Etudiantes et étudiants sont nombreux dans la salle des photocopieuses de l'école polytechnique de Montréal. Soudain, des coups de feu retentissent, blessant grièvement deux jeunes femmes. Titre et Carton "Ce film est inspiré des témoignages des survivants du drame qui a eu lieu, le 6 décembre 1989, à l'École Polytechnique de Montréal. Par respect pour les victimes et leur famille, tous les personnages sont fictifs".
Dans sa chambre universitaire, le tueur, Marc Lépine, pose le canon du fusil d'assaut sur son front et appuie sur la gâchette... qui claque dans le vide. Son colocataire rentre. Marc range sa chambre, épie sa voisine et rédige sa lettre d'adieu.
Dans leur chambre d'immeuble du campus universitaire, Valérie et Stéphanie révisent leur cours de physique. Stéphanie, moins douée, aide Valérie à s'habiller pour son entretien d'embauche. Elles traversent le parc sous la neige pour atteindre ensemble le bâtiment de l'école polyethnique où Valérie enlève son gros manteau d'hiver et chausse des chaussures à talon.
"Désolé maman, c'était inévitable" écrit le tueur avant de poster sa lettre pour sa mère.
Jean-François rédige son devoir. Valérie est reçu par Patrice Martineau, le recruteur de l'aérospatial pour un stage en mécanique. Désemparée, par le machisme décomplexé du recruteur, Valérie repend ses esprits en se lavant les mains dans les toilettes.
Le tueur vient en observation dans la cafétéria de l'école polytechnique et rentre dans sa voiture. Valérie annonce à Stéphanie qu'elle est engagée pour le stage mais est triste de savoir que si elle avait dit qu'elle voulait des enfants elle n'aurait pas été prise les études.
Jean-François a du mal sur son devoir et demande à Valérie de lui prêter ses cours pour faire des photocopies. Une étudiante abuse de sa gentillesse en prenant sa place avec un gros paquet de photocopies. Jean-François est intrigué par la reproduction de Guernica, exposé dans le hall.
Le tueur hésite puis termine sa lettre dans la voiture. Le tueur entre armé dans l'école, repère un groupe d'étudiants avec des filles se dirigeant vers une salle. Dans ce cours de physique sur l'entropie, il pénétre en tirant et demande aux étudiants de se séparer : les filles à gauche les garçons à droite et demande à ceux-ci de quitter le cours. Jean-François court prévenir la conciergerie pour appeler la police. Il revient et croise le tueur tirant sur les étudiants de la salle des photocopies puis retrouve la salle de cours où il a laissé Valérie et Stéphanie. Il voit du sang dans le couloir et découvre les corps sans vie (le croit-il) de toutes les jeunes filles criblées de balles.
Le tueur atteint la cafétéria où il tire de nouveau, tuant deux jeunes filles derrière un pilier. Jean-François atteint la salle des photocopieuses où il tente de soigner une fille blessée. Le tueur abat une secrétaire. Jean-François trouve des pansements mais s'aperçoit que la blessure est plus grave qu'il le pensait. Il court chercher du secours et se retrouve devant le tueur. Il trouve refuge dans une salle ou des jeunes font bruyamment la fête et boivent des bières. Arrêt sur image.
Dans sa chambre universitaire, allongée au-dessus d'une grande affiche de Pour la suite du monde, Jean-François se lève prend sa voiture et s'en va retrouver sa mère qui vit dans une maison isolée. La mère voit bien que quelque chose ne va plus dans la vie de son fils mais ne sait comment l'aider. Il revient chez lui, est obsédé par la flamme fragile du briquet. Au matin, Jean-François se suicide avec le gaz du pot d'échappement de sa voiture conduit par un tuyau à l'habitacle.
Retour au 6 décembre où le tueur demande aux jeunes filles de se séparer des garçons. Le tueur abat les jeunes filles sans qu'elles puissent parler mais Valérie survit. Le sang tombant de sa blessure, elle va chercher du secours pour Stéphanie qui agonise. Elle voit alors le tueur et, de crainte qu'il ne la poursuive, retourne dans la classe, effrayée par les pas qu'elle entend derrière elle. Mais ces pas sont ceux de Jean-François qui, ne voyant aucune des jeunes filles remuer, croit qu'elles sont toutes mortes.
