Dans leur éditorial, À la recherche du Graal, Yann Calvet et Jérôme Lauté écrivent : "Cinéaste visuel fasciné par les mythes, l'imaginaire et les rêves, John Boorman s’est brillamment illustré dans les genres cinématographiques les plus divers : le film noir (Le point de non-retour, 1967), le survival (Délivrance, 1972), la science-fiction (Zardoz, 1974), le fantastique (L’Exorciste 2 : l’hérétique, 1977), la fantasy (Excalibur, 1981), le film d’aventures (La Forêt d’émeraude, 1985), le film d’espionnage (Le tailleur de Panama, 2001)… Mais si varié que soit le cadre des intrigues, l’action engagée relève invariablement du domaine de la quête. Chaque film de Boorman est en effet l’histoire d’un périple accompli par un héros qui, à la suite d’une série de passages et d’épreuves, se trouve changé. Comme chez Jung, dont l’influence est fondamentale, le héros symbolise l’élan évolutif, la puissance de l’esprit, et sa première victoire – parfois la seule – est celle qu’il remporte sur lui-même".
I. L’éternel Retour
II. Archaïsmes et Archétypes
III. Nature et/ou Culture ?
En 1994, Michel Ciment notait (Boorman, un visionnaire en son temps, p. 14) que pour John Boorman "S'immerger dans les eaux, c'est y puiser une force nouvelle, car elles représentent l'infinité des possibles, mais aussi le cours de l'existence humaine. Avant de partir pour la côte du Devon, Steve et Dinah plongent dans la piscine (Sauve qui peut, 1965), tout comme Leo dans le bain de la cure collective (Leo the last, 1970) avant de s'éveiller à la réalité du monde. Walker traverse le bras de mer qui conduit d'Alcatraz à la terre ferme (Le point de non-retour, 1967) Ed s'enfonce avec un mort dans le fond de la rivière (Delivrance, 1972) et Perceval avant d'atteindre le Graal se ressource dans un lac (Excalibur, 1981). Enfin l'eau de pluie, convoquée par Tomme et l'orage qui l'accompagne feront céder le barrage de La forêt d'émeraude (1985) et féconderont de nouveau une terre devenue lieu de désolation".
En 2014, les rédacteurs d'Eclipses remarquent toujours cette même importance de l'eau dans son dernier film Queen and country, moments de grâce sur la Tamise, au debut avec la vision d'un film se faisant et, à la fin, avec la caméra fixant les ébats du héros et de Sophie, en passant par le moment réunissant ce héros à Ophélie sur une barque près d'Oxford.
L’Homo americanus à la dérive : Délivrance et le brouillage des codes par Élizabeth Mullen. Analyse du générique, de la scène du viol, de la réception de Délivrance (1972).
Le quatuor cherche non pas à préserver la rivière sauvage mais à la violer à leur tour, à prendre plaisir dans un environnement qui leur résiste avant de retourner à cette civilisation qu'ils semblent critiquer.
La façon de filmer le viol proprement dit sort également des codes classiques de ce genre de scène... Boorman alterne de très gros plans du violeur et du violé, sans effet d'angle. Cette façon de filmer de la même manière bourreau et victime fait ressortir d'autres parallèles entre les deux. Le front perlé de sueur et les dents pourris du hillibilly trouvent un écho dans le front et les dents de Bobby, les grimaces des deux hommes sont également très proches. Les seuls indices de victimisation de Bobby sont les mains du violeur qui poussent sa tête contre le sol. Face à de tels effets de double, le spectateur se trouve en terrain receptionnel inconnu et déroutant.
Le rôle du son dans cette scène est primordial. Si beaucoup de critiques ont commenté la fameuse réplique où le violeur demande à Bobby de couiner comme un porc (squeal like a pig), en réalité on observe qu'ils couinent tous les deux. Les gros plans en champ-contrechamp sont ponctués par des couinements de plaisir et de douleur. De plus si le cadrage en très gros plan épargne au spectateur toute image du corps violé, les oreilles du public ne sont pas laissées vierges. Le moment de pénétration physique (hors champ) est marqué par un changement sonore au niveau des cris de Bobby, puis par une série de grognements rythmiques de la part de celui-ci. Ainsi le son pénètre là où l'image reste voilée, forçant le spectateur à participer pleinement au viol, qu'il le veuille ou non.... L'horreur ne reste pas entièrement hors champ : elle est présente non seulement à travers les gros plans qui alternent entre victime et bourreau, mais aussi par l'accent mis sur les spectateurs intradiégétiques, l'un amusé (le hillibilly édenté qui attend son tour), l'autre terrifié (Ed). Leur présence rappelle à tout instant leur voyeurisme aux spectateurs dans la salle de cinéma.
