Première partie. 1807, les armées napoléoniennes tentent d'envahir le Portugal qui a refusé d'adhérer au Blocus continental. Interne d'un collège religieux, João cherche à découvrir la vérité sur ses parents. Suite à une rixe où il a été blessé pour défendre l'honneur de son père, il découvre l'identité de sa mère, la comtesse Angela de Lima, venue surveiller sa convalescence. Accompagné du père Dinis, Joao peut l'entr'apercevoir un jour, penchée à sa fenêtre. Mais il est chassé du parc du château par son propriétaire, le nouveau mari d'Angela.
1810. Profitant du départ du mari d'Angela pour combattre une nouvelle tentative d'invasion, le père Dinis et Joao rendent visite à la comtesse. Celle-ci leur révèle qu'elle est prisonnière de son mari qui vit en concubinage avec la bonne. Le père Dinis, soutenu par Joao, décide d'emmener immédiatement la comtesse au collège avec eux. La comtesse fait ainsi enfin la connaissance du fils duquel elle avait dû se séparer. Elle accepte que le père Dinis lui révèle l'identité de son père. Dinis l'appris lorsque celui-ci, Don Pedro da Silva, vint, blessé à mort, lui raconter son histoire. Jeune noble désargenté il s'était épris d'Angela au premier regard. Celle- ci lui rendait son amour. Le père d'Angela, le marquis de Montezelos, refusa à Don Pedro la main de sa fille car il était trop pauvre. Ne pouvant fuir aux Amériques de peur qu'Angela ne soit mariée de force, il continua de la voir en secret. Ils devinrent amants. Le marquis avait mandaté un bandit pour surveiller sa fille et un soir que don Pedro s'enfuyait de chez elle, il fut blessé à mort par le bandit. Il vint alors se réfugier chez le père Dinis. Une fois la comtesse endormie, Dinis poursuit son histoire auprès de son jeune élève lui racontant comment, déguisé en brigand, il parvint à convaincre le bandit, mange-couteaux, de ne pas tuer l'enfant de la comtesse. Il le lui acheta quatre-vingt pièces d'or. Joao en conclut alors que l'enfant, lui-même, avait été racheté par la comtesse. Dinis réfute cette explication trop simple.
La mère et l'enfant coulent des jours heureux. Mais pendant ce temps à Lisbonne la rumeur fait de la comtesse une fille perdue vivant en concubinage avec un prêtre. Seul un riche inconnu revenu du Brésil, Alberto de Magalhães défend l'honneur de la comtesse. Le père Dinis n'est pas en reste. Il poursuit avec un huissier le Comte de Santa Barbara afin qu'il confesse son mensonge et restitue son honneur à son épouse. Dinis découvre le comte mourant. Celui-ci lui raconte comment il a été manipulé par le marquis pour épouser Angela et comment, devenu follement amoureux et malgré les avertissements d'un mystérieux inconnu, le père Dinis déguisé, il l'a épousé. Dinis s'en revient avec sa confession et prie Angela de l'accompagner revoir le comte qui demande à être pardonné. Le jeune don Pedro s'oppose à ce départ mais la comtesse rejoint son mari alors qu'il vient de décéder. Le Frère Baltazar da Encarnação lui remet une lettre de son mari. Angela s'en revient troublée au collège. Elle refuse l'héritage mais comprend l'amour malheureux de son mari et décide de s'enfermer au monastère. Dinis vient la voir, lui recommandant de voir Eugenia qui n'a pas accepté non plus l'héritage de son concubin. Lui-même s'en va à Santarém sur les instances du frère Baltazar da Encarnação.
Seconde partie. À Santarém, Frère Baltazar da Encarnação apprend au père Dinis qu'il est son fils. Dans sa jeunesse, il était un jeune noble sans idéal. Il tomba amoureux de la femme de son ami et s'enfuit avec celle-ci à Venise, et où elle meurt en accouchant d'un enfant qui deviendra le père Dinis. Celui-ci est ensuite curieux de connaitre cet Alberto de Magalhães qui défendit l'honneur d'Angela. C'est Mange-couteaux auquel il vendu l'enfant et qui fit fortune à partir des quatre-vingt pièces d'or qu'il lui donna. Il est devenu aussi fort intelligent et a connu divers succès, féminins, en France notamment. Puis il s'est marié, par coïncidence, avec l'ancienne amante du comte de Santa Barbara, Eugenia.
