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Assurance sur la mort

1944

Genre : Film noir

(Double indemnity). Avec : Fred Mac-Murray (Walter Neff), Barbara Stanwyck (Phyllis Dietrichson), Edward G. Robinson (Barton Keyes), Jean Heather (Lola Dietrichson), Byron Barr (Nino Zachette). 1h46.

Los Angeles. Dans les bureaux de la compagnie d'assurances "Pacific All-Risk", Walter Neff se confesse à un dictaphone...

Quelques mois plus tôt, Walter Neff, un agent en assurances, fait la connaissance de Phyllis Dietrichson. Cette dernière souhaite assurer son mari sans que ce dernier le sache. Walter devient alors soupçonneux mais il est fasciné par Phyllis. Neff et Phyllis préparent et exécutent ensemble l'assassinat de M. Dietrichson, le mari de Phyllis, après que Neff lui ait fait signer à son insu une police d'assurance sur la vie.

Les deux complices croient avoir accompli le crime parfait. Mais le paiement de la prime est retardé par l'enquête que mène un ami et collègue de Neff, Barton Keyes, le très méticuleux chef du contentieux. Neff découvre en peu de temps que Phyllis a sans soute déjà tué la première femme de son mari, qu'elle n'a songé durant toute cette machination qu'à se servir de lui et qu'il a probablement un rival, Nino Zachette. Il compte faire endosser le crime à ce dernier. Mais, au cours de leur dernier entretien, Phyllis tire sur Neff qui l'abat, juste après qu'elle lui ait déclaré son amour. Blessé à mort, Neff dicte au magnétophone sa confession à l'intention de Keyes.

Le film appartient sans conteste au film noir avec sa morale récurrente : quel que soit le chemin que tu prends le destin finira par te rattrapper. A l'intérieur de la structure policière, la notion de fatalité remplace le suspense sur l'identité du coupable : dès les premiers mots du dialogue, la confession de Neff, le spectateur sait tout de l'auteur du crime et de son échec final.

Une femme fatale

Le destin s'incarne d'abord dans le personnage de la femme fatale, parfaitement représentée dans ses traits les plus caractéristiques : charme physique et cupidité. Dès les premiers plans de la rencontre entre Neff et Phyllis tout est dit. Nue dans sa serviette de bain, elle le domine du haut de l'escalier. Et lorsqu'elle le descend, un gros plan sur la chaîne en or qu'elle porte à la cheville la résume métonymiquement à un objet sexuel. Cette chaîne en or arrête le regard de Neff et exacerbe son désir sexuel, ce que confirmeront bientôt les dialogues à double entente à propos de la police automobile sur la conduite à tenir… en matière de séduction. Ces dialogues brillants sont un apport essentiel de Chandler qui déclara pourtant que sa collaboration avec Wilder avait abrégé ses jours alors que le réalisateur se réjouissait de ce décalage par rapport au roman de James Cain qui insiste plutôt sur la banalité des personnages (banalité sur laquelle Wilder fera retour lorsqu'il fera se rencontrer les amants dans un grand magasin au milieu d'américains très moyens cherchant haricots et pots pour bébés).

Lors de cette première rencontre toujours, les ombres du soleil sur les persiennes mi-closes ne manquent pas d'évoquer une toile d'araignée. Toile dans laquelle Neff, perdu au fond du canapé, finira par se perdre. Araignée tissant sa toile, Phyllis se révélera aussi mante religieuse insatiable tuant sans remords et séduisant tous les hommes qui passent à sa portée. Nulle misogynie pourtant chez Wilder qui soulève toujours le masque social de charmante idiote ou de férocité bourgeoise que les femmes sont obligées de porter pour en révéler la profonde et créatrice force vitale.

Il n'est ainsi pas si sûr que Phyllis fasse preuve de perversité morale éhontée. Certes elle séduit Nino Zachette, le jeune homme dont est amoureuse Lola, sa belle fille, très probablement avant sa rencontre avec Neff. Mais lorsqu'elle le rappelle après le meurtre, durant quatre nuits selon les dires du détective, elle sait déjà que son amour avec Neff est mort. Comme elle le lui dira lors de leur dernière rencontre le meurtre qu'ils ont commis ne les a pas rapprochés mais éloignés. Neff, n'est en effet qu'un séducteur de pacotille, prêt à jeter l'éponge dès que son meurtre parfait se grippe. Si Phyllis le conduit au crime, elle n'aura été le catalyseur d'un désir plus profondément enfoui et qui va prendre plus de poids que l'amour.

Sortir de la prison sociale

Le destin était en effet entré en scène avant même l'apparition de Phyllis avec ce plan magnifique où Neff domine les bureaux de l'assurance. Plan qui ne manque pas de rappeler celui du pool de secrétaires dans La garçonnière où chacun est censé resté dans son pré carré. Or Neff a depuis longtemps l'envie de commettre le crime parfait pour déjouer les stratégies de son patron qu'il aime bien mais méprise discrètement (il refuse la promotion qu'il lui offre). Neff a le désir de sortir de l'aliénation par le travail qui conduit Keyes à une vie solitaire, compulsant jours et nuits des statistiques et méprisant toute forme de vie amoureuse. Son célibat forcé le conduisant toujours à ironiser sur les amours des autres, il croit Neff poursuivi par une Georgie alcoolique et est certain que le témoin reste en ville pour une visite aux prostitués. Cette même vie poussiéreuse était l'apanage de Phyllis avec un mari obsédé par ses puits de pétrole et habitant une maison certes cossue mais délabrée :

"Lorsque nous avons tourné Double indemnity dans la villa de style espagnol, un peu délabrée et un peu démodée qu'habite Barbara Stanwyck, je voulais montrer le caractère poussiéreux de sa vie : la prison du couple dont la femme veut s'évader - fut-ce au prix d'un meurtre…. J'ai dit à mon caméraman, John F. Seitz, que je voulais avoir de la poussière dans la maison, pour rendre sensible l'atmosphère étouffante du délabrement. John Seitz a essayé tout ce qu'il a pu. Et nous avons fin par trouver une poussière argentée qui dansait dans la lumière comme dans les tableaux des maîtres anciens".

Le fameux gimmick où Neff allume perpétuellement le cigare de Keyes, toujours en manque d'allumette, pourrait ainsi s'interpréter à l'aune du désir de chacun des personnages. Le renversement final où Neff est sans allumettes marque la fin de son désir de vivre alors que Keyes voit en l'amitié la seule valeur humaine en laquelle il a jamais cru. Ce plan final, d'une grande beauté plastique, était si fort que Wilder a du procéder à la coupe des scènes finales montrant le procès et l'exécution dans la chambre à gaz de Walter Neff :

"…j'ai quand même coupé cette scène, alors même qu'elle avait couté très cher à la production parce que c'était un anticlimax suite à la scène de la cigarette. J'avais compris qu'après cette scène, il ne fallait plus rien."

A noter aussi : deux très belles scènes de suspens : l'exécution du mari et le maquillage en accident de train (nécessaire pour toucher la fameuse prime double) et la convocation de Phyllis chez le patron de Keyes. Plus convenue, la scène où Phyllis est sur le point d'être découverte chez Neff par Keyes repose sur une amusante manipulation du décor : la porte s'ouvre sur l'extérieur permettant ainsi à Phyllis d'être cachée dans le couloir.

Jean-Luc Lacuve

Bibliographie :

 

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