que les hommes mais leur lucidité vis à vis de la complexité du monde s'accompagne de leur mélancolique revers : l'impossibilité de s'inscrire dans ledit monde et la triste sensation de le voir passer, indifférent à leur propre existence.

Des femmes condamnées à la mélancolie

Comme Robert Graystmith dans Zodiac (2007) ou Mark Zuckerberg dans The social network (2010), Lisbeth fait preuve d'un exceptionnel talent d'interprétation et de maitrise des signes. Capable de crypter et décrypter tous les codes informatiques qu'elle bidouille à son gré, elle s'ouvre des portes et en ferme aux autres. Mais l'aisance à lire le monde au travers des signes la vampirise au point de l'empêcher de se nourrir ou de dormir. Ce retrait du monde était nécessaire à Lisbeth après la tentative de meurtre contre son père dont on comprend qu'il la violait, qu'elle a laissé brulé vif à 80 %. Après l'attaque cérébrale de son tuteur aimable et gentil, elle est plongée dans un nouveau cauchemar masculin avec le fonctionnaire Bjurman. Le travail commun avec Blomkvist lui fait retrouver à la fois confiance et envie d'une vie normale (après avoir fait l'amour avec lui, elle lui prépare un petit déjeuner.) Mais, alors qu'elle tente de le conquérir, elle le voit heureux avec sa campagne et renonce.

Comme Lisbeth, Harriet a été violée par son père puis par son frère Martin. Elle a aussi découvert le secret des meurtres rituels qu'accomplissait son père et que reprendra son frère. Elle a ainsi décidé de s'éloigner. Elle vit incognito et solitaire à Londres. Ce n'est qu'une fois rassurée par Blomkvist que, 40 ans après le drame, elle retrouve Henrik.

Des hommes moins performants

Blomkvist n'aurait pas résolu l'énigme des meurtres en série ni celui de la disparition d'Harriet sans Lisbeth. Il ne saura pas non plus qu'il lui doit le sauvetage de son journal puisqu'elle discrédite Wennerström sans qu'il le sache. Il ignorera tout pareillement le cadeau qu'elle s'apprêtait à lui faire en espérant le conquérir.

Henrik malgré sa fortune n'a pas, non plus, su résoudre l'énigme de la disparition de sa nièce pas plus qu'il n'a empêché sa famille de basculer dans le nazisme puis, pour certains, dans le crime en série.

En articulant son film sur la double proximité morale entre, d'une part, Lisbeth et Harriet qui ont tout compris mais sont exilés du monde et, d'autre part, Blomkvist et Henrik qui n'ont pas vu l'essentiel mais ont gardé leur pouvoir économique, Fincher tisse une toile romanesque qui relie entre eux les différents épisodes de ce qui n'aurait pu être qu'un simple film de détective.

Jean-Luc Lacuve le 10/07/2017

Bibliographie : Dans Le champ du signe, article de Michaël Delavaud dans David Fincher, simulacre et réalité, Eclipses n°51, Décembre 2012.