Edgar Morin et Jean Rouch rassurent Marceline qui, la première, fait l'expérience d'être filmée en répondant à la grande question du film "Comment vis-tu ?". "Cela veut dire : comment est-ce que tu te débrouilles avec la vie" explique Morin. "Si cela ne te plait pas, il sera toujours temps de couper" indique Jean Rouch. Edgar Morin connait Marceline qui fait des enquêtes de psychosociologie dans une boite de psychologie appliquée. Les interviews, analyses et synthèses qu'elle y fait ne l'intéressent pas beaucoup. En revanche, elle se dit disposée à aller dans la rue poser au gens la question " Êtes-vous heureux ?"
Quelques-uns disent Oui : toujours, en ménage oui, heureuse de vivre bien que j'ai 60 ans, oui nous sommes jeunes et il fait beau. Certains disent non : pas assez d'argent, perdu une sur, trop vieux 79 ans avec loyer de 6300 tous les mois à l'hôtel. Une autre dit avoir eu un petit peu de tout : bonheur et malheur.
Nadine et Marceline interviewent un garagiste. Est-ce que vous êtes satisfaits de vos conditions de vie ? On ne se plaint pas mais on y arrive parce que l'on triche un peu. Le garagiste avoue, devant sa femme offusquée, ne pas facturer tous ses clients. Méprise ses clients petits bourgeois qui partent en week-end pour un pique-nique les jours de soleils mais font bien attention à ne pas abimer la voiture. Ce qui le rend heureux est de s'intéresser à des choses inutiles qui ne rapportent rien, lorsqu'il bricole durant des heures.
Nadine et Marceline entre chez un couple, Madi et Henri, dont on leur a dit qu'ils étaient heureux. A 17 ans, Madi avait monté une affaire pour gagner de l'argent : transformer des commodes Louis-Philippe en commodes Louis XVI de cinq a trois tiroirs et même Louis XIV en galbant els bois. Le monde des affaires est terrible. Elle n'en a rien tiré si ce n'est l'expérience. Henri est peintre. Ils sont depuis un an et demi ensemble. Ils restent au lit jusqu'à une heure et demie, couchés à lire. Ils vivent des quelques ventes d'une toile. Ils se sont acheté un automate à musique.
Morin interviewe Angelo et ses camarades, des ouvriers, qui se plaignent de la routine qui ne les révolte même plus. Certains ouvriers pensent devenir technicien avec des cours ou ingénieur ou à quitter pour faire les marchés. Le travail parcellaire est monotone et emmerdant. Neuf heures de travail et dormir pour aller travailler.
4h45, le réveil sonne chez Angelo. Sa mère lui amène le petit-déjeuner sur un plateau. Il s'habille et part à l'usine. Travail, déjeuner sur le pouce. Nettoyage de l'usine. Bus et remontée vers les hauteurs du Petit Clamart. S'entraine dans son jardin au judo, lit Danton.
"Angelo, dit Morin, tu as vu Landry au cinéma tu avais envie de le connaitre". Angelo n'aime pas travailler chez Renault, enfermé, contrôlé, division entre ouvriers, maitrise qui harcelle. Landry constate que même le petit ouvrier a une voiture et semble très heureux. Oui confirme Angelo 80 % des ouvriers ont leur voiture. L'ouvrier est individualiste. Il travaille pour lui, ne pense qu'à lui. C'est un pauvre type qui veut jouer le type qui a du fric alors qu'il se prive pour avoir une voiture ou un costume. Le lundi il recommence à l'usine.
Morin a invité un ami et sa femme qui habitent maintenant à Clichy dans un HLM après avoir connus une chambre de bonne puis une logeuse avec un lit à punaises. Etes-vous heureux ? Presque. Qu'est-ce qui manque ? L'argent. Faire ce que j'ai envie. Gâtée par la vie j'aime mon mari, j'aime mon fils. Le travail c'est du temps perdu. Partager une partie intime que j'abandonne et j'adapte; l'emploi officiel. Je sauvegarde ma partie intime. Tout le monde ne peut être artiste ou artisan. Quand on est manuvre, il fut vaincre l'ennui toute la journée. Travail sans aucun sens, aucun intérêt, subir jusqu'à six heures. Il faut diminuer sa participation au travail officiel et donner toujours davantage à coté, à la vie marginale. Y-a-t-il quelque chose en laquelle tu crois ? La possibilité de s'accomplir.
