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Hors de prix

2006

Avec : Audrey Tautou (Irène), Gad Elmaleh (Jean), Marie-Christine Adam (Madeleine), Vernon Dobtcheff (Jacques), Jacques Spiesser (Gilles), Annelise Hesme (Agnès). 1h43.

Biarritz. Au milieu des touristes en maillots de bain, Jean est entraîné par une meute de chiens qu'il a la charge de promener pour les riches clients d'un l'hôtel de luxe. Le soir, il assure aussi la fonction de barman.
Irène est une aventurière intéressée qui convainc les hommes riches de financer son style de vie somptueux en échange de sa compagnie. Lorsque l'amant âgé d'Irène se saoule et s'endort le jour de son anniversaire, elle se rend au bar de l'hôtel, où elle suppose que le barman est absent et que Jean est un invité millionnaire. Plutôt que de la détromper, il lui prépare cocktails et cocktails et ils se retirent ensuite, ivre, dans la suite impériale de l'hôtel où ils passent la nuit ensemble. Le matin, Jean se réveille pour découvrir qu'Irène est partie.

Un an plus tard, Irène retourne à l'hôtel avec Jacques, qui lui demande de l'épouser. Irène est surprise de voir Jean, et il parvient à lui cacher à nouveau qu'il n'est qu'un employé. Jean et Irène dorment à nouveau ensemble, mais Jacques les voit et rompt les fiançailles. Irène revient vers Jean, prétendant qu'elle a abandonné Jacques pour être avec lui. Mais alors qu'ils sont couchés ensemble, ils sont découverts par les nouveaux clients et le personnel de la suite impériale. Quand Irène découvre qui est vraiment Jean, elle le fuit aussitôt.

Pourtant, Jean est désormais amoureux et la poursuit, la retrouvant dans une pizzeria de la Côte d'Azur. Comme elle le lui demande, il dépense tout l'argent de ses comptes d'épargne pour payer sa présence. Il va jusqu'à dépenser son dernier euro pour "10 secondes de plus" à la regarder dans les yeux.

Irène le quitte pour un autre homme riche, et Jean se retrouve avec une note d'hôtel qu'il ne peut pas payer. Heureusement, Jean est sauvé de la prison qui le menace par une riche veuve, Madeleine, qui paie ses factures en échange de sa compagnie. Irène le croise à nouveau avec un autre amant, Gilles. Dans une cabine d'essayage où ils se font respectivement habillés par Gilles et Madeleine, Irène retrouve Jean et lui remet gentiment l'euro des "10 secondes". Elle est un peu jalouse, mais maintenant qu'ils sont "égaux", elle apprend à Jean les ficelles du métier de gigolo. Sur ses conseils, il obtient une montre de 30 000 € de Madeleine, après qu'elle l'ait forcé à subir une chirurgie plastique à l'oreille.

Jean, ayant appris la technique du regard proche et distant et des phrases que l'on ne finit pas, obtient un scoote de Madeleiner. Irène parvient à endormir Gilles pour une balade d'une nuit dans une crique déserte mais, au matin, ils doivent rentrer. Irène informe Jean qu'elle part pour Venise et au Maldives et ils s'embrassent une dernière fois en se cachant sur le balcon pour éviter que Madeleine  ne les surprenne. Mais Gilles qui occupe la chambre d'en face les surprend

Furieux, Gilles laisse Irène à l'hôtel avec rien d'autre qu'un paréo et le maillot de bain qu'elle porte. Jean vend sa montre pour acheter à Irène un séjour d'une semaine dans leur hôtel et une magnifique robe de soirée. Il lui donne également une invitation à une fête. Madeleine est d'abord en colère contre Jean pour avoir vendu sa montre, mais Jean la calme en lui offrant une paire de boucles d'oreilles. Il prétend qu'il a mis la montre en gage pour acheter un cadeau à Madeleine et elle est ravie.