Les secours arrivent enfin. Jean-François surveille l'évacuation de Valérie. Il s'excuse de l'avoir crue morte. C'est pas ta faute lui répond Valérie.
Jean-François, couvert de sang, rentre seul dans le métro. Il regarde fixement devant lui. C'était un cauchemar de Valérie qui se réveille, blonde, à coté d'Eric son compagnon. Elle vomit. Elle va travailler. Elle est enceinte. Dans le parc, elle écrit une lettre qu'elle n'enverra jamais à la mère du tueur disant que si son fils s'est libéré en se tuant, elle reste toujours prisonnière de ses souvenirs. Elle a eu peur en découvrant ce que le monde peut contenir de haine (image du dernier massacre du tueur dans une classe et son suicide). Aujourd'hui, elle pense tous les jours à Stéphanie, à toutes ses amies tuées et blessées dans leur âme comme un poids qui vient peser sur son dos. Elle a peur de l'enfant qu'elle va mettre au monde mais veut tenir debout toute seule "Si j'ai un fils, je veux lui apprendre l'amour. Si j'ai une fille, je veux lui apprendre que le monde lui appartient."
Carton : "In memoriam des quinze victimes dont les noms défilent. Films dédié aux étudiants aux personnels de l'école et aux familles des victimes."
Basé sur les témoignages des survivants du drame survenu à l'École Polytechnique de Montréal, le 6 décembre 1989, le film raconte l'événement à travers les yeux de Valérie et Jean-François, deux étudiants qui ont vu leur vie basculer lorsqu'un jeune homme s'est introduit dans l'école avec une idée en tête : amener avec lui dans la mort le plus de femmes possible. Denis Villeneuve base sa mise en scène sur l'imprévisibilité du drame et insiste sur le poids qui pèse sur les survivants.
Un cadre de violence suggéré
Le 6 décembre est devenu journée nationale contre la violence faite aux femmes et, chaque année, le souvenir de cette tuerie demeure vif au canada. Denis Villeneuve réalise son film pour les vingt ans de la tuerie et après les sorties de Bowling for Columbine (Roger Moore, 2002) et d'Elephant (Gus van Sant, 2003) inspirés de la tragédie de Columbine dans le Colorado. De sang froid (Richard Brooks, 1967) adaptait aussi le récit de Dalton Trumbo sur des tueurs psychotiques, auteurs d'une violence froide sans aucun sens rationnel. Au delà de la mécanique du drame, dont Denis Villeneuve ne masque pas l'imprévisibilité, il suggère néanmoins différents pistes d'explications. Le contexte personnel tient peu de place par rapport à ceux donné par le tueur lui même, la haine du féminisme, et celui presque métaphysique de l'entropie générale du système politique.
Le film commence par des coups de feu soudains. L'explosion de violence semble surgir de nulle part et être imprévisible. Pourtant, en creux, quelques explications peuvent être trouvées aux gestes de Marc Lépine.
Deux autres fusillades encadrent celle de Polytechnique. En 1984, un caporal des Forces armées canadiennes, Denis Lortie, avait tué 3 personnes et en avait blessé 13 autres dans une fusillade à l’Assemblée nationale. En 1992, Valery Fabrikant ouvrira le feu à l’Université Concordia de Montréal, faisant 4 morts et une blessée. Dans sa lettre, Marc Lepine semble faire référence à la première dans sa lettre car il déclare qu'il désirait s'engager dans les forces armées pour être plus efficace dans son massacre. Les explications plus personnelles sont négligées par le réalisteur. Lépine semble attaché à sa mère à laquelle il laisse une courte lettre sans que Villeneuve n'indique que, battu par son père et négligé par sa mère dans son enfance, il n’avait eu qu’un ami dont il avait dû se séparer à 17 ans alors que sa mère avait déménagé. Il n'est pas indiqué non plus que l'origine de son complexe d'infériorité vis à vis des femmes ingénieurs tient à son rejet de l'entrée à polytechnique.
