Chapitre 1 : Toucher. Un téléphérique tiré le long d’un rail conduit quatre femmes d’à peine 40 ans sur les hauteurs de Kôbé, un lundi de juillet. Très unies, les quatre amies ont décidé de ce pique-nique en fonction de leur agenda respectif. Akari est une infirmière très compétente, récemment divorcée ; Sakurako, mère d’un adolescent, doit cohabiter avec sa belle-mère le temps que celle-ci se réconcilie avec la sœur de son mari ; Fumi, mariée à un journaliste, est organisatrice d’évènements culturels ; Jun est également femme au foyer. Le temps est couvert et pluvieux et les quatre amies, pour se réconforter, décident d'organiser pour dans trois semaine, début aout, un weekend aux sources thermales d'Arima. Fumi leur présente alors un prospectus pour un atelier qu’elle organise le week-end prochain au centre d’art de la ville. Comme elle craint qu'il n’y ait pas grand monde, elle sollicite ses amies pour y participer.
Akari travaille à l’hôpital où on lui a confié le soin de chaperonner une jeun élève infirmière pas très douée. Elle rembarre le médecin qui souhait l’inviter à diner.
Fumi et son collègue reçoivent Ukai au centre d’art. Ils sont gênés de lui demander de demander à ses amis de venir à l’atelier afin de faire nombre. Les inscriptions sont en effet réduites.
Sakurako prépare à diner à son fils qui ne veut pourtant pas grossir. Elle s'entend bien avec sa belle-mère. Son mari rentre tard le soir. Il lui reproche de trop sortir et de ne pas être suffisamment présent près de leur fils. Sakurako reçoit un appel étrange de Jun ;
C’est dimanche, Jun à donné rendez-vous Sakurako à la gare. Celle-ci est interloquée par la nouvelle apprise la veille au téléphone : Jun a entamé une procédure de divorce. Sakurako promet de garder le secret vis à vis de leurs amis.
Ukai reçoit les participants à son atelier. Il a observé les détritus suite à une tempête et a réussi à les faire tenir debout. Il montre comment il peut donner son équilibre à une chaise avec un seul point de contact au sol. Cette façon de toucher les choses ne l’amuse plus : il cherche plutôt une nouvelle forme de communication entre les êtres. Il leur propose d'écouter leur ventre puis de poser le front les un contre les autres pour tenter de trouver une forme de communication certes moins extraordinaire que la télépathie mais engageant une vrai écoute.
A la fin de l'atelier, seule une connaissance d'Ukai se révèle septique. Le groupe étant soudé, il est décidé de prendre un dernier verre ensemble. Ukai insiste pour demander à Akari si son métier est difficile. Celle-ci rejette la demande, trop banale, puis accepte : Akari, qui rêvait de soigner et d’aider les gens en tant qu’infirmière, mais qui se confronte désormais au vieillissement de la population japonais et voit que les soins ont été remplacés par la surveillance de personnes âgées en attente de la mort. C’est ensuite un jeune homme qui raconte son difficile divorce ; sa femme lui ayant pris la moitié de son capital alors que c'était elle qui était infidèle. Il s'attire la sympathie immédiate d'Akari. Jun révèle alors qu'elle aussi est en instance de divorce. Akari est vexée et jalouse, comprenant que Jun en a déjà parlé à Sakurako avant. Du coup, elle quitte la salle. Fumi, la suit dans la nuit mais ne parvient pas à la convaincre de revenir
Sakurako raccompagne Jun à la gare mais celle-ci fait un malaise.
Chapitre 2 : Ecouter : Une nouvelle fois, le mari de Sakurako reproche à celle-ci de trop sortir. Sa mère le conforte car hier, dimanche, alors qu'il était au golf et sa femme à l’atelier, leur fils a ramené une fille à la maison. Elle espère qu'ils lui ont parlé de la contraception ! C'est alors que surgit Jun, qui a dormi à la maison suite à son évanouissement de la veille. Le mari de Sakurako la raccompagne à la gare, renouvelant sa demande de moins de sorties pour sa femme.
Les trois amies viennent écouter la séance du tribunal où l’avocat de Kohei soumet Jun à rude épreuve. Celle-ci ment effrontément mais ne parvient probablement pas à convaincre le juge.
Le mari de Fumi propose à sa femme de la conduire avec ses amies aux sources chaudes. Il doit justement y retrouver la jeune auteure qu'il tente de promouvoir à Arima. Il aimerait que sa femme l’aide à promouvoir la lecture de sa protégée au centre d’art de la ville. Fumi refuse de mêler vie privée et vie professionnellle. Puis elle se ravise et accepte.
