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Simon du désert

1965

Voir : photogrammes

(Simon del desierto). Avec : Claudio Brook (Simon), Silvia Pinal (Le diable), Luis Aceves Castañeda, Antonio Bravo (prêtres), Jesús Fernández (Goatherd). 0h45.

Simon est un émule de Saint-Siméon le stylite (392 - 459), ascète syrien, qui aurait vécu quarante ans sur une colonne. Comme lui, Simon vit en ermite, et fait pénitence au sommet d'une tour de huit mètres de haut, dressée en plein désert.

Voilà six ans, six semaines et six jours, qu'il est là. Praxedes, un riche miraculé, lui offre une nouvelle colonne, plus haute, avec une plate-forme entourée d'un parapet, en signe de reconnaissance.

Sa mère, solitaire, voudrait vivre avec son fils. Il la repousse pour ne vivre qu'avec ses prières vers Dieu mais se voit contraint d'accepter sa présence en bas de la colonne dans une vieille hutte. Les prêtres voudraient l'ordonner pour en faire l'un des leurs mais il refuse cet honneur. La foule l'exhorte à rendre des mains à un paysan auquel on les a coupées pour avoir volé. Il ordonne à tous de prier et le miracle s'accomplit.

Une fois la foule partie, les prêtres restent à prier avec lui. Lorsque le diable se présente une première fois sous l'aspect d'une belle femme portant une cruche, il rudoie l'un des prêtres qui a posé les yeux sur elle. Plus tard lorsque Matthias, le jeune prêtre imberbe, vient lui rendre visite, il lui reproche sa tenue trop bien mise.

Simon souffre sur sa colonne. Il aimerait parfois courir sur la terre ferme et être réconforté par sa mère. Mais, le plus difficile est de résister aux tentations du diable qui s'ingénie à replacer Simon dans notre siècle. Il prend ainsi l'aspect d'une perverse joueuse de cerceau qui lui montre cuisses, seins et langue avant de le transpercer de coups d'épingles et de se transformer en vieille femme décatie.

Simon prie et se livre au jeûne toute la journée. Il ne se nourrit que de feuilles de salades et d'eau. Les prêtres du monastère voisin viennent le voir pour prier avec lui. Pourtant l'un d'eux, Trifon l'accuse de se goinfrer de pain et de bon fromage qu'il a trouvé dans sa besace au pied de la colonne. Simon, pour toute défense, demande une prière. Trifon se révèle alors convulsif, comme possédé par le diable... qu'un signe de croix de Simon exorcise.

Pour mieux se mortifier, Simon reste en équilibre sur un pied. Mais il ne sait plus très bien ses prières ni même que faire si ce n'est bénir le ciel et les animaux.

Huit ans, huit mois et huit jours se sont maintenant écoulés et un Jésus à la barbe bouclée portant un doux agneau vient le tenter de nouveau. Ce sera ensuite une belle jeune femme se déplaçant dans le désert sur un cercueil automoteur qui parviendra à le faire quitter sa colonne et à l'entraîner à bord d'un avion de ligne en direction de New York.

La barbe taillée, vêtu d'un pull-over, fumant la pipe, Simon se retrouve dans une boîte de nuit où des couples se livrent à une danse nommée : "chair radioactive, c'est la danse ultime, la danse finale". Simon voudrait bien repartir, mais le diable l'avertit que s'il rentre à la maison il sera déçu d'y trouver un locataire : "Tu dois patienter, patienter jusqu'à la fin. "

S'intercalant entre deux films français, Le journal d'une femme de chambre (1964) et Belle de jour (1967), Simon du désert est le dernier film mexicain de Bunuel. Il se distingue assez nettement de Nazarin (1958) ou de Viridiana (1961), charges violentes contre la religion.

Simon du désert amorce en effet ce qui deviendra une constante des derniers films de Bunuel : la revendication d'une théologie déviante à force d'excès comme un plaisir coupable et violent pour échapper au nivellement des valeurs de la bourgeoisie, lieu de toutes les médiocrités. Simon échappera au compromis, non pas en trouvant Dieu mais en acceptant l'enfer proposé par le diable, un enfer eternel où il souffrira autant qu'en haut de sa colonne.

Simon est un saint

Simon n'a rien d'un charlatan : abstinence, prière, charité (il donne ses feuilles de salade au petit lapin) et humilité (il refuse de se défendre d'accusations) sont ses armes pour le délivrer du malin. Il est même en proie au doute ne sachant s'il doit être fier d'une liberté ou d'un esclavage. Il accomplit le miracle de rendre ses mains au paysan et il délivre Trifon le calomniateur de la présence du malin en lui.