A la fête ce soir-là, Irène revoit Jacques, mais avec une nouvelle petite amie, Agnès. Tout en volant une danse avec Jean, Irène élabore un plan pour reconquérir Jacques, avec l'aide de Jean. Jean accepte de jouer le jeu tout en acceptant de perdre la protection de Madeleine. Il convainc Agnès qu'il est un prince et la séduit pour qu'elle abandonne Jacques, donnant à Irène une chance de le reconquérir. Cependant, quand Irène voit Jean avec Agnès sur le balcon d'en face, elle se rend compte qu'elle aime Jean. Elle quitte Jacques précipitamment court déclarer son amour à Jean, abandonnant sa poursuite d'un style de vie luxueux. Irène et Jean, pieds nus, partent pour l'Italie sur le scooter, utilisant la pièce d'un euro pour le péage.

Pierre Salvadori démarre son film comme une screwball comédie avec le duo improbable d'un serveur timide et d'une aventurière intéressée. Ces deux personnages, ennemis puis amis, vont éprouver des émotions nouvelles et émancipatrices. La mise en scène des acteurs, de leurs corps et de leurs paroles, des objets qui font retour, des ellipses et la splendeur de l'image renouvellent le genre de la comédie sophistiquée à un niveau proche de ses modèles les plus purs des années 30 à 50 qui avaient pour réalisateurs Lubitsch, Leisen ou Wilder.

Ennemis, amis

Dans beaucoup de comédies sentimentales, l'amour est présenté de façon un peu illusoire comme la seule issue face aux pressions du monde. L’amour n’est pas ici l’enjeu principal : Irène et Jean couchent ensemble dès les dix premières minutes et Irène tombe amoureuse bien avant la fin du film. Irène est asservie à une idée très particulière du bonheur, qui confond luxe et sérénité. Pour elle, l’amour est un problème, pas une solution ! Il la fragilise trop, l’effraie et la déconcentre.

Chaque fois qu’Irène se laisse aller à l’amour, elle le paye aussitôt : on la quitte, on l’humilie, on le lui fait payer. Irène a un plan de vie, de carrière, et l’amour, avec tout ce qu’il peut demander de sacrifice et de gratuité, n’en fait absolument pas partie. Elle est dure. Elle veut sa part du gâteau et elle n’a pas de talent particulier excepté celui de plaire. C’est un talent qui en vaut un autre. Irène est un soldat déterminé et Jean est un ennemi dans le sens où il la touche. Lorsqu’elle sent qu’elle s’attendrit, qu’elle faiblit et qu’il la met en danger, en bon soldat elle décide de l’éliminer, de le faire disparaître : elle le ruine pour qu’il rentre enfin chez lui. Ce qui sauve Irène c’est la jalousie. Un sentiment irrépressible. Elle lutte contre son amour jusqu’au bout et c'est une pulsion qui la sauve à la fin.

Jean est un personnage timide, sans réel volonté ou désir, qui se laisse porter. Au début du film, un de ses collègues lui demande pourquoi il accepte toujours les extras du type “promener les chiens des clientes”. Il répond “à force de dire oui je n’ose plus dire non”. Jean est tellement timide qu’il en est presque soumis. Jean se laisse faire. Il s’offre à Irène et lui offre tout, jusqu’à n’avoir plus rien. Un véritable suicide .Il ne fait pourtant jamais la morale à Irène. Il comprend très vite qu’elle évolue dans un monde où sa façon de gagner de l’argent semble la chose la plus naturelle. Au lieu de la juger il devient comme elle, il attaque de l’intérieur, ne devient pas son ennemi mais son allié. Il l’épouse comme on épouse une forme. Sa vertu à lui, c’est qu’il ne renonce pas.

Résistance des paroles et des corps

Grâce à Audrey Tautou perce la gouaille derrière les robes de luxe puis, in fine, la sincérité d'Irène. "J’aimerais… Je voudrais… ", ce dialogue récurrent qui traverse tout le film, sa signification mute alors que les mots restent les mêmes. Quand Irène ne la finit pas, la phrase renvoie à l’artifice et au mensonge, et à la fin, quand elle lui dit “j’aimerais, je voudrais”, et qu’elle termine la phrase par “t’embrasser”, elle sonne comme la fin du mensonge.

