Antoine de Baecque écrit sur son ordinateur, Isild Le Besco feuillette des magazines de cinéma des années soixante. Off, Antoine de Baecque parle de ces années là :
Mai 1959, Truffaut triomphe à Cannes avec Les 400 coups. Godard lui en veut de ne pas avoir pensé à lui qui se morfond à Paris. Et ce d'autant plus que Godard sait qu'il ne faut pas rater l'occasion de la Nouvelle vague. Il a déjà rencontré Georges de Beauregard mais Truffaut et Chabrol décident d'assurer le coup. Chacun de leur coté, le 9 mai 1959, depuis Cannes, ils se portent garant l'un pour le scénario et l'autre pour la mise en scène. Beauregard qui hésitait accepte de confier le film à Godard. Celui-ci se ventera d'avoir convaincu seul Beauregard.
Truffaut s'était déjà fait un nom comme critique aux Cahiers du cinéma et Arts. Il a condamné le cinéma français et le festival de Cannes le qualifiant de sans horizon et corrompu. Si bien que la direction du festival de Cannes a interdit aux Cahiers de l'envoyer au festival de 1958.
Pourtant, Malraux, ministre des affaires culturelles, ratifie la décision du comité de sélection et envoie, seul, Les 400 coups pour défendre les couleurs de la France.
En 1959, Godard sollicite Truffaut pour un scénario. Truffaut lui propose celui d'A bout de souffle, basé sur un fait divers qui l'a marqué et dont il a collectionné les articles de presse. Michel Portail a, le 24 novembre 1952, tué un motard de la gendarmerie en chemin vers Le Havre. Revenu à Paris, il rencontre une jeune journaliste américaine avec laquelle il mène la grande vie. Il est arrêté près de la Concorde après quelques jours de cavale et condamné à la prison à perpétuité. Truffaut a gardé les articles de Détective et France soir.
Godard dédie le film à Baby Doll mais via Rio Bravo. C'est, dit-il, "l'histoire d'un garçon qui pense à la mort et celle d'une fille qui n'y pense pas." Godard écrit des dialogues de son cru. Le film est un succès et reçoit le prix Jean Vigo.
Avant 59, chacun d'eux avait réalisé des courts métrages. Les mistons, pour Truffaut, Charlotte et son Jules pour Godard, obligé de doubler lui-même Belmondo, contraint de partir pour son service militaire. En février, la revue Cinéma 58 évoque la Nouvelle vague. Ce texte applique au cinéma un terme de la sociologie en vogue, celui que Françoise Giroud, en 1957 dans l'Express, avait étiqueté sur la jeunesse française, ses espoirs, ses ambitions, ses frustrations...
Avant cela, Godard et Truffaut avaient été les jeunes turcs de la critique au sein des Cahiers du cinéma dirigés par Bazin. Godard en janvier 52 à 21 ans, Truffaut à partir de mars 53, à 21 ans lui aussi. Ils s'étaient connus au ciné-club du quartier latin animé par Rohmer en 1949 qui écrivait dans sa Gazette du cinéma. Du 11 au 18 septembre 1950, ils participent au festival du film maudit de Biarritz. Est pris là la première photo des deux amis.
Truffaut devait tout au cinéma qui l'avait sauvé d'une famille prolétaire et cultivée mais où il était peu aimé. Godard est issu d'une famille de la haute bourgeoisie suisse. Son père dirige une clinique privée au bord du lac Léman et sa mère est la petite fille du fondateur de la Banque de Paris et des Pays Bas, Julien Monod, ami de Paul Valery.
Pourtant tous deux se retrouvent à la cinémathèque d'Henri Langlois, se choisissent des modèles et des références, des maîtres à filmer. Pour Truffaut, ce sera Hitchcock, Renoir, Rossellini, témoin de son mariage en octobre 1957. Pour Godard, les mêmes avec une attention particulière à Lang et Bergman.
Tous deux veulent faire un cinéma plus vrai, authentique, intime. "Les mêmes films qu'avant mais en plus vrai" dira Truffaut. "Non plus une seule façon de faire mais créer de l'inattendu" dira Godard.
Septembre 61, Une femme est une femme est un échec public. Lola, de Jacques Demy, en mars 61 attire moins de 30 000 spectateurs. Dès Tirez sur le pianiste, deuxième film de Truffaut court le bruit que le cinéma est dans les mains de jeunes auteurs d'incompétents entraînant le cinéma français dans la ruine et le néant. En fait, il s'agit d'une crise structurelle du cinéma, en France et à l'étranger, la nouvelle vague sert de bouc émissaire. Les carabiniers n'attirent que 20 000 personnes.
Néanmoins, Godard et Truffaut tournent en continuité et entretiennent une amitié de combat. En 1966, Truffaut entre dans la production de Deux ou trois choses que je sais d'elle. Il écrit un article trés élogieux sur Godard : Deux ou trois choses que je sais de lui.
Lorsque est prononcé l'interdiction de La religieuse de Rivette, en avril 1966, dont Anna Karina, la femme de Godard, joue le rôle principal, Godard attaque Malraux. Il remet ça en février 1968, lorsque Langlois est demis de sa fonction de directeur de la cinémathèque française par Malraux. La contestation se poursuit avec les Etats généraux du cinéma et à la mi-mai 68 à Cannes. Pour Godard :" Il n'y a pas un seul film qui montre des problèmes ouvriers ou étudiants, tels qu'ils se passent aujourd'hui. Il n'y en pas un seul, qu'il soit fait par Forman, par moi par Polanski, par François. Il n'y en a pas. Nous sommes en retard !"
Godard change tout : son cinéma, sa vie, ses amis par radicalité politique. Truffaut poursuit son cinéma, indifférant aux évènements politiques. Faire politiquement un cinéma politique, un cinéma de tracts, d'essais critiques du cinéma classique et de ses mots.
Truffaut est qualifié de notable de l'Hollywood sur seine. Leaud, est déchiré entre ses deux pères de cinéma. Dans La nuit américaine, Truffaut dit "Les films foncent comme des trains dans la nuit". Quels trains, avec quels gens ? lui demande Godard. La réponse de vingt pages scelle la rupture définitive. Elle meurtrira profondément Jean-Pierre Leaud.
Deux de la nouvelle vague ce pourrait être Matisse et Picasso... ou Amicalement votre avec Truffaut dans le rôle de Tony Curtis et Godard dans celui de Roger Moore, le fils du peuple et le dandy, unis pour faire triompher un nouveau cinéma. En revisitant les archives et les films des deux cinéastes, en feuilletant la presse contemporaine, Deux de la Vague, donne à La France son Il était une fois Hollywood (Jack Haley Jr., 1974)... en bien meilleur.
That's the nouvelle vague
Le film est composé pour un tiers d'extraits de films (Godard,Truffaut et La religieuse de Rivette, Lola de Demy) d'extraits filmés de l'époque et de documents (lettres manuscrites, magazines, photos) exhibés à l'écran par Isild le Besco. Celle-ci, égérie de Benoît Jacquot et auteur-réalisatrice, personnifie sans doute aujourd'hui le mieux l'esprit nouvelle vague. Laurent et De Baecque assument ainsi pleinement leur analyse personnelle de l'époque, refusant les interviewe au présent des acteurs survivant de l'époque.
Le fil rouge de ces années Nouvelle vague est constituée par l'amitié entre Truffaut et Godard de 1949 à 1968, les désaccords qui surgissent après les évènements de Mai et la rupture définitive de 1973 qui meurtrira profondément Jean-Pierre Leaud.
Jean-Luc Lacuve le 18/01/2011.
Emmanuel Laurent
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