Le passé français d'Alberto de Magalhães parvient à Lisbonne en la personne d'Élise de Montfort, duchesse de Cliton. Celle-ci tient absolument à se venger et croise le père Dinis alors qu'il est chez Alberto de Magalhães. Dinis subtilise la balle de revolver avec laquelle elle s'apprêtait à tuer Alberto. Dinis la conjure de renoncer à sa vengeance et lui explique qu'il connut fort bien sa mère, Blanche de Montfort qui fut la passion de sa jeunesse, en France.
En effet après avoir été recueilli par l'ami de son père, il fut confié à un royaliste de Caen, ami de Charlotte Corday, qui finit sous l'échafaud puis au père de Benoit de Montfort qui fut un frère pour lui. Tous deux tombèrent amoureux de la même femme, Blanche. Partis batailler dans la grande armée napoléonienne, Dinis et Benoît de Montfort sauvèrent le colonel Ernest Lacroze et l'invitère en convalescence au château de benoit. Le colonel et Blanche tombèrent amoureux mais Benoît ne respecta pas cet amour et le brisa par ses mensonges. Le colonel se suicida et Blanche, privée de désirs, devint Blanche de Montfort. Elle se refugia dans le souvenir de son amour disparu et Benoît, désespéré alluma sans doute l'incendie qui la tua. Elise promet de revenir en France mais pas de renoncer à sa vengeance.
C'est Pedro qui en fera les frais. Naïf, il écrit un poème à Elise qui le repousse cruellement avant de comprendre qu'elle pourra en faire l'instrument de sa vengeance. Pedro rentre au Portugal pour enterrer sa mère dont il apprend le décès dû au cholera tout autant que pour provoquer Alberto en duel. Après une escarmouche à l'épée, Alberto apprend à Pedro qu'il lui a sauvé la vie autrefois et que c'est lui qui veille sur la fortune qu'il lui a donnée. Il lui apprend qu'il séduisit Elise en lui affirmant que toute personne avait un prix. Séduite par son cynisme, elle se donna à lui pour quatre-vingt mille francs mais cessa rapidement de jouer pour tomber amoureuse. Alberto s'étant lassé d'elle, elle envoya son frère jumeau, Arthur, pour le tuer. En tentant de désarmer Arthur, Alberto le tua accidentellement.
Pedro, renonce à sa vengeance, tout comme il pardonne au marquis, devenu miséreux et aveugle, d'avoir fait souffrir sa mère. Ne supportant pas le mépris d'Elise qui, elle, ne renonce pas à sa vengeance, il fuit son destin sur les mers. Arrivé sur une île de Caraïbes, gravement malade, il entreprend de raconter son histoire dont l'événement le plus marquant reste la visite de sa mère après la rixe. Entre la vie et la mort, aujourd'hui comme hier, son espoir le plus fort reste cette apparition.
Les Mystères de Lisbonne (avec l'article défini) est un roman de Camilo Castelo Branco, auteur portugais du XIXe siècle dont Manoel de Oliveira avait déjà adapté Amour de perdition, en 1979, avant de s'intéresser à sa vie dans Francisca (1981) puis Le Jour du désespoir en 1992. Plus qu'au romantisme feuilletonesque à la Dumas ou à l'influence des Mystères de Paris d'Eugène Sue, c'est bien davantage à la précision psychologique entremêlée de fantastique de Balzac auquel fait penser le film de Ruiz. Dinis y campe une sorte de Vautrin aux visages et costumes protéiformes. Il veille sur un jeune homme aux illusions perdues qui sera confronté aux splendeurs et misères des courtisanes. Entre destin fantasmé et cruautés sociales, le film s'inscrit dans la prestigieuse lignée de La splendeur des Amberson de Welles, de Fanny et Alexandre de Bergman ou des Deux Anglaises et le Continent de Truffaut.