Jun rentre chez elle, sur les hauteurs de Kobé avec de lourds sacs de courses. Kohei son mari l'attend et la supplie de revenir avec lui. Jun téléphone à son avocate et verse le thé sur la tête de Kohei. Celui-ci ne répond pas à cette provocation et s'en va.
C'est le 3 août, jour du départ pour Arima. Avant de prendre la voiture, Akari et Jun se réconcilient ; la seconde promettant à la première de ne plus mentir. Sur la route, les trois amies plaisantent Fumi qui laisse seul son mari avec une très jeune femme. Fumi se dit sereine mais elle le parait beaucoup moins lorsque les quatre amies croisent son mari marchant de manière très décontractée avec la jeune auteure. Les quatre amies montent vers la source qui surgit d'une cascade et demandent à une passante de les prendre en photo.
C’est déjà le retour. Tout le monde prend la voiture de Fumi, sauf Jun. Elle croise la jeune femme, Mie, qui les a prises en photo. Elle lui explique que c’est aujourd'hui qu'est prononcé son jugement de divorce. De son côté, Mie lui raconte qu’inquiète, elle rentre chez elle. Son père lui a toujours menti, pour son bien, et elle craint qu'il ne se soit fait très mal en tombant. Une fois Mie descendue, Jun continue sa route, seule….
Chapitre 3 : Voir. Le jeune Daiki, dans un train, dit à sa jeune compagne de ne pas s'inquiéter.
Akari marche d'un pas rapide pour rejoindre ses amies dans un café. Toutes trois répondent à la demande de Kohei. Jun a disparu depuis trois semaines et il leur demande si elles savent où elle est. Jun est enceinte de lui et il veut absolument la revoir. Les trois femmes ignoraient cette fuite et lui reprochent son intransigeance face à la procédure de divorce qu'il a empêché. Jun a disparu sans laisser de trace, afin de rendre leur séparation effective. Elles doutent que ce soit de lui qu'elle est enceinte. Mais Kohei est sur d'être le père : avant qu'elle ne prenne un amant, ils voulaient avoir des enfants. Il est conscient que Jun ne lui reviendra probablement pas mais il ne sera apaisé que lorsque Jun le lui confirmera de sa voix. Lui n'a fait que suivre les règles.
Cette entrevue sème le trouble parmi les les trois jeunes femmes, qui réagissent très différemment face au comportement de Jun. Akari soupçonne Sakurako d'avoir su que son amie de collège était enceinte. De plus, elle joue à la grande copine comme si elle était la seule à accepter et comprendre le comportement de Jun. Akari dit en partie comprendre son mari. Sakurako reconnait qu'elle avait le pressentiment sur la grossesse de son amie. Elle est plus souple qu'Akari qui s'en tient toujours aux règles de la morale et, en premier lieu, à celle de ne pas mentir. Mais qui aurait envie de se confier à elle ainsi. Akari, meurtrie et fâchée avec Sakurako, quitte le café. Fumi ne peut la rattraper.
Daiki apprend à sa mère, Sakurako, qu'il a mis enceinte Yuki, celle qu'il aime depuis le collège. Il a besoin d'argent pour qu'elle avorte. Sakurako le gifle puis revient à de meilleurs sentiments. Le soir, Yoshihiko, le mari de Sakurako ne veut pas aller plus loin que de rédiger une lettre d'excuses qu'il charge sa femme de porter le lendemain aux parents de Yuki avec de l'argent pour l'avortement. Pour ne pas avoir à supporter cette visite humiliante, il prétexte une grosse charge de travail. Devant sa lâcheté, sa propre mère lui assène une tape sur la tête.
Le lendemain, Sakurako et sa belle mère se rendent chez les parents de Yuki porter la lettre. Elles promettent que Daiki ne cherchera plus jamais à voir Yuki en dehors du lycée. En partant, les deux femmes voient Yuki à l'étage qui n'est pas descendue. Sur le chemin du retour, la belle-mère de Sakurako s'excuse pour son fils. Elle la plaint d'avoir fait un mariage d'amour qui semble ainsi mal tourner.
Sakurako discute avec Daiki et lui avoue que c'est grâce, ou à cause, de Jun qu'elle a épousé son père; celle ci ayant dit à l'un et l'autre qu'ils étaient amoureux.
