Serge Pilardosse vient d'avoir 60 ans. Il travaille dans un abattoir. Ses collègues ont organisé un pot pour son départ à la retraite : l’homme travaille depuis l’âge de 16 ans ; il n’a jamais été chômeur ni malade. Il reçoit comme cadeau un puzzle de 2000 pièces. Dès le lendemain, il s'ennuie et parcourt les allées du supermarché où sa femme, Catherine, est une employée exploitée. Serge s'engueule avec le charcutier et raye deux voitures avec son caddie. Il n'arrive pas davantage à réparer la porte du salon. Sa femme, qui souffre au travail, l'incite à prendre rapidement contact avec sa caisse de retraite
Mais c'est la désillusion : il lui manque des points. Au cours de sa carrière agitée, dix employeurs ont "oublié" de le déclarer. Il est forcé de fournir lui-même les justificatifs nécessaires ! Poussé par Catherine, il enfourche sa vieille moto des années 70, une «Münch Mammut 1973» qui n'a pas servi depuis longtemps, et part à la recherche de ses bulletins de salaires.
Il a d'abord affaire au terrassier d'un cimetière, plutôt joyeux drille. Mais ce n'est ensuite pas si facile. Il dîne le soir avec trois autres hommes seuls, pleurant aux tables d'un restaurant. Il est insulté par le gérant d'un bar où il fut videur. Il réussit néanmoins à voler ses archives des années 75 à 80. Lorsque le carton s'envole sur la route, il retrouve le papier le concernant. Le forain qu'il visite ensuite n'a jamais conservé de papier ; cela ne se fait pas dans la profession. C'est ensuite, une minoterie qui a fermée depuis 1973-75 et qui est devenue une entreprise high-tech. Nouvel échec à l'archevêché. Le soir il aide une jeune prostituée, blessée au bassin dans un accident de moto, qui lui fait du rentre dedans mais avec laquelle il se contente de discuter et d'être aimable. Trop naïf, il constate le matin qu'elle l'a volé.
Serge arrive ensuite sur les lieux de son enfance et adolescence. Il se souvient de son premier amour avec la jeune fille qu'il ne connu qu'à peine avant de la tuer dans un accident de moto et dont le souvenir le hante. Il débarque chez son frère, Jean-Luc, absent. La fille de celui-ci, Solange lui apprend qu'il est parti en lune de miel avec une mannequin russe. Solange est férue d'art naïf. Avec le cousin Pierre, ils pratiquent une masturbation mutuelle...sans succès; ils ont vieillis
Serge au cours de ce périple prend conscience qu’à l’époque, tous l’ont pris pour un imbécile. Dans cette situation, sa nièce le sauve en lui faisant découvrir l’art naïf et en le présentant à ses amies anticonformistes. Cela réveille le poète enthousiaste qui sommeillait en lui. Il rentre chez lui ragaillardi, retrouve sa femme et passe son bac. Lors de l'épreuve de philosophie, il écrit :"mon seul travail, c'est d'aimer, comme une dernière bataille". Solange a pris la place du fantôme de son amour perdu. Ses paroles résonnent en lui : "Je t'aime mon éléphant de mer, des étoiles dans les regards. Impure, mais tu es ma pureté, mon oncle mon parrain, mon parent. je t'aime tellement. Va à la recherche de ta vie, de ton espoir, de tes odeurs, de tes impuretés".
Le pré-générique est mystérieux avec un travelling rapide, flou, puis semblant revenir en arrière avant de basculer vers le ciel. Il annonce que le ton de la comédie va ensuite virer au drame. Celui-ci s'amorce dès le gros plan inquiétant, sombre et granuleux, au moment où Serge dégage le tissu qui couvrait la moto, en phase avec ses souvenirs douloureux alors inexprimés. Ils viendront avec l'apparition du fantôme de l'amour perdu au milieu d'une route qui vient le réconforter: "reste toi même, ne te laisse pas faire, je t'aime" C'est le début de séquences espacées de réminiscences .
Gérard Depardieu trouve avec ce film un rôle tout exprès pour ses 150 kilos en éléphant de mer d'une poésie sauvage trop longtemps contenue. Il fait face à la dureté du monde contemporain avec le méchant collecteur de pièces perdues (il suit fièrement "la ligne imaginaire du vendeur de beignets") ou et les enfants qui appellent la police. Après Bellamy (Claude Chabrol, 2009), suivront quelques autres rôle marquants : Welcome to New York (Abel Ferrara, 2014), Valley of love (Guillaume Nicloux, 2015), Un beau soleil intérieur (Claire Denis, 2017)
Rôle comique de Yolande Moreau en Catherine : impitoyable avec son mari minable : "T'as mal fait les courses, t'as mal téléphoné, tas mal réparé" ; aux prises avec le serveur vocal qui lui fait répéter indéfiniment mots, syllabes et même les lettre de son nom. Burlesque désabusé : les quatre hommes seuls pleurant le soir au restaurant, le "prends-moi" de la prostituée, tortillant du bassin, cachée par la porte des toilettes... mais qui ressort simplement portée dans les bras de Serge.
Jean-Luc Lacuve, le 1er juin 2018