Gad Elmaleh est un comédien presque invisible, neutre, et, progressivement il acquiert l'élégance d'un corps qui peut se débrouiller dans plein de situations, burlesque, précis comme Buster Keaton. Avec ses yeux mi-clos, il a quelque chose de désuet dans son visage alors que dans les plans larges, il dessine presque ses mouvements. Jean a travaillé longtemps dans cet hôtel et il est toujours rattrapé par ses automatismes de serveur comme lorsqu’il se lève en entendant un client héler un serveur ou qu’il se saisit de valises à la place d’un employé de l’hôtel. C’est du burlesque pur.

Aucun personnages secondaires, immanquables occasions d’effet comiques, n'est ridiculisé même si les "oncles" sont un peu égratignés : alcoolisme de Jacques et Gilles soumis aux sarcasmes sur son âge par Jean qui, imitant le majordome, lui propose une alimentation adaptée : purée, yaourt, compote. Madeleine, souvent très dure, a toutefois l'excuse d'une solitude qui la fragilise.

Comédie sophistiquée : euro, ombrelles et ellipses

En offrant son dernier euro à Irène, Jean lui dit qu’il sait ce qu’elle est et que cela ne le dérange pas. Il lui demande juste dix secondes de plus. Avec cette ironie douce, il commence alors à devenir charmant, poétique. Puis quand Irène comprend que Jean est devenu un gigolo, elle lui rend la pièce qu’il lui a donnée, lui signifiant qu’il est maintenant son alter ego. Il y a à ce moment-là un lien presque fraternel entre eux. Ce sont davantage des frères et des sœurs, des collègues aussi, des amants. Quand ils se débarrassent de l’euro à la fin, c’est pour eux une façon de se libérer d’un poids et particulièrement pour elle de son obsession de l’argent.

Les ombrelles sont l'occasion de quatre ellipses à la Lubitsch. Quand Irène boit un cocktail et qu’elle se met une ombrelle dans les cheveux, on la retrouve, le plan suivant, avec cinq ombrelles dans les cheveux. Salvadori évite ainsi de montrer Irène cinq fois en train de boire ! Il rend complice le spectateur de cette histoire de séduction en le laissant imaginer l'intimité croissante des personnages qui les conduit directement à la chambre comme une évidence, ludique, élagante; Irène s’offre son cadeau d'anniversaire en déballant Jean sur le lit. Ellipse de nouveau avec l'ombrelle bleue retrouvée par Jean le matin sur le plateau du petit-déjeuner, abandonnée puis, plan suivant, la regardant ému au bord de la mer avant que l'ombrelle ne serve une troisième fois d'ellipse par  un fondu-enchaîné sur le parasol avec l'inscription "un an plus tard". La magie opère alors de nouveau; Irène recherche la nuit Jean au bar où ils s'étaient rencontrés et les ombrelles jonchent cette fois le sol de la chambre.

Le luxe de la côte d'azur est magnifié par la lumière du jour comme les éclairages de la nuit, captées par Gilles Henry. Distribué sous le titre Princeless, le film a été très mal reçu aux USA tant il apparait immoral, bling-bling et avec "les deux seuls acteurs français qu'on n'imaginerait jamais avoir une vie sexuelle intense" ! Au mieux il apparait comme une comédie plaisante à la française. Curieuse réception alors que le film se hisse au niveau des grandes comédies sophistiquées américaines classiques : Haute pègre (Ernst Lubitsch, 1932), Sérénade à trois (Ernst Lubitsch, 1933), The shop around the corner (Ernst Lubitsch, 1940), Jeux de mains (Mitchell Leisen, 1935) ; La baronne de minuit (Mitchell Leisen, 1939), Ariane (Billy Wilder, 1957).

Jean-Luc Lacuve, le 18/11/2020.

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