L'atteinte à la masculinité dans cette scène ne se limite pas au viol de Bobby. Comme le fait remarquer Vito Russo, les implications homosexuelles du viol masculin servent également à souiller la relation homosociale entre les quatre hommes : "la souillure de la masculinité de Bobby par un acte de sodomie forcée souille également la pureté des relations entre les membres du groupe, innocent jusqu'ici de toute connotation sexuelle. Ainsi les personnages de Boorman furent contraints de considérer l'existence de l'homosexualité malgré le tabou qui entourait toute discussion de celle-ci.
A partir de cette scène, donc, c'est le désir non seulement de cacher l'incident mais de l'oblitérer, qui va unir les quatre hommes. Il ne suffit pas de tuer les agresseurs, il faut les ensevelir et avec eux toute trace d'homosexualité. Il est intéressant de noter aussi que les blessures de cette pénétration masculine ne se referment pas : à tout moment elles peuvent ressurgir comme le rappelle la dernière image du film. Dans la toute dernière séquence du film on voit à l'écran une main qui surgit de l'eau. Le plan suivant montre Ed au lit, se réveillant de ce qui semble avoir été un cauchemar. Ensuite la caméra montre à nouveau la rivière inondée, mais cette fois la main reste sous la surface de l'eau, encore plus perturbante. La violence grotesque de la séquence du viol fait surgir un malaise qui ne s'efface ni chez les protagonistes masculins ni chez les spectateurs.
John Boorman, lecteur de Rousseau ? par Jean-Max Mejean
Dans La forêt d'émeraude ou Delivrance, c'est, derrière le calme apparent de la nature Rousseauiste, c'est la folie des hommes qui est mise en cause
Semble évident dans la forêt d'émeraude avec d'un coté les bons sauvages avec leur respect de la nature et, de l'autre, les occidentaux capitalistes dévoreurs d'espace et conquistadors arrogants.
"Et vous, pauvres créatures, qui vous a extirpé de la glaise?" (Zardoz, 1974, et d’Excalibur, 1981) par Sam Azulis
S'inspire de Jessie L. Weston, From Ritual to romance qui cherche à établir des corrélations entre les éléments païens de la légende et les influences chrétiennes plus tardives.
La grande originalité d'Excalibur est de thématiser le processus de démythologisation mis en branle par la modernité et d'en faire l'un des enjeux majeurs de son récit. Comme dans le seigneur des anneaux, il est question de pouvoir (symbolisé par l'anneau chez Tolkein et par l'épée dans Excalibur) et de la corruption dont il est la cause : "en détruisant (l'anneau) remarque Boorman, à propos du roman de Tolkein, on supprime aussi les deux pôles du Bien et du Mal et en chacun on retrouve le bien et le mal. C'est un peu comme la mort de Dieu.
La nostalgie d'une harmonie perdue entre l'homme et la nature ne doit pas être assimilée à la recherche prosaïque d'un équilibre écologique tant sa dimension spirituelle est primordiale. Ce dont il est fondamentalement question dans Excalibur, c'est de la préservation du lien entre le microcosme et le macrocosme, de cette unité secrète permettant à l'homme de connaitre et d'assumer sa place dans le monde. Lorsqu'Arthur demande à Merlin ce que signifie être roi, ce dernier lui répond sans la moindre hésitation : "Tu seras la terre et la terre sera toi. Si tu échoues, la terre périra. Si tu prospères, la terre s'épanouira. Etre roi ce n'est donc rien d'autre que le fait d'assumer la médiation de ces deux règnes: celui du microcosme (Camelot) et celui du macrocosme (le dragon).
L'une des géniales trouvailles scénaristiques de Boorman et Pallenberg est la fusion entre Arthur et le roi pêcheur. Comme le remarque Martin Scitman, il s'agit d'une liberté prise par rapport au texte de Thomas Malory où les personnages d'Arthur et du Roi blessé Pellam sont bien distincts et où la quête est initiée alors que le royaume est prospère.
