La
Sibériade, film poème.
Afanassi - Le début du XXe siècle. Un homme marche dans
la neige et découvre le jeune Kolka sortant du cellier des Solomine
avec des beignets volés. Les deux filles Solomine surviennent et insulte
Kolka... qui n'en a rien à faire. Il partage les beignets avec, l'homme,
Rodion Klimentov, un bagnard évadé et une femme muette qui a
pris l'habitude d'habiter chez eux. Kolka vit en effet pratiquement seul depuis
que sa mère s'est noyée et que son père, bucheron, s'est
entiché de percer une route dans la taïga pour aller jusqu'à
l'étoile, celle qui brille le plus.
Fedka le chasseur vient se plaindre. Saoul, il a cédé pour presque rien ses zibelines aux Solomine. Rodion va plaider sa cause auprès des Solomine mais Kolka craint que ceux-ci s'en prennent à lui et part chercher du secours auprès de son père. Celui-ci, près du lynx qu'il a capturé, abat un arbre et ses frères les arbres poussent une plainte que Kolka entend. Son père le lui confirme : "On marche sur du vivant, on coupe du vivant, on vit par le vivant." Le lendemain, Kolka revient dans le cellier des Solomine mais cette fois il est piégé par la jeune Nastia qui accepte qu'il se serve s'il fait trois fois le tour du puits, complètement nu. Une fois le défi accompli, elle jette ses vêtements aux chiens. Kolka se venge de cette humiliation en faisant, devant les Solomine ébahis et jaloux, une course de char à voile sur l'étendue gelée devant le village.
Klimentov a tout juste eu le temps d'apprendre à Kolka qu'il était un révolutionnaire expert en explosifs qui s'était évadé après quatre ans de bagne qu'il est arrêté et brutalisé par les soldats qui le poursuivaient. Il lance une bombe de sa confection contre eux mais ne parvient pas à s'échapper vers le char à voile que Kolka prépare et qui est brûlé. Kolka parvient toutefois à lui faire ses adieux. Klimentov, le révolutionnaire lui promet que leur temps viendra. Kolka s'en va rejoindre son père qui voit l'étoile dans la nuit.
1914 - Mobilisation et guerre, les manifestions pacifistes sont réprimées, armistice et retour de Lénine.
Anastasia - les années 20. Afanassi continue de percer sa route, Kolka a abandonné son sobriquet d'enfant pour Nikolaï maintenait qu'il est devenu grand. Du haut d'un arbre, il voit passer les oies sauvages. Spiridon Solomine est revenu de la ville et informe que la révolution est en marche. Il est physiquement trop fragile pour empêcher sa sur, Nastia, de rejoindre Nikolaï dans la forêt. Elle lui annonce la révolution en marche. Comme il se montre trop sûr de son charme, elle lui annonce qu'elle épouse Filka Solomine. Elle fait venir le marieur qui pratique la cérémonie pendant que, dehors, Nikolaï, la supplie à genoux de lui revenir. Vassia, Pieta et Spiridon Solomine le corrigent et le jettent à l'eau, le chassent du village sur une barque. Afanassi, ignore le mal que l'on fait à son fils mais meurt, la tête sur une fourmilière.
Les cloches tombent, les enfants grimpent à l'assaut des collines. L'histoire continue sa marche.
Nikolaï, le fils du bucheron Afanassi - Les années 30. Nikolaï revient au village en barque à moteur avec son fils Aliochka. Il est investi d'une mission par les autorités révolutionnaires. Découvrir du pétrole là où la route des marais conduit à la crinière du diable. Spiridon veut savoir comme Nastia est morte et Nikolaï lui apprend qu'elle a été brulée vive par les cosaques. Spiridon, désespéré de la mort de sa sur, est le seul à ne pas vouloir accepter le projet de recherche du pétrole. Nikolaï le fait arrêter pour être rééduqué à Moscou. Avec son fils il part ensuite vers la crinière du diable mais le gaz qui s'échappe de la terre les rend victimes d'hallucinations. A peine revenu Aliochka, perd de vue son père. Il voit surgir Spiridon avec une hache tachée de sang et il pleure la mort de son père tout en s'enfuyant du village promettant d'y revenir pour y venger Nikolaï.
Staline et ses défilés, Industrie, Hitler
Taï les années 40. A Ielagne, Ierofei Solomine est mort. La jeune Taï découvre un blessé. C'est Alexeï, le jeune Aliochka, devenu adolescent. Il veut se venger de Spiridon mais celui-ci est en prison depuis six ans et pour neuf ans encore pour le meurtre de Nikolaï (1897-1932). Devant sa tombe II fait jouer un phonographe puis séduit Taï avec la musique et la narration de ses aventures urbaines. Un recruteur de l'armée accoste au village et Alexeï, bien que mineur, veut absolument s'engager. Taï promet de l'attendre toujours.
La Sibériade 2e partie. Durant la guerre, Alexeï sauve son comandant sans savoir que c'est un haut dignitaire du régime soviétique.
Guerre victoire, triomphe, retour au pays. Taï attend vainement le retour d'Alexeî.
Alexeï, le fils de Nikolaï-Les années 60
Alexeï revient, avec son chef Tofik, au pays, à Ielagne après
vingt ans d'absence. Il a été pétrolier de la caspienne
à Bachkirie. Il fait s'effondre la porte ancestrale du village. Taï,
revenu au village après être partie vainement à sa recherche,
lui tombe dans les bras. Mais Alexeï ne lui accorde que peu d'attention.