Il est inexact de dire, comme on le lit parfois, que le premier geste du miraculé auquel on a rendu ses mains est de gifler sa fille. Certes il la rabroue un peu mais ce sont surtout les préoccupations matérielles qui occupent désormais son esprit : réparer la bêche dont le manche est cassé et retourner la terre. Dans Nazarin ou Viridiana les bonnes actions se transformaient en mal plus grand. Ici, elle ne renvoie qu'à la simple réalité des paysans pauvres et à la curiosité terre à terre des deux voyageurs heureux d'avoir vu un miracle.

Ce que propose Simon : "une ascèse tendue comme un arc pour oublier ce que nous laissons derrière nous afin de poursuivre notre envol pour atteindre l'éternel" est peut-être un exemple à suivre pour les prêtres. Poussé à son extrême, l'acte de Simon ne conduit qu'à des stigmates, à la mortification et à la négation de la présence des pulsions diaboliques et à un égoïsme forcené qui se traduit par un refus de tout geste qui ne soit ni grand ni miraculeux. Il abandonne sa mère et se montre incapable de bénir la chèvre qui va mettre bas.

Un saint qui se prive des jouissances et des compromis terrestres

Le paysan nain qui garde des chèvres est l'opposé de Simon. Autant l'un est élevé et aspire aux cieux, autant l'autre est proche de la terre. Il sera le premier à constater l'omniprésence du plaisir jusque dans les pis de sa chèvre : à peine on touche les pis de sa chèvre qu'elle se pâme.

Les prêtres ne peuvent que ressentir les compromis auxquels tente d'échapper Simon. L'un d'eux pose sont regard sur une femme et viendra tenter de convaincre Simon que la guerre est inévitable entre les hommes. Les prêtres connaissent les bonnes choses, le fromage samaritain, le vin et le pain... qui faute de vivacité échoueront dans le ventre du nain. Mathias sera exclu du monastère sur les conseils de Simon car il est trop coquet et ne porte pas la sérieuse barbe.

Xenon le chef des prêtres a bien du mal à suivre le discours théologique de Trifon possédé par le diable et contredit systématiquement celui-ci disant "A bas l'hypostase sacrée, l'anastase, l'apocastase" sans bien savoir de quoi il s'agit.

Tout autour la misère paysanne règne, jusque dans la condition misérable dans laquelle vie la mère de Simon.

Mort et anéantissement dans le rock newyorkais

Humour ("Je reviendrai, le chevelu, je reviendrai") et poésie surréalistes se mêlent pour transformer le beau en laid et énoncer des phrases dont le sens se retourne le temps de l'énonciation : "Bienheureux sont ceux qui souffrent", "Retourne dans le monde, repais-toi de jouissance", "La seule mention du plaisir te donnera la nausée". Si Simon reste hors d'atteinte des hommes, il finit par succomber au malin lorsque celui-ci le convainc quil n'est pas différent de lui et qu'il connait Dieu ...même s'"il y aurait davantage à dire sur le fils !"

Le compagnonnage de Bunuel avec le mouvement surréaliste ne pouvait qu'être passager. Il n'y a nul exaltation de quoi que ce soit chez le cinéaste. Les valeurs spirituelles qu'il admire (la théologie, le combat social) sont dépouillées de toute forme de sacralisation. Elles sont certes sources de jouissances mais purement égoïstes, elles demeurent fragiles face à la puissance de la pulsion de mort et d'anéantissement. C'est de ce pessimisme foncier que Bunuel tire la force de ses descriptions des milieux sociaux divers qu'il traverse.

Dans le désert, Simon et les humains luttaient. "Le diable rode dans le désert, la nuit je l'entends" disaient le nain et Mathias. A New York, l'absolu règne, Bien et Mal sont mélangés sur une scène unique. Il n'y a rien d'autre, il n'y a qu'à patienter jusqu'à la fin. La scène new yorkaise où a abouti Simon est une nouvelle incarnation des mondes originaires chers à Bunuel, ceux du vertige de l'anéantissement bien proche de la jungle de studio dans La mort en ce jardin, du salon mystérieusement clos de L'ange exterminateur ou de la rocaille de L'âge d'or, du monde primordial du Charme discret de la bourgeoisie, du dépôt d'ordure dans Los Olvidados, des mendiants dans Viridiana.

Jean-Luc Lacuve le 30/06/2009.

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