De part et d'autre d'un écran central de petite taille qui retransmet une représentation du Tazieh filmé par Kiarostami en Iran, deux écrans géants. Celui de gauche montre un public féminin, celui de droite un public masculin. Ou plutôt ses réactions à la représentation filmée que nous suivons sur le petit écran central. Le son qui englobe l'ensemble est celui des acteurs-chanteurs du Tazieh dont les voix (micro sans fil) sont accompagnées par un petit orchestre jouant une musique tour à tour enjouée et lancinante.
Le Tazieh est une forme de théâtre populaire iranien, apparue à la fin du 18ème siècle et qui, à la faveur de grandes mises en scène dolorisantes, commémore le massacre à Kerbala de Hossein, petit-fils de Mahomet, par les troupes du calife omeyade, en l'an 680. Cet événement est à l'origine de la partition de l'Islam en deux grands courants : le chiisme et le sunnisme. Les spectateurs du Tazieh sont installés sur le pourtour d'un 'tekieh' un espace circulaire dépourvu de décors (on s'en tient à quelques accessoires) où peuvent se réunir parfois quelques dizaines, parfois des milliers de spectateurs.
Sur l'écran de gauche, une femme indifférente qui discute. Sur l'écran de droite, un enfant qui sourit, un grand-père absorbé. Tandis que l'on scrute les visages qui attendent le début de l'histoire, une voix off raconte ce qu'est le Tazieh et quels en sont les héros : l'imam et les siens sont en vert et blanc (couleurs de l'innocence), les assassins en rouge.
A mesure que, sur l'écran central, le dénouement tragique se rapproche, les visages se crispent. Une femme honteuse dissimule sa souffrance derrière son tchador, des hommes se balancent nerveusement sur leur chaise alors que d'autres se frappent la poitrine en signe de contrition.
A l'origine du Tazieh de Kiarostami, une commande italienne du Teatro di Roma en 2003. Disposant d'importants moyens, le cinéaste installe un dispositif constitué de six écrans géants projetant, au cours de la représentation qui se déroule sur scène, des visages de villageois qu'il a préalablement filmés lors de représentations traditionnelles en Iran.
A la suite de cette expérience aux résonances internationales, le cinéaste imagine une nouvelle présentation de ce spectacle. Il en parle comme d'une nouvelle forme de "théâtre-cinéma " qui tient à la fois de l'installation vidéo, du théâtre filmé, et du documentaire.
Ainsi lors de sa présentation au Festival des arts en 2004 à Bruxelles puis au TNT de Toulouse en mars 2007, au Centre Pompidou en septembre 2007 à l'occasion de l'exposition Victor Erice / Abbas Kiarostami ou au festival d'Edimbourg en 2008, l'installation se présente désormais sous la forme de trois écrans.
Les spectateurs des deux écrans géants finissent par former une sorte de chur collectif. Chur des femmes en noir qui se cachent sous leur tchador pour pleurer, chur des hommes qui sont soudain secoués de sanglots. Chur tragique fait d'individus, de visages inoubliables dans le mystère de leur anonymat.