Marilù, 27 ans, venue d'Italie en France, il y a trois ans. De Cremone chez ses parents à une chambre de bonne sans eau; d'une vie bourgeoise à un hiver sans chauffage. Au début bien, insérée, maintenant mare. Heurter à la réalité, boit, couche, irrationnelle. Métier pas peur et vivre avec quelqu'un avec qui communiquer. Me tuer serait faux. Pourquoi est-ce que tu relies tout à toi ? Je le savais.
"Jean-Pierre tu es étudiant. Tu as vingt ans et je me demande comment tu te débrouilles avec la vie ?" Vivre sereinement parce que j'ai accepté la nécessité de me faire enculer. Impuissance à réussir ses examens, à maintenir une vie de couple, des exigences politiques. Extérieurement, il constate que génération précédente ne sais plus quoi faire mais sais que ce n'est qu'un prétexte pour masquer son absence de courage, de l'égoïsme à la place de la passion, sa vie en demi teintes et tons très neutres.
Marceline est celle qu'il a voulu rendre heureuse, c'est elle qui lui a fait connaitre ces intellectuels qu'il considère comme impuissants. Elle ne voulait pas qu'il ait les vingt ans qu'elle avait connu. Je l'aime encore. Nouvel échec pour moi, expérience douloureuses pour lui.
Rouch : ce qui avait commencé comme la description d'univers personnel individuel peut aboutir à décrire la situation de l'été 1960. Alors allons-y. Pour Morin, la grande question actuelle que pourraient se poser les jeunes, et notamment les garçons, c'est la situation en Algérie. Intérêt car films se feront après; manifester dans la rue pour faire cesser cette guerre absurde. Depuis six ans des crimes que les gens refusent de voir. Jean-Pierre la terminer par de nécessaires négociations. Rouch reproche aux jeunes de ne pas jouer leur jeu. Jean-Pierre lui reproche de parler d'un mythe de la jeunesse (montante, glorieuse, combattive, agressive, active) parce qu'à vingt ans ont peut tout faire on est disponible, ce n'est pas vrai. C'est très vaseux la France à propos de la guerre d'Algérie pense Morin. Régis conclut sur la possibilité de faire crever cette guerre
Les journaux de la guerre d'Algérie au Congo. Marceline avoue que les noirs ne lui plaisent pas. Réunis pour parler du Congo; Landry : le belge s'est dit : pas d'élite donc pas d'ennui. Nadine un an à Léopoldville chez les bonnes surs violées. Y-a-t-il une solidarité de race. Oui contre les colonisateurs marcellien renchéri oui contre les antisémites. Rouch fait remarquer à Landry et Raymond le numéro sur le bras de Marceline. Triangle moitié de l'étoile juive numéro de matricule de déporté dans un camp. Raymond a vu Nuit et brouillard. Marcelline, place de la concorde déserte. Se souvient de son père, du faible espoir de retour de celui-ci, de ses derniers mots, de son retour, dure, et Michel, son frère, qui ne la reconnait qu'à peine.
Bal du 14 juillet où Marceline et Jean-Pierre dansent. Au mois d'août, Morin avec Marilù, un mois après. Elle dit allez mieux et être disponible à l'amitié, à l'amour même si elle a peur d'être seule et isolée. "Qu'est-ce que tu veux que je te dise, on ne peut pas parler de ces choses-là". "Non ?". Marilù a un petit ami.
Angelo, alors on fait du cinéma maintenant. Subit des vexations de son chef. C'est les vacances. Landry devient l'explorateur noir de la France en vacances. Ils aiment la corrida et Saint-Tropez. Nadine, Catherine
Sophie besoin de photos publicitaires pour gagner sa vie. Snobisme du "On s'emmerde à Saint-Tropez". Rouch trouve que la vie est marante et Morin que la vie pas tellement marrante. Enfants de douze treize ans. Varappe avec Angelo.
Rouch montre les rushes aux enfants Véro. C'est moins bien que du charlot. Les gens disent des généralités. Dans la vie, on ne dit pas de généralités. Pourtant naissance d'une amitié. Ce n'est pas naturel archi faux. Jean-Pierre pénible et ennuyeux. Ce qui ne l'est pas est au prix d'une très grande impudeur Mari-Lou vérité seulement au bord de la crise de nerf. Maxi dit que Mari Lou s'est trop dévoilée. Morin trouve ces propos monstrueux, contre l'émergence de la vérité dans la vie sociale. Caméra pas inhibant mais recherche d'une vérité se parle a elle-même. ca nous gêne parce que cela ne concerne qu'elle et, d'autre part c'est là où on est extrêmement pris
Ou bien on reproche à nos personnages de ne pas être assez vrais, Jacques juge Angelo comédien avec Landry ou bien trop vrai avec Marie-Lou. Maxie, la femme de Jacques, reproche à Marilù de se mettre à nue.
