À Paris, le détective privé Claude Chavasse doit, pour le compte d'un client, épier les faits et gestes de l'épouse de celui-ci et de son amant. Entendant le mari jaloux déclarer son intention de tuer son rival, la fille de Chavasse, Ariane, court prévenir l'homme en question du danger qui le menace. Il s'agit de Frank Flannagan, milliardaire américain ayant des intérêts... et des aventures sentimentales dans le monde entier. N'ayant rien révélé d'elle-même, Ariane le rencontre donc à l'hôtel Ritz, où il séjourne, et ne reste pas insensible elle non plus au charme du quinquagénaire séducteur. Et elle est ravie de l'invitation qui lui est faite de revenir le voir le lendemain. Mais Flannagan quitte précipitamment la capitale, oubliant Ariane.
Ils vont pourtant se revoir, mais un an plus tard, lors d'un nouveau séjour parisien de Flannagan, qui d'abord ne reconnaît pas la jeune ingénue. Les retrouvailles ont lieu à l'Opéra. Amoureuse, Ariane n'a d'autre but que de s'imposer dans le cœur du Don Juan. En désespoir de cause, elle s'invente des liaisons amoureuses multiples, de sorte à faire naître chez Flannagan un sentiment de jalousie. Tant et si bien d'ailleurs que le volage lui-même en vient à faire appel aux services d'un détective privé... Claude Chavasse en personne !
Celui-ci se met au travail, et bien entendu ne tarde pas à découvrir que la jeune femme aux prétendus amants n'est autre que sa propre fille. Il ne lui reste alors plus qu'à révéler cette vérité à son client, et à lui parler en père, le priant de bien vouloir s'effacer.
Ignorant tout ceci, Ariane poursuit son jeu de femme au passé chargé et se rend au Ritz pour y rejoindre Flannagan. Mais la supercherie est plus vaine que jamais, et qui plus est Flannagan prépare son départ. Accrocheuse, elle le suit jusqu'au départ du train. À cet instant décisif, Flannagan ne résiste plus à ses sentiments et hisse Ariane dans le wagon, sous l'œil finalement satisfait de Claude Chavasse qui, sur le quai, regarde le train s'éloigner.
Love in the afternoon est un projet choisi par Wilder pour être un commentaire sur sa propre jeunesse. C'est le Paris intemporel du luxe et du champagne des années 30. Wilder se souvient du film de Czinner, du noir et blanc de la Paramount et engage William Mellor à la photographie et, aux décors, Alexandre Trauner qui fut l'assistant de Lazare Merson durant les années 30 puis l'artisan visuel du réalisme poétique.
La sexualité davantage censurée en 1957 qu'en 1930
Le film est adapté du roman le plus célèbre de Claude Anet : Ariane, jeune fille russe. Claude Anet, comme Wilder, est un ancien journaliste. Il a aussi beaucoup voyagé, tenu une chronique de la révolution russe avant d'être chassé par les bolcheviques. Une première adaptation de son roman est réalisée par Paul Czinner en 1931 avec sa femme, Elisabeth Bergner, comme héroïne des versions allemande (Ariane avec Rudolf Forster) et anglaise (The loves of Ariane avec Percy Marmont). Dans la version française (Ariane, jeune fille russe, 1932) les principaux rôles sont attribués à Gaby Morley et Victor Francen. On a beaucoup reproché à ces versions de n'être pas très crédibles. Ariane, qui est supposée avoir dix-sept ans et tout juste le bac, y est interprétée par des actrices ayant largement dépassé les trente ans.
Le thème de la virginité ne peut être traité en 1957 à Hollywood avec la même liberté que dans les années 1930 en Europe. Wilder montre le double statut sous lesquels on peut envisager la sexualité. C'est quelque chose de sale qu'il faut cacher, ou alors, c'est ce qui permet de faire s'épanouir les êtres. Dans la première option, on a les archives bien fermées de Chavasse qui veut préserver Ariane de ce qu'il estime être une saleté. Ariane, deuxième option, y voit le rêve, le romanesque qui la sortira de son existence étriquée. Plus tard, Avanti sera aussi une apologie du sexe avec amour mais traité plus explicitement.
En 1957, le code de censure émet des réserves sérieuses sur le thème d'Ariane : une jeune fille qui fait l'amour l'après-midi avec quelqu'un qui a l'âge d'être son père. Le film est classé "C", Condamnable : interdit aux mineurs. Pour lever cette interdiction, la censure impose à Wilder la voix off de la fin, comme quoi, Ariane et Flanagan vont se marier et que leur sexualité va être légitimée.
La voix off ne figure ni au scénario ni au montage, ni même dans les premières versions exploitées en Europe. Elle a été rajoutée pour la version exploitée aux Etats-Unis. : "Le lundi 24 août de cette même année, l'affaire Frank Flanagan/ Ariane Chavasse passa devant le juge de Cannes. Ils sont mariés et purgent une peine à perpétuité à New York"
Avec Claude Chavasse, Wilder développe aussi le thème de la paternité. Il est à la fois protecteur (même si ses tiroirs sont trop mal fermés), perspicace et précis "86 % des femmes qui dorment sur le ventre sont amoureuses", s'inquiète : " Le client est parti mais pas la migraine". Et finalement se réserve la voix off finale même si ce n'est pas la fin voulue par Wilder
La valse lente de l'amour pour déconstruire la mécanique américaine
Scénario et mise en scène revendiquent l'influence d'Ernst Lubitsch, le maître de Billy Wilder. Le thème qui ouvre le film, Let's do it (Faisons l'amour) de Col Porter, amorce le thème de l'évocation d'un romanesque perdu. Il y a des moments de langueur inhabituels dans cette comédie qui semble reprendre le tempo de la valse lente de La veuve joyeuse de Lubitsch.
C'est au spectateur de deviner ce qui se passe derrière les portes fermées. Et surtout qu'ils ne tirent pas de conclusions hâtives : il y a toujours une distinction entre l'apparence, ce que l'on croit être la vérité, et ce que l'on va découvrir comme vrai vérité derrière la porte.
Le spectateur est complice de la mise en scène au dépend des personnages. Il faut laisser au spectateur le soin de déduire ce que les personnages ne savent pas encore : "Regardez, ce que le personnage ne sait pas, c'est que ". Et ce, censure oblige, en suggérant un maximum et en montrant le moins possible.
Flannagan est sauvé par son excentricité qui s'incarne de façon inoubliable par l'orchestre tzigane qu'il a toujours avec lui pour jouer le même thème, "Fascination". C'est en jouant sur cette folie potentielle du personnage qu'Ariane finit par le rendre conscient de son amour pour elle.
Plus tôt elle avait dit, désespérée : "Enfant, on lui redresse les dents, on enlève ses amygdales et on le bourre de vitamines. Il mute à l'intérieur. Il devient immunisé, mécanisé, air-conditionné et hydromatique ! Je doute qu'il ait un cur." Michel avait alors demandé : "Qui est-il, un extraterrestre ?" pour s'entendre répondre : "Non, un Américain".
Le film dure plus longtemps que de coutume et encore Wilder a dû couper des scènes. La scène de la tauromachie et les explications avec Michel ont été coupées au montage de même que celle où Ariane improvise de nouvelles paroles sur Fascination : "On devrait aimer un seul jour, puis s'enfuir." Restera le résumé dit par Gary Cooper : "Bonjour, adieu et, entre les deux, un peu d'amour."
Jean-Luc Lacuve le 28/03/2009