Gérard Depardieu est interrogé par des journalistes au sujet de son interprétation de Devereaux. Il n'aime pas le personnage mais, selon lui, l'acteur est d'autant meilleur qu'il s'écarte d'une interprétation où il ferait corps avec son personnage : il sera certainement meilleur s'il se réjouit intérieurement de parvenir à faire pleurer les foules que s'il se contente d'essayer de pleurer. Les journalistes acquissent.
Vendredi. Devereaux est un homme puissant. Dans son bureau de Washington, son chef de la sécurité vient lui indiquer les mesures à prendre pour les jours à venir car des rumeurs commencent à circuler. Il n'y a qu'à voir ses secrétaires, physiquement très proches de lui, pour ne pas expliciter la nature de celles-ci précise son interlocuteur.
Samedi matin. Devereaux est à New York et descend dans son hôtel habituel du Carlton. Il se montre très empressé avec la jolie fille d'étage qui le conduit à sa chambre. Dans celle-ci, des amis sont déjà là avec des prostitués qui l'attendent pour enchainer jeux sexuels plus ou moins violents et bestiaux ou parfois plus doux. Au petit matin, deux nouvelles prostituées russes brunes viennent dans sa chambre. A peine sont-elles parties qu'une femme de chambre noire entre sans se faire entendre de Devereaux qui est sous la douche. Il l'approche à moitié nu. Elle proteste.
La femme de chambre parvient enfin à sortir de la pièce ; en larmes. Le midi, Devereaux déjeune avec sa fille et Josh, son fiancé. Il s'exprime sans vergogne sur sa sexualité et mange avec plaisir, s'amusant de la façon dont Josh prononce bouillabaisse et la décrivant comme une partouze de poissons.
Au Carlton, la femme de chambre a prévenu son chef qui a alerté la police. Les détectives Rosario et Fitzgerald prennent sa déposition : Devereaux s'est précipité nu sur elle, l'obligeant à une fellation. Devereaux est en route pour l'aéroport quand il s'aperçoit qu'il a oublié son blackberry. La réceptionniste de l'hôtel lui répond, sur ordre des détectives Rosario et Fitzgerald, que s'il indique précisément son numéro de vol, on va venir lui porter. Devereaux est installé sur son siège lorsque l'hôtesse de l'air vient lui demander de la suivre. Devereaux ne s'en étonne pas, croyant que les agents de sécurité viennent lui rapporter son blackberry. Ils l'arrêtent et, avec des menottes serrées, le conduisent au commissariat de Harlem où il est mis en cellule. Devereaux parvient non sans mal à téléphoner à sa femme, Simone, à Paris. Celle-ci, en plein déjeuner mondain, ordonne à son assistante de déployer tous les moyens pour faire sortir son mari de prison. De retour en taxi, elle est furieuse qu'au dernier moment son mari ait gâché le beau plan de carrière qu'elle avait prévu... pour elle surtout.
Devereaux comparait devant le tribunal pénal de la ville de New York présidé par une juge qui rejette la requête de la défense pour sa libération sous caution (un million de dollars). Elle invoque un risque de fuite. Devereaux est transféré dans la prison de Rikers Island. Il doit se laisser prendre ses empreintes et subir une courte promiscuité avec des prisonniers agressifs puis se déshabiller complètement avant d'être conduit dans une cellule individuelle.
Trois jours plus tard, un grand jury l'inculpe formellement d'agression sexuelle mais accepte, malgré l'opposition du substitut du procureur, sa libération sous caution avec plusieurs conditions : le versement d'une caution d'un million de dollars avec un dépôt de garantie de cinq millions de dollars, le retrait de son passeport, une assignation à résidence à New York et paiement de sa propre sécurité avec port d'un bracelet électronique muni d'un GPS. Devereaux quitte ainsi la prison de Rikers Island pour rejoindre la maison dans Lower Manhattan, que Simone a payé pour lui 60 000 dollars par mois avec jacuzzi et salle de cinéma.
Vient alors le temps des explications avec Simone. Elle l'a sauvé bien des fois des conséquences de son addiction au sexe et il espère qu'il en sera de même cette fois là. Elle ne partage pas son point de vu et s'inquiète auprès des avocats de la marche à suivre. Pendant ce temps, Devereaux ayant jeté un regard indifférent aux femmes de ménage, solidaires de leur collègue et qui se battent pour la dignité des femmes, médite sur sa situation. Il n'a jamais cru ni en Dieu, ni même en ce substitut de Dieu que l'on nomme l'idéalisme et seul le sexe l'intéresse. C'est Simone qui a fait d'un petit professeur d'université, le puissant directeur de la banque mondial. Lui n'a que faire d'être président de la république française.
