Vincent travaille dans un aéroport, au centre de triage des bagages. Alors que son collègue Gérard fouille une valise diplomatique, il est tué par lexplosion dun flacon de parfum. Vincent surprend son propriétaire, un Syrien, en train de récupérer le sac.
La DST le contraint à accepter un marché : en échange de sa collaboration avec les services secrets français et anglais pour retrouver les hommes impliqués dans lexplosion, il ne sera pas poursuivi pour les vols commis dans le centre de triage.
Lenquête conduit Vincent à Londres, où il doit se rapprocher dun homme daffaires anglais, Peter Burton, lié aux agents syriens. La DST et le MI5 suggèrent à Vincent de séduire lépouse de Burton, Claire, une Française au caractère fragile, pour la manipuler et lamener à trahir son mari....
La force du film est de tisser autour du trajet des personnages un entrelacs de relations affectives que chaque action réarrange et réorganise. L'action, souvent intense, vaut ainsi surtout par ce qu'elle rend possible : un nouveau départ dans une Londres cosmopolite et une histoire d'amour qui relie les malédictions et les amours des temps passés aux évènements les plus contemporains.
Un film d'espionnage tout de même
Vincent semble n'être nulle part chez lui. Intellectuel plongé dans Bettelheim à l'aéroport, il est sorti de la voie toute tracée d'un étudiant brillant pour s'engager dans un trafic de passeports au service d'une cause politique qui ne semble plus guère avoir d'importance aujourd'hui. Il se révèle particulièrement incontrôlable comme l'expérimenteront Simon qui ne doit le ralliement de Vincent qu'à l'agression physique qu'il subit chez lui et Palmer qui n'arrivera pas à le tracer avec son portable.
Les enjeux semblent ainsi aussi nombreux que complexes. Et ce, aussi bien chez les ennemis où la relation de pouvoir entre Fouad et Burton va s'inverser, que chez les amis, Simon et Palmer, qui s'essaient à contrôler Vincent. La scène du repas chez Burton joue de cette complexité. Palmer impose une quatrième personne à la rencontre que Vincent avait prévue avec les seuls Claire et Burton. Seconde surprise, cet espion supplémentaire se révèle être une femme, Anna. Troisième surprise, Burton a aussi un invité supplémentaire, Fouad. Une sixième personne, Palmer, au téléphone complète cette rencontre et en multiplie ainsi les enjeux dramatiques.
Ceux-ci atteignent un premier climax avec le mot "Liberia" sur le téléphone de Vincent qui lui permet ainsi de répondre correctement à la question piège de Fouad. Le second est le baiser que Vincent tente de donner à Claire pour laisser le temps à Anna de descendre de la pièce où elle avait posé le micro. Ce passage à l'acte amoureux, que Vincent n'aurait pas accompli sans la pression dramatique, va l'engager auprès de Claire.
Nicolas Saada retrouve la situation des Enchaînes où Cary Grant devient amoureux de celle qu'il est censé contrôler. On s'amuse de voir que la scène du plus long baiser est ici remplacée par une scène décisive de non baiser. Saada remplace aussi la clé de la cave des Enchaînes par une clé USB. La similitude la plus importante restant toutefois que l'espion amoureux doit contraindre celle qu'il aime à une action qui met sa vie en danger tout en supportant son mépris face à la petitesse de son attitude sans que pourtant l'amour entre eux ne soit remis en cause.
Une histoire d'amour et de malédiction
Dès qu'il pénètre dans l'ascenseur avant la réception à l'hôtel, lui débraillé, elle amusée, la tension liée au lieu clôt qui les réunit fortuitement, est manifeste. Et qu'importe alors qu'ils ne trouvent pas le contact lors de leur première rencontre au café sur le terrain trop sérieux de l'engagement et des classes sociales (le lait avant ou après le thé).
C'est le tableau de Reynolds qui les réunira. Le premier baiser partagé et abandonné aura enfin lieu devant le tableau au musée. Saada n'a pas montré l'étreinte amoureuse lors du premier rendez-vous à l'hôtel se réservant la séquence du musée comme point d'orgue de l'amour partagé.
La référence cinéphile à Vertigo
est évidente depuis l'offre du portrait dans une boutique qui ressemble
à celle où Scotie et Midge se font expliquer la malheureuse
histoire de Carlotta jusqu'au rendez-vous dans le musée face au tableau
de La
duchesse d'Hamilton. Vincent découvre alors Claire dans la même
posture que Scotie surveillant Madeleine au musée.
La référence à Vertigo n'est toutefois pas nécessaire pour apprécier ce travail sur le thème de l'amour impossible introduit par le tableau. Le personnage de Claire est torturé par le souvenir d'une précédente relation amoureuse qui s'est terminé en catastrophe. Son riche mari se suicidant après sa faillite et la famille de celui-ci l'en rendant responsable au point de lui faire retirer la garde de ses enfants. Le spectateur connaît aussi, le louche trafic de son second mari quelle ne souhaite pas trahir.
Le thème de la malédiction amoureuse associé à ce portrait en fait donc une intense icône pour Claire. Qu'elle le serre précieusement contre elle dans la voiture où l'expose sous sa glace comme un double d'elle-même lorsqu'elle se prépare à recevoir Vincent.
Espion(s) renouvelle le coup d'éclat d'Arnaud Desplechin dans La sentinelle. Nicolas Saada se saisit d'une matière romanesque qui traverse le temps, celui des personnages comme celui matérialisé par les références à l'histoire du cinéma et de la peinture pour une histoire d'amour confrontée aux enjeux contemporains, à leur opacité, leurs dangers et leurs mystères.
Jean-Luc Lacuve le 05/02/2009