Une femme d'âge mur, opulente et énergique, est accompagnée par un séduisant jeune homme dans le train. Elle donne des ordres, veut s'asseoir en première classe lorsque les secondes sont trop encombrées et dédaigne les remarques de prudence de son compagnon. Lorsqu'une séduisante blonde s'assoit dans la même allée en face de son compagnon, elle exige qu'ils intervertissent leur place sous prétexte qu'elle aime être dans le sens de la marche et le réprimande pour ce manque d'attention. Il doit même demander l'autorisation pour aller aux toilettes.
De ces toilettes, sort un homme qui s'en vient occuper la place que le jeune
homme occupait en face de la femme. Celle-ci, en pleine conversation téléphonique,
lui indique que la place est prise. L'homme répond que, non seulement,
c'est la place qu'il a réservée mais, qu'en plus, elle en train
d'utiliser son téléphone portable.
L'homme en appel au contrôleur pour que la femme lui rende son portable
mais celle-ci ne veut rien entendre et le garde dans son sac. Le contrôleur
fait alors sonner le portable dont l'homme a donné le numéro
et qui sonne sur le siège arrière. L'homme avait la même
veste que le jeune homme, et s'est trompé de place. Il avait aussi
le même téléphone portable que la femme. Ridicule vis
a vis des autres voyageurs, il n'a plus qu'à s'excuser.
Le jeune homme revient des toilettes pour s'entendre dire qu'il déçoit la femme qui l'envoie chercher de l'eau pour ses comprimés. Il rencontre une jeune fille dans le couloir qui dit le connaître. Comme elle et son amie avec qui elle discute, ils sont originaires de Bracciano.
En gare de Gallese, deux hommes montent dans le train et veulent occuper les places du jeune homme et de la femme puisqu'ils ont les billets de réservation de celles-ci. La femme refuse que le jeune homme, Filippo, se mêle à la dispute. Le contrôleur, appelé une nouvelle fois à la rescousse, philosophe, installe la femme et Filippo dans un compartiment libre.
Filippo sort dans le couloir pour parler avec la jeune fille. Elle dit être une amie de sa soeur, Francesca d'Antoni, qui a le même âge qu'elle, 14 ans. Francesca était très triste qu'il ne soit pas venu à l'enterrement de leur père se contentant de téléphoner deux mois plus tard. La jeune fille dit aussi bien se souvenir de Filippo, un grand qui courtisait la belle Monica. Interrogée par Filippo sur ce qu'est devenue son ancienne amie, la jeune fille répond qu'elle habite toujours Bracciano elle est dentiste dans un hôpital de Rome. Elle la voit régulièrement pour son appareil dentaire et lui a raconté récemment une anecdote que Filippo lui demande aussi de lui dire.
C'était il y a cinq ans, tous les enfants de Bracciano étaient
réunis sur la petite place. Monica et Filippo leur ont proposé
de jouer à cache cache. Elle s'était cachée dans un tuyau.
Trempée et gelée, elle avait attendu jusqu'au coucher du soleil
que l'on vienne la chercher. Elle est revenue sur la place les a vus, enlacés,
et compris qu'ils avaient envoyé les enfants promener pour être
tranquilles. Plus personne aujourd'hui ne joue sur la place ? SMS playstation
et Internet. La femme l'envoi chercher un café. Aux deux messieurs
de première, il explique que ce n'est ni sa mère, ni sa grand-mère
ou sa maîtresse mais qu'il fait son service civil. A vingt cinq ans,
il accompagne la veuve d'un général. Elle est veuve depuis un
an et se rend à la cérémonie du souvenir
.
De retour dans le compartiment, la veuve du général exige qu'il
l'aide à changer de vêtement, à enfiler une nouvelle robe.
Au travers des parties claires de la vitre du compartiment, la jeune fille
de Bracciano observe l'attitude ambiguë et de plus en plus humiliante
de Filippo, sans cesse réprimandé par la veuve du général.
Filippo se met en colère et claque la porte du compartiment. La veuve
du général, affolée, le recherche vainement dans le train.
Le train est arrivé gare de Chiusi-Chianciano Terme, lieu de la cérémonie.
Seule, la veuve demande l'aide du monsieur au téléphone pour
descendre ses bagages. La jeune fille de Bracciano la voit, seule, assise
sur ses bagages, sur le quai de gare espérant le retour de Filippo.