Devereaux accepte plutôt bien sa situation. Sa fille vient le voir, il regarde Domicile conjugal en riant dans sa salle de projection. Il a même une entrevue sexuelle avec une jeune juriste noire qu'il a aidé à obtenir un poste à la cour pénale internationale et qui admire son pouvoir et son intelligence. Il la quitte après une relation amoureuse dont il sait qu'elle a bien des chances d'être la dernière.
Acceptant de parler à un psychanalyste, appelé à la demande de Simone, Devereaux lui dit qu'il ne le sauvera pas car il ne veut pas l'être; aucun drogué ne veut être sauvé de son mal. Simone lui explique une dernière fois que c'est son argent qui a arrangé l'affaire. Elle refuse de lui dire qui elle a arrosé de crainte qu'il ne porte des accusations contre elle pour corruption de la justice. Devereaux s'en pend aux affaires pas très propres que ses parents juifs ont contractées pendant la guerre et qui leur a permis de conserver leur fortune. C'en est trop pour Simone. Le divorce est consommé. Devereaux voit alors venir la domestique à leur service qui lui apporte le café ; elle le trouve gentil.
Le film s'inspire de l'affaire Dominique Strauss Kahn qui éclate en mai 2011. Après un court prologue, le film se scinde en trois parties, l'orgie sexuelle du 13 mai (très réduite dans la version courte), la reconstitution des événements de la journée du 14 mai et la confrontation entre Devereaux et Simone dans la maison que celle-ci à louée à Manhattan. Le film relève du genre de la biographie filmée (biopic) et c'est pour sa proximité avec une affaire qui a écœuré une large part de l'opinion publique française qu'il n'est pas sélectionné à Cannes en compétition officielle. Pour prendre de court les instances cannoises et les exploitants de salles réticents, le producteur, Benoit Maraval, décide alors de ne distribuer son film que par internet sans passer d'abord par les salles de cinéma. Il est disponible en VOD en mai 2014 pour la somme de 7 euros et connait un beau succès de scandale. Le film vaut pourtant beaucoup mieux que cela.
S'il est souvent très précis dans les détails de l'affaire Strauss Kahn dont il s'inspire, c'est pour mieux s'en s'écarter pour faire le portrait d'un homme enfermé dans son obsession, totalement étranger au désir de pouvoir, à la conduite irresponsable et dangereuse qui restera déchu, sans défense et, dès lors presque mort, lors de l'image finale.
L'art du biopic
Le premier écart avec le biopic est posé frontalement dans la première scène, une fausse interview de Gérard Depardieu, mise en scène pour le film. Ce sera dès lors autant un film biographique sur Strauss Kahn que sur Gérard Depardieu qui prend plaisir à jouer ce personnage d'autant plus qu'il s'en détache. Depardieu se révèle plus que jamais acteur génial, bestial parfois dans ses relations sexuelles qui, pour la plupart, sont tarifées mais tendre aussi avec la jeune juriste qui l'admire. C'est aussi Depardieu qui souffle et gémit comme un enfant que l'on traine d'une cellule à l'autre et qui tente d'éviter le pire en demandant l'heure, en se laissant prendre les empreintes ; Depardieu à l'aise avec son corps devenu gros, se laissant intégralement déshabiller.
Etre assumant une grande part d'irresponsabilité, il se satisfait d'une vérité se trouvant dans les pulsions les plus primaires, le sexe et la nourriture. Si le film adopte son point de vue, il prend aussi soin de montrer dans un plan modeste et terrible combien ces femmes, vues de haut, qui protestent et rentrent chaque soir en car, ont peu de chance de faire entendre leur voix. C'est aussi probablement le sens de l'unique séquence d'archive utilisée dans le film où Kenneth P. Thompson, avocat afro-américain de New York assurant la défense de Nafissatou Diallo, commente la décision du procureur Cyrus Vance d'abandonner les poursuites. C'est une offense particulière faite à une femme de chambre noire mais aussi aux droits de toutes les femmes. Ces deux séquences attestent de la morale politique de Ferrara, montrant au-delà de son titre ironique, que les plus faibles ont bien peu de chance de s'en tirer face au pouvoir de l'argent.
Le pouvoir est incarné par Simone, ses plans de carrière et son carnet de chèques. Là aussi, Ferrara respecte les signes extérieurs de vérité (coiffure d'Anne Sinclair) pour mieux s'écarter du personnage réel et en faire un personnage avide de pouvoir et manipulatrice.
Jean-Luc Lacuve le 29/11/2014