1894-1906
Alfred Dreyfus (1859-1935), officier juif français, est arrêté en octobre 1894 pour espionnage au profit de l'Allemagne. Un tribunal militaire le renvoie de l'armée et, sur la foi de preuves hautement discutables, le condamne à la réclusion à perpétuité sur l'île du diable. En 1896, le colonel Picquart trouve des documents qui prouvent l'innocence de Dreyfus. Le coupable était un autre officier français, Ferdinand Walsin Esterhazy. Les autorités militaires placées sous le commandement du général Auguste Mercier ordonnent que l'affaire soit étouffée et Picquart est transféré à Tunis. Mais la famille de Dreyfus continue de plaider sa cause et une campagne menée Emile Zola culmine avec sa lettre ouverte au président français Émile Loubet, intitulée "J'accuse". Un second procès s'ouvre à Rennes en 1899, qui scandalise le monde par le refus de l'armée de reconnaître qu'elle pourrait s'être trompée et l'hystérie anti-juive générale. Dreyfus est de nouveau reconnu coupable (ce qui choque l'opinion mondiale et affaiblie la Troisième République aussi bien que l'image de la France), mais le président Loubet gracie Dreyfus. Il faut néanmoins attendre 1906 pour que Dreyfus soit déclaré innocent.
L'affaire Dreyfus est débattue dans le monde entier. Cela remplit les journaux et le deuxième procès à Rennes en 1899 est le témoin d'une frénésie médiatique comme celle que nous connaissons trop bien aujourd'hui. Désireux de participer à cette frénésie et de tirer parti de l’un des premiers reportages d’intérêt mondial, quatre sociétés produisent des films sur l’affaire alors qu’elle se poursuit : La Star-Film de Georges Méliès, Pathé Frères, la société britannique Mutoscope and Biograph et sa société soeur, la société Biograph and Mutoscope pour la France.
- 1898-GB : Le duel Zola-Rochefort, Supervisé par W. K. L. Dickson, retourné travailler au Royaume-Uni
en 1897, où il reprit la branche européenne de la compagnie
qu'il avait fondée, la British Mutoscope and Biograph.
- 1899-GB : Amann, le Grand Transformiste (Amann, the Great Impersonator). Avec : Ludwig Amann (Emile Zola/Alfred Dreyfus). Le transformiste Amann interprète tour à tour Emile Zola et Alfred Dreyfus.
- 1899-USA : Dreyfus recevant sa sentence et Procès du capitaine Dreyfus pour l'American Mutoscope and Biograph Company. Avec : Bernard H. Paris dit "The Great Lafayette" (Le capitaine Dreyfus). Le capitaine Dreyfus lit le verdict du tribunal militaire dans sa prison et rencontre Mme Dreyfus. Lors de la célèbre cour martiale de Rennes, se terminant par la déclaration dramatique du prisonnier "Je suis innocent".
- 1899-France : Scènes du procès de Rennes de Julius W. Orde pour la Biograph and Mutoscope For France, environ quatre minutes Plusieurs scènes filmées à Rennes à l’époque du nouveau procès de Dreyfus, notamment des vues éphémères de Dreyfus lui-même et de plusieurs des principaux acteurs du drame. (1) Scènes à Rennes devant le bâtiment du tribunal du Lycée. (2) La voiture arrive aux portes du lycée, Une femme en sort vraisemblablement Lucie Dreyfus. Grand rassemblement d'officiers militaires. (3] Des gardes à pied et à cheval, alignés à l'extérieur du Lycée; une silhouette sort du bâtiment, vraisemblablement Dreyfus (4) Peut-être le général Mercier debout près de la porte principale et l’avocat de Dreyfus, Fernand Labori, pourrait être dans cette scène, car des audiences britanniques ont applaudi (5) Une foule nombreuse de journalistes (dont certains avec appareils photos sort de la salle du procès. (6) Dreyfus, vu d'en haut de la cour de la prison, aompagné d'un officier franchissent une porte et entrant par une autre.
- 1899-USA The Trial of Captain Dreyfus at Rennes (USA 1899) p. Siegmund Lubin.
