Sous le règne de l'empereur Tokugawa en 1701, le shogun Tsunayoshi contrôle la province d'Edo. En signe de respect envers son Empereur, il lui rend un important hommage aux célébrations de la Nouvelle Année. En remerciements, Tokugawa annonce une prochaine visite de sa prestigieuse infanterie et de membres de la Cour Impériale à Edo.
Afin de les recevoir dignement, Tsunayoshi désigne les daimyos (seigneurs féodaux) Asano et Date comme ses représentants et l'officiel Kira pour superviser le tout. Ce dernier connu comme vil et avide de richesse, abusait de ses pouvoirs. Sa collaboration avec Asano se passe très mal, l'accusant de ne pas lui payer suffisamment de cadeaux prestigieux pour son inestimable soutien. Il poussera le jeune Seigneur à bout tant et si bien qu'Asano l'éraflera de son épée à l'intérieur du château d'Edo. Le shogun le condamne à commettre le seppuku, le suicide rituel pour avoir sorti son sabre dans l'enceinte de son palais.
Cet acte a pour conséquence le déshonneur du seigneur et de sa famille, la confiscation de son château et la dissolution de sa garde composée de 321 samouraïs.
Une partie de ses plus loyaux serviteurs décident alors de le venger. A la tête de soixante hommes, l'ancien samouraï Oishi complote le prochain assassinat de Kira. Afin de dissiper tout soupçon, il feint de sombrer dans l'alcool dans la banlieue malfamée de Kyoto. Deux ans plus tard - une fois la méfiance de Kira adoucie - dans la nuit du 14 décembre 1702, 47 samouraïs prennent d'assaut le château du haut officiel ; ils arriveront à capturer leur ennemi juré en ne perdant qu'un seul homme. Kira refusant de se donner la mort de ses propres mains, ils lui trancheront la tête avec l'épée ayant servi à la mise à mort d'Asano et déposeront la dépouille sur la tombe de leur ancien Seigneur en guise d'hommage.
Lors du procès qui suit leur action, le shogun Tsunayoshi a du mal à rendre un verdict. Impressionné par la fidélité des samouraïs vis-à-vis de leur ancien Seigneur, il ordonne finalement que les ronins se donnent le seppuku. Une commémoration officielle est célébrée en leur honneur. Ils sont enterrés à côté de leur ancien maître.
Premier grand film historique de Mizoguchi, beaucoup moins mouvementé toutefois que ses chefs-d'oeuvre des années 50 : L'intendant Sansho (1954), L'impératrice Yang-Kwei-fei (1955), Le héros sacrilège (1956) voir même La vie d'Oharu femme galante (1952), Les contes de la lune vague après la pluie (1953) ou Les amants crucifiés (1954).
Un film qui délaisse l'action au profit des sentiments intérieurs
Mizoguchi délaisse les préparatifs et les ruses de la vengeance pour se concentrer sur le débat d'idées et la dimension morale de l'histoire en insistant sur le sens de l'honneur, les valeurs de loyauté et de fidélité plus que sur l'héroïsme de l'action à tel point que le morceau de bravoure de l'histoire, l'attaque du château de Kira n'est pas montré, juste raconté dans une lettre. Par conséquent, on ne voit pas non plus la décapitation de Kira avec le sabre dont Asano s'était servi pour le seppuku, le suicide rituel, ni les intrigues périphériques des préparations des ronins qui infiltrent le château, en reproduisent les plans, espionnent les agissements du seigneur.
L'histoire a fait l'objet de près de 90 adaptations au cinéma avec deux choix possibles. Les films qui privilégient la dimension théâtrale, les dialogues et la dimension morale et celles qui reprennent la tradition du film de sabre, affranchie de la tradition du kabuki et qui partent de l'histoire réelle et de son intrigue aux multiples rebondissements.