La lettre d'adieu du tueur, dite off in extenso, exprime la haine des femmes du tueur :
"si me suicide aujourd'hui, ce n'est pas pour des raisons économiques car j'ai attendu d'avoir épuisé tous mes moyens financiers refusant même des emplois mais bien pour des raisons politiques car j'ai décidé d'envoyer "ad patres" les féministes qui m'ont toujours gâché la vie... Depuis 7 ans que la vie ne m’apporte plus de joie et étant totalement blasé, j’ai décidé de mettre des bâtons dans les roues à ces viragos... Car pourquoi persévérer à exister si ce n’est que faire plaisir au gouvernement… Elles [les féministes] veulent conserver les avantages des femmes (ex. assurances moins cher, congé de maternité prolongé précédé d’un retrait préventif, etc.) tout en s’accaparant de ceux des hommes..."
Pour éviter que son film ne soit récupéré par les machistes, Villeneuve développe une longue partie sur la réalité de la micro-violence du sexisme ordinaire. Ainsi des paroles du recruteur : "les filles préfèrent le génie civil, c'est plus facile... pour la famille... On cherche des candidats qui ne vont pas nous lâcher en cours de route". La plainte de Valérie exprime ce qu'elle a perçu chez le recruteur : les études des femmes "c'est juste pour le fun en attendant d'avoir des enfants".
Un beau plan symbolique révèle le fractionnement auquel les femmes sont condamnées. La réflexion multiple de Valérie dans le miroir semble indiquer qu'il est impossible d'être une personne complète dans cette société machiste où l'on oblige une jeune fille à choisir entre femme active, épouse, mère.
Mais Villeneuve montre aussi que l'attitude du tueur n'est pas rationnelle : il tire sur les jeunes femmes avant d'entendre le début d'une défense. Sa haine ne tient pas seulement à sa jalousie vis à vis de ces femmes ingénieur; il s'en prend aux femmes en général car il tue aussi une secrétaire.
Villeneuve suggère des explications plus métaphysiques à la violence. Guernica (Pablo Picasso, 1937) est une image emblématique de la terreur dont sont victimes des innocents. Ici le tableau joue comme une prémonition du massacre sur des étudiants innocents si c'est vu par le personnage, Jean-François, ou comme une métaphore si c'est le seul point de vue du réalisateur.
"La loi universelle de l’entropie affirme que tout système isolé laissé à lui-même est irrémédiablement voué à se dégrader de manière irréversible jusqu’à l’autodestruction" affirme le professeur de physique. Or les valeurs politiques du Québec des années 1980 peuvent être vues comme ce grand mouvement d'entropie laissant l'individu isolé du social. C'est un grand virage à droite de tous les partis politiques qui succède au déclin des grandes luttes ouvrières des années 1960 et 1970 qui avaient permis aux concepts de solidarité sociale, d’égalité et de progrès de se frayer un chemin dans la conscience des masses. Mais les mouvements de la classe ouvrière, en grande partie trahis par les bureaucraties syndicales politiquement subordonnées au parti de la grande entreprise qu’est le Parti québécois, se sont affaiblis progressivement depuis la fin des années 1970, tandis que la classe dirigeante lançait un assaut massif sur les conditions de la classe ouvrière. Les idées de solidarité sociale, d’égalité et de progrès qui avaient permis aux masses d’espérer un avenir meilleur, se sont ainsi dissoutes.
Une mise en scène symbolique
La structure du récit revient quatre fois sur les scènes du massacre. Le prologue des coups de feu soudain dans la cafétéria, puis le parcours du tueur qui rejoint la scène initiale à la moitié du film et se prolonge jusqu'à ce que Jean-François trouve refuge dans la salle bruyante de la fête. Un troisième segment de la tuerie intervient après le suicide de Jean-François qui revient sur la séparation des garçons et des filles et montre l'exécution de celles-ci puis le calvaire de Valérie jusqu'à son évacuation sur un brancard. Enfin, quatrième segment, alors que Valérie écrit, qui montre le suicide du tueur. Ainsi si le premier segment montre le coté imprévisible et le second la mécanique de la tragédie. Les deux suivants insistent bien davantage sur les conséquences des traumatismes des survivants. L'affiche de Pour la suite du monde et la caméra qui s'élève et bascule au-dessus de la géographie du Canada commencent à indiquer le malaise de Jean-François.
Il en va de même pour le cadre débullé qui le saisit après sa vision des jeunes filles tuées. Plus contestable peut-être l'abus de ces plans sans dessus-dessous tel ceux du couloir éclairé à la fin ou du plan qui s'attarde sur la mandarine épluchée mais non mangée.
Jean-Luc Lacuve le 15/05/2016 apres le Cinémalherbe du 10/05/2016