Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours, est la nouvelle édition de L’Âge moderne du cinéma français (Flammarion, 1999). Entièrement révisée et considérablement augmentée, cette monumentale et indispensable somme est organisée chronologiquement en cinq parties :
Chaque décennie fait l’objet d’un récit où sont détaillés les enjeux économiques et les affrontements politiques, les mutations esthétiques, le parcours des anciens réalisateurs, ceux apparus dans la génération précédente, et les films qui révèlent une nouvelle période.
L’histoire, c'est maintenant bien connu mais encore faut-il, comme ici, savoir la raconter, débute sur les marches du Palais des festivals à Cannes, en 1959, avec la projection des Quatre Cents Coups de François Truffaut, acte de naissance médiatique du cinéma moderne. Les "jeunes-turcs" de la Nouvelle Vague et toute une génération explorent de nouveaux chemins de création avec une énergie et une innovation sans pareil. Ce vent de rupture remet en cause à la fois l’organisation du cinéma français et l’idée dominante du cinéma lui-même. Les nouveaux venus réinventent la manière de filmer, de produire et de penser le cinéma. Ce "moment magique" du cinéma français, qui fascina l’Amérique et le monde entier, va laisser place à une multitude d’effets, qui interfèrent avec les soubresauts de la "grande histoire".
Dans la nouvelle partie consacrée aux années 2000, l’auteur pointe les changements radicaux intervenus dans la production cinématographique, consécutifs à l’apparition du numérique et d’Internet, et à une série d’événements qui ont modifié le paysage du cinéma français.
Une politique culturelle à l'abandon
Libéralisme économique, désengagement de la puissance publique, mondialisation ; essor des techniques numériques sont les maîtres mots de l'époque. Au CNC, après le départ du libéral Marc Tessier, ni Jean-Pierre Hoss, David Kessler, Catherine Colonna ou Véronique Cayla ne parviennent à dessiner une perspective d'ensemble où primeraient les intérêts collectif et artistique. Des moyens sont pourtant trouvés avec la taxation des fournisseurs d'accès à Internet et la création du crédit d'impôt... mais celui-ci renforce les productions lourdes.
Jack Lang, brièvement revenu au gouvernement comme ministre de l'éducation, lance le dispositif "Les arts à l'école", qui cherche à insuffler l'art dans tous les dispositifs éducatifs. Pour le cinéma, c'est Alain Bergala qui est chargé de l'organisation. Celle-ci s'appuie sur le volontarisme des enseignants les plus motivés, comporte notamment la présence dans les classes de nombreux professionnels (réalisateurs, techniciens, comédiens) accompagnants les approches théoriques ou historiques d'expériences pratiques. Il est complété par la collection de DVD, Eden cinéma, offrant l'acquisition d'une culture cinéphile avec des bonus pédagogiques de grande qualité. La défaite de Jospin en 2002 puis le départ en retraite, non remplacée de Christine Juppé-Leblond, très active responsable de l'enseignement du cinéma au sein de l'éducation nationale, laisseront le dispositif et les volontaires sans soutien.
En 2004, la remise en cause du statut des intermittents du spectacle fait tomber Jean-Jacques Aillagon et est négocié par Renaud Donnedieu de Vabres.
Avec la nomination de Christine Albanel, on assiste à la ghettoïsation de la culture en Actions culturelles, aux moyens de plus en plus rognés. La nomination de Fréderic Mitterrand en 2009 n'y change rien. La fête du cinéma, inventée dans l'esprit de la fête de la musique il y a vingt-cinq ans, devient une simple semaine commerciale. Chez les producteurs, Martin Karmitz passe la main à son fils Nathanaël, Claude Berri et Alexandre Arcady aux leurs, Thomas Langman et Alexandre Aja, Daniel Goldman à Alain Goldman.