Mizoguchi a délibérément opté pour le premier choix, sans doute parce que la période de la guerre incite le pouvoir à l'origine du projet à préférer la dimension morale de l'histoire à l'exacerbation de l'action sauvage. Sans soute aussi les goûts personnels de Mizoguchi qui déteste les scènes de violence l'incitent-ils à cette optique fort peu commerciale.
De plus une partie du succès populiste des 47 ronins est due à la figure corrompue de Kira, ce que cache Mizoguchi. Le film épargne aussi l'empereur. La cour impériale est en accord avec les ronins et regrette que Kira n'ait pas été tué. L'empereur, en opposition avec la sentence du shogun, ne voit aucune incivilité dans le comportement d'Asano et encourage les ronins à se venger pour laver l'honneur de leur clan. La condamnation dans la nuit du 3 février 1703 alors qu'Asano avait été condamné le jour même dit seul l'embarras causé par l'affaire. D'autres adaptations se chargeront de mettre en avant la révolte contre le jugement inique du shogun qui protége un puissant corrompu et condamne un homme intègre. Mizoguchi insiste sur la vengeance en accord avec le code de l'honneur et minimise la compromission des puissants.
Des héros Mizoguchiens
Mizoguchi centre l'histoire sur Oishi qui se sacrifie au nom de l'honneur : sa femme le quitte car elle lui reproche sa vie dissolue et son manque d'envie de vengeance, les ronins douteront à leur tour. La traversée solitaire du héros abandonné de tous est toutefois sanctifiée par son succès final alors que les héroïnes de Mizoguchi n'ont strictement rien à gagner en échange de leur sacrifice.
Mizoguchi s'intéresse aussi à deux personnages secondaires. Le jeune ronin sukuyamon qui est reçu par un ronin de rang supérieur avec lequel il se montre insolent et refuse de boire ("avec vous le saké perdrait toute saveur") lui dit-il et qui rejette sèchement la vengeance. Par sa méfiance envers les puissants, il préfigure le personnage du Héros sacrilège (1956).
La jeune fille qui veut revoir celui qu'elle aime donne une intensité mélodramatique au film. Son suicide final en signe de détresse la rattache à la thématique de la condition de la femme, condamnée par la société et par la force des choses. Elle annonce, Osan dans Les amants crucifiés (1954) d'après Monzaemon Chikamatsu.
Esthétique proche de la peinture sur rouleau qui reste loin des corps et des visages. C'est à l'architecture du plan, à la composition du cadre, au jeu des attitudes de faire ressentir la tension dramaturgie, voir les sentiments des personnages. Utilisation de la technique du toit arraché en extérieur et des obliques des panneaux décoratifs à l'intérieur pour géométriser l'espace.
La genèse de l'uvre
Le 1er octobre 1939, deux ans après l'entrée en guerre du Japon contre la Chine, s'ajoute une censure avant-tournage à l'existence d'une censure après tournage : si un projet n'a pas l'agrément du gouvernement, il est interdit d'en commencer la réalisation.
Film de propagande mettant en scène de fidèles guerriers qui prêtent serment à leur chef, s'engagent à son service et lui vouent une obéissance sans limites même si la mort en est le prix, Les 47 ronins est aussi un film à gros budget. ON en donne la direction à Mizoguchi qui est un cinéaste confirmé avec 64 films derrière lui et qui a réalisé en 1938 deux films patriotiques A le pays natal et La chanson de la caserne.
Mizoguchi bénéficie de moyens considérables : les décors du palais du shogun et la fameuse galerie des pas où a lieu l'assaut au sabre. Il n'a par contre pas le choix de matériau littéraire : ce sera une adaptation du cycle de 10 pièces du dramaturge Seika Mayama écrites entre 1934 et 1941. En 1941, une troupe de Kabuki obtient un grand succès en présentant le cycle complet des dix pièces, Mizoguchi engagera ces acteurs.
La 1ere partie sort en salle une semaine avant l'attaque de Pearl Harbor et rencontre peu de succès. On entreprend quand même la seconde partie en demandant à Mizoguchi, adepte des grands mouvements de grue et des plans longs, de se rapprocher de ses acteurs et de découper davantage ses scènes ce qu'il fera.