Excalibur, le méta-opéra par André-Pierre Lacotte
La morte d'Arthur de Thomas Malory (1470) est la seule source citée dans le dossier de presse d'Excalibur mais Boorman a davantage été inspiré par La quête du roi de Terence Hanbury White (1906-1964). Deux des ouvrages de ce cycle de romans de fantaisy, écrit entre 1938 et 1941, irriguent abondamment le film : L'épée dans la pierre (1938) qui est centré sur l'enfance d'Arthur, la genèse du futur roi, son éducation et sa relation avec Merlin et La chandelle dans le vent (publié en 1958) qui évoque les derniers temps du règne d'Arthur, les révoltes de Mordred et d'Agravaine, la relation entre Lancelot et la reine. A la fin de ce tome, Arthur blessé à mort par son fils (qu'il tue) part pour Avalon, et les chevaliers périssent dans une ultime bataille. On reconnait l'exacte fin du film de Boorman.
Deux autres ouvrages anglais semblent avoir également intéressé Boorman : The grail in myth and legend de Jesse Laidley Weston (1850-1928) et A glastonbury romance (1932) de John Cowper Powys. Le Parzifal écrit sans doute avant 1210 par Wolfgang von Eschenbach est qualifié par Boorman lui-même comme source majeure (...) Enfin Excalibur est traversé de références à la peinture préraphaélite, notamment dans els scéens sylvestres (les noces), les chevauchés, les costumes et les armures (trahissant également une influence de Klimt)
Marche funèbre de Siegfried, prélude du 3e acte du Crépuscule des Dieux, caractérisé par des coups de timbales résonnant dans le silence au tout début. Boorman l'utilise en ouverture et en fin de film. On l'entend également lors de certaines apparitions de Merlin, l'archétype représentatif des dieux préexistant au christianisme. Au début du film, on en entend un arrangement d'une durée réduite. La version wagnérienne originale dure six à sept minutes. Cette version fait néanmoins entendre les thèmes du glas mélangé avec celui du frisson de mort, de l'épée, de Siegfried et apparait donc come un condensé du film... Lorsque Boorman l'utilise à la fin du film, on l'entend cette fois jouée dans son intégralité originale, et après qu'on ait pu voir les dernières images. Au delà d'un simple accompagnement musical, ce leitmotiv est donc hautement signifiant en référence directe à Wagner, il annonce le crépuscule des dieux. C'est d'ailleurs ce que Merlin explique à Morgane, juste avant la fin des noces : "les jours de ceux de notre espèce sont comptés. Le dieu unique arrive pour chasser tous les autres"
Le prélude de Tristan et Isolde devient le thème d'amour entre Guenièvre et Lancelot. Ce prélude se compose de deux motifs celui de l'aveu, et celui du désir. Les premières mesures du prélude expose le fameux et à jamais mystérieux "accord de Tristan" dont Boorman fait entendre distinctement trois motifs : celui du regard, celui de la délivrance et celui du poison. Le motif de la délivrance est joué crescendo et finalement forte lorsque les amants consomment leur relation interdite dans la forêt. Ce leitmotiv n'est entendu qu'un peu avant la fin de la première heure du film, lorsque lancelot arrive à Camelot et alors qu'il n'a pas encore vu Guenièvre. Ce thème d'amour est donc par anticipation l'annonce du destin tragique des amants.
Le chœur initial O Fortuna ! extrait de la première partie Fortuna Imperatrix mundi de la cantate profane Carmina Burana de Carl Orff est entendu lors des scènes de bataille, dès le siège du château de Leondegrance. Après que Perceval a enfin atteint le graal et qu'il l'a porté aux lèvres d'Arthur on entend à nouveau résonner ce chœur, lorsque les chevaliers quitte Camelot à leur tête pour sa dernière expédition. A leur passage la nature revit.
Parmi les motifs non wagnériens, ont peut relever celui de l'épée composé par Trevor Jones qui est à la limite du bruitage. Il résonne notamment les premières fois qu'Arthur, non encore roi, erre dans la forêt à la recherche de l'épée de son frère. On l'entend ensuite lorsque Arthur la brise dans son duel avec Lancelot.