Le temps de l'innocence broyée
Ces héros cherchent un idéal ancien qui n'est plus de ce monde tout comme Joao est la recherche de sa généalogie afin de trouver le socle solide pour construire sa vie. Il ignore que celle-ci est sans cesse mouvante étrange et mensongère. Ceux qui en font la cruelle expérience, Dinis, Alberto de Magalhães, Baltazar da Encarnação et finalement Angela de Lima atteignent une vérité que ne peuvent comprendre les amoureux innocents : Pedro da Silva père et fils ou leur miroir féminin, Blanche et sa fille, Elise de Montfort mais aussi le Comte de Santa Bárbara, Benoît de Montfort et le Colonel Ernest Lacroze.
Ignorant des jeux de cour, Joao-Pedro sera manipulé par la duchesse de Cliton et fuira le monde sans arriver à se fuir lui-même pour consacrer ses derniers jours à l'écriture du roman de sa vie et de sa généalogie. Se trouve ainsi justifiée la phrase qui ouvre le film : "Ceci n'est pas ma vie mais un lit de douleurs". La littérature et l'art révèlent que les chagrins sont toujours moins justes qu'on ne le croyait (les victimes le sont surtout d'elles-mêmes), et en même temps toujours plus profonds qu'on ne s'y attendait (sans rebond vers un autre malheur, c'est la mort assurée).
Pour n'avoir pas su déjouer le théâtre des apparences
Cette opposition entre grand romanesque et vérité qui s'échappe, se dérobe et se transforme sans cesse, Ruiz y parvient en multipliant les intrigues mélodramatiques (les destins d'un jeune bâtard qui se découvre une mère aimante, d'un prêtre aux multiples apparences, d'un vil séducteur bien vite amoureux, d'une épouse tyrannisée, d'une brune amoureuse éconduite poursuivant de sa vengeance l'homme qui l'a anéantie, d'une jeune femme blonde qui doit choisir entre trois jeunes hommes) tout en faisant se réfracter ces trajets dans les éclats de flashes-back qui font exploser présent et passé.
Le plus virtuose des flashes-back est celui qui raconte le destin tragique du père de Pedro, celui de Don Pedro da Silva. Dinis y raconte comment Don Pedro lui raconta son histoire. Les malaises de la mère viennent interrompre le récit au moment où le père lui-même se trouva mal, entremêlant ainsi l'action dans trois zones de temps. Chaque sortie de flash-back vient cueillir le spectateur embarqué dans une histoire dont il avait oublié qu'elle n'était que l'un des reflets de l'ensemble.
Même jeu de reflets avec le petit théâtre qui se trouve dans la chambre du jeune Joao-Pedro. Amorcé avec des figurines s'apprêtant à un voyage en gondole, on ne comprend que bien plus tard qu'il s'agit d'un théâtre composé par le père Dinis qui y fait jouer le temps heureux de la fuite de ses parents à Venise. Ce théâtre est un cadeau de Dinis à son protégé pour lui enseigner le jeu des apparences de la vie. Bon élève, Joao-Pedro s'y applique mais il finira broyé par son unique amour malheureux vis à vis d'Elise de Montfort.
Même jeu de reflets avec les tableaux qui composent une inquiétante étrangeté en arrière plan de l'action. Chez la comtesse, la vie semble surgir d'un tableau. Ruiz compose une sorte de vanité dans le plan où le reflet d'un crâne se superpose sur la vitre d'une horloge puis un tableau fantastique avec une tasse de thé à l'envers qui flotte dans l'espace.
L'émotion ressentie devant les reflets en flash-back n'est possible que s'ils surprennent et ne relèvent pas de clichés, que s'ils permettent la perception d'éclats de vérité. A cet égard Ruiz fait feu de tout bois proposant tentures soulevées pour observer les amants imprudents, corps qui s'écroulent par terre, serviteur qui trottine et sautille, chat de bronze et perroquet multicolore, tasse renversée, les anamorphoses dues à la fièvre, tableaux qui s'animent, jeux avec les serviteurs ou poursuites sous la table pour Alberto de Magalhães qui se souvient qu'il est mange-couteaux, mère adorée dont on garde le crâne en souvenir
Ruiz alterne aussi grands panoramiques, travellings circulaires et cadres picturaux, thèmes musicaux élégiaques et romantiques, scènes d'intérieurs et promenades en calèches pour de rares et beaux extérieurs.
Jean-Luc Lacuve le 13/12/2010