L'histoire des 47 ronins
Comme chaque année depuis son accession au trône en 1687 l'empereur Higashiyama (1675-1709) devait envoyer une ambassade près du Shogun Tokugawa Tsunayoshi afin de présenter ses vux.
Comme chaque année le shogun chargea certains de ses vassaux le soin d'organiser dignement l'arrivée des émissaires de l'empereur. En 1701 le Shogun Tokugawa Tsunayoshi désigna notamment le seigneur (daimyô) Asano Naganori (1665-1701).
Asano Naganori jeune daimyô de 36 ans du petit fief d'Ako demande conseil pour l'organisation de cet événement à Kira Yoshinaka (1641-1703), samouraï maître des cérémonies de la maison du Shogun Tokugawa Tsunayoshi.
Kira Yoshinaka, hautin, refuse dédaigneusement plusieurs fois son aide à Asano Naganori. Asano Naganori dans un mouvement de colère le blesse légèrement de son sabre au front et à l'épaule.
Le Shogun apprenant cet écart de conduite dans sa maison condamnera sans autre investigation Asano Naganori au suicide. Les règles de l'époque auraient voulu que les deux parties à la querelle soient punies. Kira Yoshinaka ne sera cependant pas inquiété.
Asano Naganori est inhumé au temple Sangaku-ji Ses terres sont alors confisquées, et ses troupes composées notamment de 300 Samouraïs dispersés. Sa famille perdra tous ses titres. Une demande en révision fut soumise au Shogun pour la réintégration de la famille Asano dans ses terres et titres. Cette demande sera rejetée.
L'histoire aurait pu s'arrêter là. A la mort de leur maître un groupe de Samouraï, désormais des ronin, décida de venger la mort d'Asano Naganori. Le groupe composé de 47 ronin, emmené par Oishi Kuranosuke, attendra presque 2 ans.
Ils passèrent à l'action la nuit du 14 décembre 1702 en attaquant la demeure de Kira Yoshinaka. Ils le décapitèrent, lavèrent sa tête dans le puits du temple Sangaku-ji et la posèrent sur la tombe de leur maître Asano Naganori.
Terasaka Kichiemon un ronin du groupe parti immédiatement avertir les autres anciens Samouraïs d'Asano Naganori de la nouvelle.
Pendant ce temps les 46 autres ronin se rendirent auprès du Shogun
Tokugawa Tsunayoshi qui les condamna au suicide en dépit d'un important
soutien populaire.
C'est le 4 février 1703 que 46 des 47 ronin se suicidèrent dans
l'enceinte du temple Sangaku-ji. C'est à ce même endroit près
de leur maître qu'ils furent inhumés.
Après avoir accompli sa mission Terasaka Kichiemon le quarante-septième Ronin se livra au Shogun qui le gracia. A sa mort, il sera inhumé avec ses compagnons et son maître au Sangaku-ji.
Entre temps un autre ancien Samouraï d'Asano Naganori vint se suicider au Sangaku-ji pour se faire pardonner de ne pas avoir participé à l'attaque contre Kira Yoshinaka.
Les 47 ronins au sein de la tradition japonaise
Basée sur un fait réel entre 1701 et 1703, l'histoire des 47 ronins a fait l'objet de multiples transpositions sous formes de romans, pièces de kabuki et séries télévisées. Elle est devenue le fondement de l'éthique japonaise partagée entre le devoir, obligation morale envers la société, et le sentiment personnel.
Les adaptations
A partir de 1603, interdiction de faire des pièces contemporaines susceptibles de réanimer les guerres féodales et donc obligation d'un contexte historique préexistant au XVIIème.
En 1703, l'histoire est appelée Akogishi ou l'histoire des fidèles d'Ako du nom de la province du seigneur Asano.