Des auteurs anciens et nouveaux
Dans cette histoire à rebondissements, Jean-Michel Frodon met en évidence les lignes de force qui déterminent le cinéma d'aujourd'hui, interrogeant les notions d’oeuvres et d’auteurs, modifiant et menaçant souvent la création la plus ambitieuse, et permettant pourtant l’éclosion de créations protéiformes, où convergent l’héritage et l’innovation. Il dessine les grandes tendances de ce nouveau cinéma en train de se construire : la porosité croissante entre le monde du cinéma et celui des arts plastiques, l’explosion du documentaire, les usages innovants des petites caméras DV, les multiples descendances du « big bang » de la Nouvelle Vague, l’importance décisive pour le cinéma français des réalisateurs issus de l’immigration, la richesse et la singularité d’une nouvelle génération de femmes réalisatrices et d’acteurs, et surtout d’actrices (Vincent Cassel, Louis Garrel, Chiara Mastroianni, Romane Bohringer, Charlotte Gainsbourg, Mathieu Demy, Laura Smet...).
Le cinéma ne s'est pas dissout dans la télévision ou les jeux vidéos. Les techniques numériques ou internet le transforment sous l'impulsion de l'école d'art du Fresnoy dirigée dans le Nord par Alain Fleischer, de la fondation Cartier ou du Centre Pompidou. Chris Marker après Zapping zone au Centre Pompidou en 1990 réalise le CD-Rom Immemory (1998), Hollow men, Chats perchés (2003) et laisse le chat Guillaume en Egypte vivre sa vie sur Second life. Agnès Varda, Chantal Akerman favorisent aussi le métissage avec les arts plastiques. Il en est de même avec le Collectif Pointligneplan, Vincent Dieutre, Jean-Claude Rousseau.
Le documentaire sort de l'ombre avec Etre et avoir (Nicolas Philibert, 2002), Le cauchemar de Darwin (Sauper, 2005), Microcosmes (Nuridsany, 1996), Le peuple migrateur (Perrin, 2001), La marche de l'empereur (Jaquet, 2005), Océans (Perin, 2010), Secteur 545 (Pierre Creton, 2006), Mariana Otero (Histoire d'un secret, 2003), Denis Gheerbrant, Jean-Michel Carré, Alain Cavalier et sa petite caméra.
Parmi les anciens, Jean-Michel Frodon distingue ceux qui restent imperturbablement fidèles à leur cinéma (Rivette, Straub, Garrel, Chabrol, Doillon, Ruiz, Stévenin) et ceux qui enregistrent le changement d'époque (Desplechin, Godard, Resnais, Rohmer, Téchiné, jacquot, Assayas, Claire Denis, Bruno Dumont)
La nouvelle génération de réalisateurs est principalement formée de Bertrand Bonnello (Tiresia, 2003), Emmanuelle Bercot (Backstage), Marina de Van (Dans ma peau, 2002), François Ozon (Huit femmes, 2002), Christophe Honoré (Dix-sept fois Cécile Cassard, 2002) Serge Bozon (La France), Jean-Paul Civeyrac (A travers la forêt, 2005), Emmanuel Mouret, Alain Guiraudie (Ce vieux rêve qui bouge), Jean-Marie et Arnaud Larrrieu (La brèche de Roland, 2000), Philippe Ramos (L'arche de Noé, 2000), Thomas Vincent (Karnaval, 1999), Gilles Porte (Quand la mer monte, 2004), Mathieu Amalric (Le stade de Wimbledon, 2002), Valeria Bruni-Tedeschi (Il est plus facile pour un chameau, 2003), Xavier Giannoli (Les corps impatients, 2003) Anthony Cordier (Douches froides, 2005), Céline Scimma (Naissance des pieuvres, 2007), Nicolas Saada (Espions, 2009) Laurent Cantet (Ressources humaines, 1999), Isild le Besco, Mia Hansen-Love, Abdellatif Kechiche (La faute à Voltaire, 2001), Rabah Ameur-Zaïmèche (Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ?, 2002), Alain Gomis (L'Afrance, 2002).
L'ouvrage se conclut sur Cinquante ans de cinéma année par année (les films de l'année, les prix, les morts, les premiers films, le box office, les événements petits et grand) une bibliographie et un index.
1190 pages qui resteront longtemps la bible -Le format y fait penser- du cinéma français.
Jean-Luc Lacuve le 15/05/2011.