Assis autour de leur bouteille, dans une boîte de nuit de Genève, un groupe de jeunes raconte ses derniers exploits : la veille, ils se sont fait une douche de champagne avec quarante bouteilles (à 1000 euros). Une fille à l’air sage trouve à redire à cette pratique ostentatoire de la "Crystal shower". Elle est gentiment moquée par ses camarades assumant les signes extérieurs de richesse. L’arrivée d’un copain avec une amie d’enfance, Anna originaire de Belgrade et tout aussi argentée, apporte un peu d’air frais. Et de malaise aussi. Elle écoute sans trop rien dire.
La discussion se poursuit dans le riche appartement de l'un d'eux. On y boit, prend de la coke, joue au jeu de la vérité.
Quatre des jeunes gens rentrent au petit matin parcourant la ville jusqu'au mur des réformateurs. Ils s'interrogent : Calvin et ses amis tiennent ils dans leurs mains des livres ou des masses de billets ? Le puissant jet d'eau du parc est coloré des enseignes de la ville. Il s'éteint.
Ce film étourdissant en forme de vanité est réalisé en collaboration avec des étudiants en cinéma de la Haute École d’art et de design (HEAD) de Genève. Il met en scène la jeunesse huppée dans l’une des villes les plus chères au monde, le temps d’une nuit arrosée ; à l’intérieur d’un club supposé être le plus select de Genève. Chez les horlogers de luxe, Sapphire désigne un verre transparent de la plus haute qualité pour la fabrication des montres. Le mot crystal, lui, renvoie à l’expression anglo-saxonne crystal shower, un rituel qui consiste à s’asperger avec du champagne.
C’est à partir d’images de soirées genevoises, capturées sur Instagram, que Virgil Vernier a composé son casting de comédiens. Le cinéaste a convaincu des jeunes gens de rejouer devant la caméra des histoires et anecdotes qu’ils lui avaient livrées. Virgil Vernier les filme avec un téléphone portable, délibérément rudimentaire, comme si les images avaient été prises au cours d’une soirée qui a réellement eu lieu.
Opposition au sein des privilégiés entre la tendance classique Suisse, protestante et pudique, et une autre beaucoup plus contemporaine, ostentatoire, qui consiste à étaler ses richesses. Le jet d’eau de Genève fait un parallèle puissant avec ces histoires de champagne. Un totem qui résume bien l’esprit de la ville. Il y a aussi ces quatre statues des pères du protestantisme, qui entrent en dialogue avec les quatre acteurs de la fin du film, à la fois moqueurs et impressionnés. Et puis il y a les enseignes Rolex qui brillent partout dans la nuit, un mot sacré à Genève, presque un tabou, une divinité au dessus de la ville
Jean-Luc Lacuve le 07/08/2020.