Dans les allées du musée de l'homme, Jean Rouch se promène avec Edgar Morin qui conclut : " Nous interrogeons une vérité qui n'est pas la vérité des rapports quotidiens. Les gens, quand ils sont un peu plus libérés que dans la vie, on leur dit ou bien vous êtes des cabotins, ou bien, vous êtes des exhibitionnistes. Ce film nous réintroduit dans la vie de tous les jours, les gens ne sont pas guidés. Nous avons voulu faire un film d'amour et nous avons fait un film, non pas d'indifférence, mais de réactions qui n'est pas forcément un film de réactions sympathiques. C'est la difficulté de communiquer quelque chose".
Tout dans ce film est nouveau. A commencer par les premières images inquiétantes, sur fond sonore de sirène, de la banlieue parisienne au petit matin avant le générique, en passant par la célèbre phrase qui lui succède : "Ce film n'a pas été joué par des acteurs mais vécu par des hommes et des femmes qui ont donné des moments de leur existence à une expérience nouvelle de cinéma vérité", jusqu'à la nouvelle technique d'enregistrement du son synchrone. Il peut donc, à juste titre, être considéré, si ce n'est comme le film fondateur du cinéma-vérité, du moins comme un de ses jalons essentiels ainsi qu'un film annonciateur de la nouvelle vague et, surtout, un témoignage profondément humaniste des aspirations politiques et intellectuelles des années 60.
Un projet construit par Edgar Morin
Fin 1959, Edgar Morin connait le cinéma de Lionel Rogosin dont il vient de voir Come back, Africa. Il dit à son ami Jean Rouch qu'il serait temps qu'il tourne un film sur les blancs. Il suggère un film sur l'amour. Deux mois plus tard, il pense qu'il sera trop difficile de faire un film sans fiction sur un sujet aussi intime. Il propose alors à Jean Rouch le simple thème : "Comment vis-tu ? Comment tu te débrouilles avec la vie ?, question que nous poserions à des personnages de différents milieux sociaux et qui serait en fin de compte une question posée au spectateur." Edgar Morin obtient immédiatement l'adhésion du producteur Anatole Dauman qui répondit aussitôt laconiquement "J'achète " ! Le film commence fin mai 1960, alors que Rouch termine La pyramide humaine.
Jean Rouch utilise une caméra légère 16mm, la Coutant-Mathot reliée à un enregistreur Nagra ainsi. D'autre part la lourde caméra 35mm que j'appellerais la "Coutard" car la musculature de ce dernier lui permit de filmer de très loin, sans pied, les belles séquences chez Renault sans que les gens se sachent filmés.
La séquence sur la guerre d'Algérie ne dure que trois minutes. Jean-Marc ne trouve la désertion valide que si elle est soutenue par un large mouvement d'opinion. Ceux qui refusent la guerre doivent se faire le plus objectivement possible les témoins de ce refus. Il reproche à Régis de manifester de la discrétion dans le refus. Celui-ci ne dément pas. Il ressent avant tout du dégoût pour son époque sa veulerie dans la bêtise et l'inconscience. Au travers de titres de journaux qui font état des évènements d'Algérie puis de ceux du Congo belge, Rouch impose ensuite sa discussion sur les rapports Nord-Sud puis sur les camps d'extermination dont Marceline est une survivante.
Face à la détermination politique d'Edgar Morin, Rouch apparait surtout préoccupé de mixité des cultures et des lieux. C'est notamment lui qui impose le déplacement à Saint-Tropez où "Landry devient l'explorateur noir de la France en vacances."
Au début, il n'y a qu'une enquête sociologique. Mais peu à peu se dévoile ce qui travaille chacun en profondeur : le film se montre ainsi éminemment moderne, bien loin encore de ce que deviendront les engagements politiques de 68 et plus en phase avec notre monde contemporain : le désespoir politique, la solitude, et une permanente forme d'inquiétude sur le devenir de soi-même et du monde.
Jean-Luc Lacuve le 06/03/2012
Source : Un été + 50 (Florence Dauman, 2011).
Editeur : Montparnasse, mars 2008. Langue
: français. Master restauré par la cinémathèque
de Bologne. 1h26.
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