(1903-1970)
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Abstraction lyrique |
Malgré le fait que Rothko soit associé aux expressionnistes abstraits, ses peintures ne partagent pas le caractère gestuel et spontané de leur travail. Dans les toiles de Rothko au début des années 50 , un ou plusieurs champs de couleur rectangulaires semblent flotter sur la surface de fond, mais ne s'en détachent jamais complètement. Ses couleurs vibrantes, appliquées en couches successives très diluées, enveloppent le spectateur, entraîné dans une nouvelle spatialité qui résiste à toute tentative de mesure. Les couleurs vives et expansives de son travail cèdent progressivement la place à des teintes plus sombres et plus introspectives ; marrons, gris, verts foncés et bruns.
Centre blanc | 1950 | Collection particulière |
Orange, rouge, jaune | 1956 | Collection particulière |
Lumière rouge sur noir | 1956 | Londres, Tate Britain |
No 46, Noir, ocre, rouge sur rouge | 1957 | Los Angeles, MOMA |
Vert sur marron | 1961 | Madrid, Musée Thyssen |
Né en 1903 dans la partie de l'empire russe qui est devenue la Lettonie, Mark Rothko émigre enfant vers les Etats-Unis. Les aquarelles des années 20 et 30 ne révèlent pas encore sa personnalité de peintre.
Avec Family puis la série des personnes quotidiennes saisies dans le métro s'affirme son talent inspiré de Matisse et plus particulièrement de L'atelier rouge pour qui, selon lui, "La couleur occupe l'espace entre les objets comme une gelée et les fait tenir ensemble".
Family
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Ce sont ensuite les surréalistes, émigrés aux Etats-Unis pendant la guerre qui influence Rothko. Lent tourbillon au bord de la mer est proche de Picasso et Masson, les multiformes qu'il réalise ensuite se rapprochent de ce que sera son style définitif.
Lent tourbillon au bord de la mer
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Multiforme
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En 1949, il réalise son dernier assemblage de rectangles encore non strictement symétrique Il simplifie son langage à un ou plusieurs rectangles de couleurs aposés sur un fonds monochrome. Progressivement, le format des tableaux s'élargit pour produire sur le spectateur la sensation d'être immergé dans une image picturale abstraite.
En 1951, il est photographié avec le groupe des peintres rassemblant les différents courants de l'abstraction lyrique américaine dominée par les figures de Jackson Pollock, chef de fil de l'expressionnisme abstrait
Mark Rothko rompt pourtant très vite avec la peinture gestuelle et spontanée de ses collègues. Au début des années 1950, Rothko développe un langage abstrait personnel qu'il continuée à affiner et à simplifier au cours des vingt années suivantes. Ses toiles, généralement de grandes dimensions — car il croit qu'elles inspirent une plus grande intimité à la vue —, se divisent en plusieurs champs de couleur rectangulaires, plus ou moins horizontaux, ouverts et vibrants qui n'ont aucun rapport avec la géométrie et semblent flotter dans un espace indéterminé. La peinture, appliquée en une série de fines couches, comme s'il s'agissait d'aquarelle au lieu d'huile, ne révèle jamais les coups de pinceau et la texture est réduite à son expression minimale. C'est de Barnett Newman, qui peint des champs colorés séparés par des bandes nommées zip et fonde le mouvement du "color field painting", que se rapproche le style de Mark Rothko qui dira ainsi : "Je ne suis pas un coloriste, j'utilise la vie intime des couleurs."
Rothko conçoit ses œuvres comme des drames, comme la représentation d'une tragédie intemporelle. Ses peintures, imprégnées d'une grande intensité spirituelle, engagent le spectateur avec une grande force émotionnelle, inspirant la contemplation et la méditation. Robert Rosenblum a décrit la peinture de Rothko comme "l'abstraction du sublime" et l'a liée à la tradition romantique des pays d'Europe du Nord. Selon cet auteur, les peintures de Rothko, comme celles de Friedrich un siècle avant lui, « recherchent le sublime dans un monde profane ».
Rothko considére la couleur pure comme le meilleur moyen d'exprimer les émotions et, à cet égard, il peut être lié aux théories mystiques de l'abstraction de Kandinsky. Comme Kandinsky, Rothko croit que la couleur agit directement sur l'âme humaine et était capable de susciter des émotions profondes chez le spectateur. Au début des années 1960, les tons vifs et puissants de ses peintures antérieures, qui ont une sorte d'effet rayonnant expansif, sont remplacés par des nuances ternes de marron, gris, vert foncé et brun, ce qui donne des œuvres plus hermétiques et encore plus impressionnantes.
La notion d'œuvre unique passe au second plan. En 1958, Mark Rothko élabore un projet pour la décoration du restaurant new-yorkais Les quatre saisons. Il y renonce finalement trouvant que le lieu ne se prête pas à être un temple pour l'art.
En 1961, le Museum of Modern Art organise une grande exposition de ses œuvres, la première exposition personnelle qu'il consacre à un artiste de la New York School. Rothko supervise minutieusement l'installation de ses œuvres, car il attache une grande importance à la façon dont le spectateur les aborde, crée un affichage très intense et dramatique, plaçant les peintures très proches les unes des autres avec un éclairage très diffus. Cela annonce le changement qui s'opère dans son travail et reflète son état dépressif. Green on Maroon, très probablement exécuté après la fin de l'exposition est probablement l'un des premiers exemples de l'évolution de la peinture de Rothko vers des tons plus ternes et plus opaques.
En 1961, alors qu'à lieu à New York une rétrospective consacrée à son oeuvre, la première organisée dans ce lieu pour un artiste contemporain, il se rend aussi à Washington pour mettre en place ses tableaux dans la salle que lui consacre la Philipps collection.
Dans les trois dernières années de sa vie, la série des peintures "Black and grey" domine. Juste avant son suicide en 1970, c'est par une peinture très vive, presque un monochrome, qu'il termine son oeuvre.
Black and grey
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"C'est une idée très répandue parmi les peintres que le sujet importe peu du moment qu'il est bien peint. Telle est l'essence de l'académisme. Il n'est pas vrai que l'on puisse faire une bonne peinture à propos de rien. Nous affirmons que le sujet est essentiel et que le seul sujet qui vaille la peine est le tragique et l'éternel. " Mark Rothko
Jeffrey Weiss a mentionné la contradiction entre l'attrait de la peinture de Rothko, qui se prête à être longuement regardée, et sa difficulté à la déchiffrer. Paradoxalement, Rothko a toujours aspiré à être compris, convaincu que « l'évolution de l'œuvre d'un peintre est un voyage dans le temps vers la clarté », c'est-à-dire vers « l'élimination de tous les obstacles entre le peintre et l'idée, et entre l'idée et l'observateur. Pour Rothko, « parvenir à cette clarté, c'est inévitablement être compris ».
Source : Mark
Rothko par Isy Morgensztern (51 minutes). Editions Montparnasse.