- 1899-France. L'Affaire Dreyfus de Georges Méliès. L'approche de Georges Méliès est radicale : à une époque où les films sont presque entièrement des récits uniques d'une minute, il rédige un récit d'actualité en plusieurs parties, retraçant l'histoire de Dreyfus de son emprisonnement initial de 1894 au deuxième procès en 1899. Le film est tourné en octobre 1899, après
le verdict du procès de Rennes où Dreyfus, de retour de l'île
du diable, fut une nouvelle fois condamné puis gracié par le
président Emile Loubet. Méliès
reconstitue dans ses studios de Montreuil les grandes étapes
de cette affaire. Le film tourné avec des acteurs est ainsi constitué de onze tableaux et douze films de 20 mètres (1'05).
- 1899-France. L'Affaire Dreyfus produit par Charles Pathé. Dès qu’il apprend que son rival Méliès tourne une Affaire Dreyfus, Charles Pathé décide lui aussi de filmer l’affaire Dreyfus. Sa version, qui réussit l’exploit de ne sortir qu’une semaine après celle de Méliès, se vend pourtant moins bien et n’a pas le succès escompté.
- 1908-Ferdinand Zecca ; nouvelle version de la production Pathé de 1899
- Dreyfus (Der fall Deyfus) de Richard Oswald, film autrichien réalisé
en 1930 en réaction à la montée du nazisme. Tourné
en deux versions (française et allemande) ce film militant ne fut
jamais montré en France "par crainte d'agitations possibles"
selon la censure.
- Dreyfus The case de F. W. Kraemer et Milton Rosmer, film anglais
de 1931 fut lui aussi interdit en France.
- La vie d'Emile Zola de William
Dieterle tourné aux Etats-Unis en 1937 établit un parallèle
entre la France de l'affaire Dreyfus et l'Allemagne des années 1930. Le film allie la reconstitution historique et la dénonciation du
nazisme. Son ampleur déborde donc largement le cadre de l'affaire
Dreyfus et peut s'apparenter à un avertissement sur la situation
de l'Europe. Dieterle déclara à ce sujet : "Il est des
situations dans l'histoire où beaucoup risquent de connaître
le sort de Dreyfus sans pouvoir être sauvés par des héros
comme Zola". L'allusion était claire. Le film eut trois oscars
et fut un triomphe. Pourtant la censure française interdit le film
et réussit à le faire retirer de la compétition au
festival de Venise 1938. Le contexte était défavorable, l'Italie
venait de promulguer des lois raciales (sous l'impulsion de l'Allemagne)
et ce film était trop Dreyfusard. Officiellement, il fut retiré
pour "atteinte au prestige de l'armée française".
L'année précédente, il avait été interdit
car il salissait la mémoire de Zola. Derrière ces augments
fumeux transparaît la trame antisémite qui enveloppait une
partie des responsables français et l'ambiguïté des relations
de la France avec ses deux voisins fascistes. Le film est projeté au
studio 28 en 1952 dans le cadre de l'anniversaire de la mort de Zola, amputé de 27 minutes et précédé d'un avertissement
disculpant le rôle de l'armée française dans la condamnation
a priori du capitaine Dreyfus.
- 1995. L'affaire Dreyfus, téléfilm de procès en 2 parties (3h23 min au total) réalisé par Yves Boisset sur un scénario de Jorge Semprún d'après le livre L'Affaire de Jean-Denis Bredin, sur l'affaire Dreyfus.
- 2019. J'accuse de Roman Polanski. Il y avait jusqu'à présent deux grands récits au sujet de l'affaire Dreyfus. Le premier est celui de la dignité de Dreyfus dans les souffrances qui lui ont été imposées depuis son premier procès en 1894 avant qu'il soit gracié en 1899 et réhabilité en 1906. Le second grand récit est la lutte pour la vérité et la justice menée par Emile Zola contre les militaires et les politiciens de la 3e république et qui portera Clémenceau au pouvoir. Roman Polanski met cette fois au centre du récit, un personnage jusque là secondaire, le colonel Picquart, dont l'engagement pour la cause de la vérité fut risqué et finalement gagnant. Au sein, d'une narration qui s'appuie sur le solide travail du romancier anglais Robert Harris, Polanski dessine les traits d'un homme qui, se sentant humilié d'être mis de côté d'une carrière glorieuse, se met au service de la vérité comme son ultime chance de grandeur. Les décors architecturaux, le casting et le récit en flashes-back seront ses principaux moyens de mise en scène pour tenir ce propos.
Source : THe Bioscope : partie 1, partie 2, partie 3