Avec un engin de chantier, il part conquérir la crinière du
diable mais s'embourbe et fait un cauchemar où il revit encore la mort
de son père. Tofik est devenu l'amant de Taï ce qui provoque la
jalousie d'Alexeï qui perd le contrôle de l'engin de forage dont
le foret tombe dans le puits, immobilisant le chantier pour plusieurs jours.
Philippe Solomine-Les années 60, Philippe est le secrétaire général du comité régional de Sibérie. Il revient dans son village natal pour annoncer qu'une mer artificielle va bientôt l'engloutir et qui sera construite la plus grande centrale hydroélectrique du monde. Tous els Solomine l'accuse d'être un traitre à commencer par Spiridon. Mais Philippe n'y peut rien : si la Sibérie n'a pas de pétrole elle sera inondée. Ce n'est pas la venue d'Alexeï qui le rassure sur la découverte du pétrole dans un délai proche; suivi du musicien Palma, il amène une caisse de champagne pour se faire pardonner. Il dit aussi que si les fonctionnaires russes ne décidaient pas de tout, l'exploration serait plus intelligente. Philippe revient avec ce message à Moscou auprès de son ami, le ministre Fiodor. Il prend des risques mais il sait aussi qu' "On n'exile jamais plus loin qu'en Sibérie". Il va perdre la partie au congrès lorsqu'un télégramme annonce la bonne nouvelle. Alexeï a découvert du pétrole. Il est hélas mort, écrasé sous une grue et brulé vif comme sa mère. Philippe revient à Ielagne. Le cimetière doit être rasé, les morts sortent des tombes et viennent le saluer, le réconforter.
Andreï Kontchalovski le sait : "Il est plus facile de construire trois ponts que d'en construire un seul de la longueur de trois ponts". Ainsi quand il entreprend Sibériade dont le titre, calqué sur L'Iliade, indique la volonté de réaliser un film épique, entend-il se servir de tous les moyens, illimités, mis à sa disposition par la direction du parti communiste qui veut un film pour célébrer son congrès.
Le panthéisme supplante le réalisme soviétique
Andreï Kontchalovski abandonne le projet de La cerisaie avec Gina Lollobrigida et accepte de faire un film sur les travailleurs des puits de pétrole. Mais faire un film sur la classe ouvrière ou l'émulation aurait donné un film trop proche du réalisme soviétique. En six mois, Kontchalovski bâtit avec Ezhov un scenario plus ample : qu'est-ce que le pétrole signifie pour l'homme, l'humanité ? Quelles sont les conséquences de son exploitation sur la nature et l'environnement ? Est-ce un but ou un moyen?
Ils prennent comme point de départ l'histoire d'un village, d'un point sur la terre sur lequel passent les grandes vagues de l'histoire mondiale. Les vagues font rouler les galets, les apportent et les emportent ; les vagues de l'histoire font pareil avec les destinées humaines : les gens quittent un lieu, y reviennent sans cesse comme le ressac du temps. Le principe supérieur du panthéisme qui transparait dans le fait que la terre est un organisme vivant inquiète le ministre de la culture qui a peur d'être limogé.
Des rimes et de l'énergie rythmique pour l'Iliade russe.
Contrairement à la fresque un peu lourde de Guerre et paix (Sergueï Bondartchouk, 1967, 7h00), Kontchalovski est attentif à l'importance des rimes, des répétitions rythmiques de certaines images qui changent de sens peu à peu. Les motifs de l'étoile, de la route, de la chaîne et de la porte scandent le film. L'étoile reste au ciel alors que la route mène vers l'enfer, la terre où le gaz fait perdre la tête. La chaîne est offerte à Nikolaï enfant par Klimentov qui la porte en souvenir des quatre ans qu'il vient de passer en prison. Comme dit-il son compagnon Tommaso Campanella (personnage du XVIe) qui rêvait de construire la cité du soleil, l'homme est enchainé par une idée : la révolution, le communisme, le souvenir. La porte du village, par laquelle on s'enfuit et l'on revient finira par être détruite. Ces rimes sont comme les piliers sur lesquels reposent le film qui se compose aussi de chapitres qui débutent tous par une arrivée et se terminent par un départ du village (On fuit les campagnes et on y revient embrasé par certaines idées)
Sibériade est film épique, non pas par le nombre de personnages mais parce qu'ils sont des archétypes. Le grand-père éternel est une sorte de génie de la forêt, un personnage de conte russe ou Charon qui fait traverser le fleuve des morts. Le grand-père père fait encore partie de la nature : il entend les arbres qui pleurent et s'endort et meurt sur la fourmilière. Les six parties du film qui débute vers 1910 pour s'achever en 1970 sont centrées sur trois générations de Oustoujanine : le grand-père Afanassi, le père, Nikolaï et le fils Alexeï. Nikolaï aimera Anastasia et Alexeï aimera Taï, deux jeunes femmes de la famille rivale des Solomine dont l'un des descendants, Philippe, est le personnage principal de la sixième partie.
Comme contraste avec la vie monotone de la campagne, Kontchalovski fait appel à Artavazd Pelechian pour sélectionner et monter des images d'archive pour produire une concentration d'énergie en début de chapitre. Les images documentaires procurent de l'énergie et sont comme la locomotive de l'histoire. Pelechian suggère une musique de Bach et Artemiev compose une toccata avec électronique, chur et orchestre. Pour le reste Kontchalovski lui suggère de s'appuyer sur les quatre éléments : la terre (les hommes), le feu (le pétrole), l'air (le vent de la forêt), l'eau (le fleuve).
Source : les bonus du DVD ci-dessous.