Coincé entre le lourdaud épisode de Olmi et celui, allègrement humaniste, de Ken Loach, l'épisode central de Tickets fait de prime abord la démonstration d'une grande virtuosité narrative. Au travers de ce qui pourrait apparaitre comme une série de leures successifs, Kiarostami met à nue la fragilité des adultes comme une initation au mystère de la vie pour les adolescents.
Kiarostami multiplie les sujets possibles qui pourraient constituer le cur de son film : la femme opulente est-elle la maîtresse du jeune homme comme peut le laisser penser sa jalousie envers la femme en blanc ? Le téléphone portable est-il bien celui de l'homme qui le réclame avec tant de bonne foi ? Les deux messieurs sérieux de la gare de Gallese parviendront-ils à s'asseoir à leur place ? Quelle relation peut se nouer entre le jeune homme et les deux jeunes filles de quatorze ans ? Filippo supportera-t-il jusqu'au bout les ordres de la veuve ? Après son départ en colère, Filippo rejoindra-t-il la générale ?
Mettre à nue la fragilité des adultes
Se superposent à ces interrogations psychologiques des troubles psychiques plus profond qui font ressortir davantage encore la fragilité des relations humaines. Ce sont d'abord les histoires évoquées par la copine de la soeur de Filippo. Pourquoi Filippo n'est-il pas venu à l'enterrement de son père ? Pourquoi ne voit-il plus Monica ? Pourquoi les jeunes d'aujourd'hui ne jouent-ils plus sur la place du village ? Cette remonté d'un doux passé douloureux enfui, caché sous un sourire de façade explique une bonne part de la colère qui sait soudain Filippo. Cette solitude qu'il affronte désormais est exacerbée par les exigences tyranniques de la générale.
Celle-ci se plaint pourtant aussi du manque d'attention de Filippo (on remarque au passage que Kiarostami n'est pas tendre envers les généraux iraniens, semble-t-il dominées par leur femme) et l'empêche d'être distrait par quelqu'un d'autre qu'elle, une gracieuse jeune femme ou une gamine de quatorze ans. Elle s'accroche à Filippo comme à un dernier rempart envers la solitude. Plus que sa jalousie envers la femme en blanc, c'est la femme en rouge qui, comme aux hommes du compartiment, elle coupera le souffle. Il y a dans cette apparition colorée une grâce aérienne dont le plan qui suit, cadrant la générale pieds nus et affolée, dit la perte vis à vis de l'idéal que doit pas manquer de ressentir la générale. Les plans qui alternent ensuite voies de chemin de fer et visage affolé de la générale suggèrent une mort prochaine tout comme le plan où elle est assise sur ses valises et celui du petit arbre vu au travers de la fenêtre du compartiment.
Kiarostami ne manque en effet pas de symboliser la fragilité de ses deux personnages par un plan récurrent de son cinéma, l'arbre au sommet de la colline. Filippo contemple trois fois le paysage à l'extérieur du train. La troisième fois le plan dure près d'une minute pour cadrer des arbres au sommet d'une colline qui semblent parfois jouer avec un fil électrique. Pour la générale, le trajet-calvaire qui la mène au bout du train, qui la rendra consciente de sa mort prochaine, débute par un arrêt aux toilettes avec, à l'arrière plan un petit arbre.
Comme une initiation au mystère pour les adolescents
Plan tout aussi récurrent, celui que Bergala nomme le "code-barre", signe qui empêche la communication, souvent mis en scène avec des arbres ici avec les parties claires et masquées de la vitre. La copine de la jeune soeur de Filippo avait crû comprendre le manège des grands avec la partie de cache cache dont elle avait été la victime. Elle est laissée ici sur une indécision plus grande encore. A elle Filippo n'a rien expliqué de sa fonction vis à vis de la générale et la vision que la jeune fille peut avoir au travers de la vitre est, pour le moins, ambiguë.
Elle ne saura jamais non plus si Filippo a rejoint la générale. Pour elle, dont le visage dans un fondu au noir termine le film reste une indécision sur les relations qui se nouent entre adultes. Une initiation au mystère en quelque sorte.
Jean-Luc Lacuve le 06/07/2010
MK2. Juin 2009. |
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supplément : Le journal de tournage de Filippo Trojano, acteur d’Abbas Kiarostami, un livret de 20 pages.
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