12 jours après le suicide, en février 1703, interdiction d'une pièce de kabuki pour trouble à l'ordre public par crainte que le public de commerçants ne fasse le lien avec les évènements récents. Inspiré du Dit des soga fin XII : deux frères qui vengent le meurtre de leur père. Le meurtrier n'étant autre que leur oncle.
En 1706, Chikamatsu Monzaemon (1653-1724) ose la première adaptation. Il change les noms et la transpose au XIVème siècle. Son Goban Taiheikii frappe par ses similitudes avec l'histoire récente des ronins. Attaque surprise la nuit, tête coupée de l'ennemi emportée dans un linge sur la tombe de celui qui a péri par sa faute. Chikamatsu ajoute un détail déterminant contraire à la vérité historique : le clan Asano est restauré et son fils appelé à le diriger. Cela devient un sacrifice utile qui permet au clan de retrouver sa place sociale, non seulement pour l'honneur
La première grande adaptation est celle de Takeda Izumo en 1748 : Le Genroku Chûshingura (Chûshingura signifie le trésor des vassaux fidèles ou le trésor des loyaux samouraïs) tandis que Genroku est le nom de la période, de 1680 à 1709, où le Japon (sous l'Ere Edo, commencée en 1603) est gouverné par Tudikawa Sahanoschi, le cinquième shogun. Supprime la fin de Chikamatsu Monzaemon qui fausse la portée de la vengeance des ronins
George Soulié de Morant, en 1927, base son récit sur le témoignage du seul survivant, mort en 1767 à 81 ans. Il avait 16 ans à l'époque et sera le seul épargné par la sentence du shogun afin d'entretenir les tombes de ses amis.
Entre 1934 et 1941, le dramaturge Seika Mayama écrit un cycle de 10 pièces duquel partira Mizoguchi.
85 adaptations au cinéma, la première en 1907 avec deux importantes en 1928 et 1939.
Le sens
Le trésor des loyaux samouraïs ou les 47 ronins dit toute son ambiguïté. Samouraï signifie "se tenir à coté", servir garder. Il désigne un guerrier professionnel appartenant à la caste militaire des bushis, attaché à un seigneur, ou daimyô, propriétaire d'un fief. Un samouraï déchu, il peut l'être pour de multiples raisons est appelé Ronin, c'est à dire homme flottant au gré du vent ou homme de la vague c'est à dire un guerrier sans attaches, un samouraï errant.
Habituellement les ronins se vendent soit par conviction Les sept samouraïs, par opportunisme, Yosimbo, par nécessité de survie, Zatoichi.
Ici malgré leur apparence déchue, les ronins sont par leur courage, leur héroïsme exemplaire, leur discipline collective, leur souci de procéder dans les règles, l'incarnation du code de l'honneur, celui ou bushido, le code d'honneur du guerrier et l'illustration exemplaire de l'honneur du samouraï (voir L'Hagakuré écrit entre 1710 et 1717 par Jocho Yamamoto, un samuraï. Le manuscrit a été préservé jalousement par le clan des Nabeshima, pendant plus de 150 ans. Le public japonais n'y aura accès qu'au début du 20e siècle).
L'histoire pointe les contradictions politiques de son temps. Lors de la première période féodale de la fin du XIIeme siècle à la fin des guerres civiles en 1600, la vengeance était un droit et une obligation absolue pour tout samouraï. Lorsque le 1er shogun arrive au pouvoir en 1603, même s'il s'agit d'un gouvernement militaire, il réaménage ce droit afin de garantir la paix de son pays car une vengeance peut se transformer en rébellion armée et dégénérer en conflit entre clans et seigneurs source des récentes guerres civiles.
A partir de l'ère Edo, le pouvoir peu autoriser après enquête, le samouraï à se faire justice lui-même si un membre de son clan a été blessé dans son intégrité morale ou physique à condition que l'offenseur soit loyalement prévenu. Les 47 ronins transgressent ce code car la vengeance n'est pas autorisée et Kira n'est pas prévenu. Toutefois elle atteint son but : la sentence du shogun destitue le clan de Kira et prive son fils de la succession.
Sources :