Akari vérifie le traitement des malades avec Yuzuki, l'élève infirmière dont elle a la charge. Alors qu'elle s'apprête à donner son glucose à un malade, Yuzuki lui demande de vérifier une nouvelle fois le dosage. Elle s'était bien trompée et a failli ainsi tuer son patient. Akari s'emporte contre Yuzuki. Parce qu'elle a peur d'elle, elle a failli ne rien dire et laisser Akari commettre une faute. Elle va faire un rapport pour mettre en lumière les carences de Yuzuki qui ne semble pas faite pour ce métier. Yuzuki plaide en vain sa cause. Akari s'en va et descend les escaliers. Un cri retentit : elle a fait une grave chute.
Daiki attend sur le bateau en partance pour les iles. Il croise Jun qui part aussi. Il lui avoue qu'il comptait s'enfuir avec Yuki. Mais celle-ci ne vient pas, lui signifiant ainsi qu'elle le quitte. Daiki, même triste, remercie néanmoins Jun d'être responsable de sa naissance.
Chapitre 4 : Sentir. Sakurako décide de se rendre à la lecture publique organisée par Fumi et son collègue Kawano. Elle y retrouve, le mari de Jun et celui de Fumi, Takuya qui présente Mlle Nose, sa protégée. Ukai, pressenti comme artiste résident du centre, est désigné comme le modérateur du débat qui aura lieu ensuite.
Kozue Nose commence son récit : une jeune fille est venue assister à un congrès scientifique sur les bains d'Arima à l'invitation d'une étudiante plus âgée. Elle est surtout venue pour être avec un garçon dont elle est amoureuse. Elle ne ressent toutefois presque rien, restant extérieure aux choses, au cours de ce voyage et après. La plus grande sensation qu'elle éprouve est celle du bain pris en commun dans le bassin des femmes.
Fumi sort rapidement de la salle suivie par Ukai qui perçoit bien qu'elle souffre de l'attention que Takuya porte à Kozue Nose. Il lui demande de tout quitter et de partir avec lui. Elle refuse. Quand Kawano surgit, inquiet de leur départ de la salle, Ukai affirme qu'il ne mènera pas le débat et refuse d'être artiste résident. Takuya propose à sa femme de mener le débat mais elle refuse n'ayant presque pas écouté la lecture. Rentrant dans la salle Takuya propose à Kohei, qu'il a interviewé autrefois, de mener le débat.
Kohei accepte et surprend en parlant d'abord longuement de son métier (la spécialisation des cellules pour former tel ou tel organe) avant d'interroger Kozue Nose. Il trouve son texte très beau, sensible, rendant réelle la sensation du bain partagé avec les femmes. Tout l'auditoire applaudit
Dehors, Ukai rencontre Akari qui, avec ses béquilles, arrive très en retard à la séance. Il la complimente sur sa beauté et lui propose de partir avec lui. Ce qu'elle accepte.
Takuya remercie chaleureusement Kohei pour la réussite du débat et lui propose de venir diner avec Mlle Nose, Sakurako et Fumi. Au cours de ce diner, Kohei exprime ses doutes sur la vérité de la relation amoureuse contenue dans sa nouvelle. Il lui semble qu'elle est encore trop jeune et n'a jamais été vraiment amoureuse. Fumi trouve que son mari ne porte intérêt qu'à Mlle Nose et quitte la table, décidée à rentrer seule. Sakurako est outrée et laisse seule Mlle Nose et Takuya pour tenter de retrouver Fumi.
Chapitre 5 : Goûter. C'est dans une boite de nuit que Ukai a conduit Akari. Il ne cesse de la complimenter, de l'entrainer à danser, puis de la laisser choir. Akari discute avec la sœur d'Ukai qui entretient un rapport de très grande proximité avec son frère. Akari finit par supplier à Ukai de la raccompagner chez elle. Ce qu'il accepte avec la bénédiction de sa sœur.
Sakurako a retrouvé Fumi dans le train. Au moment de se séparer, Sakurako croise le jeune homme de l'atelier d'Ukai avec lequel elle avait échangé ses pensées. Sur un coup de tête, elle prend le train avec lui.
Takuya raccompagne Mlle Nose chez elle et lui déclare être amoureuse de lui.
Fumi a marché toute la nuit avant de rentrer chez elle. A peine rentrée, c'est Takuya qui rentre. C'en est trop pour elle, elle lui déclare vouloir partir tant il l'a fait souffrir sans même sans rendre compte. Même avec des excuses, ce serait trop tard. Comme il a encore oublié ses clés, elle les lui tend pour la dernière fois.
Le matin à l'hôpital, Akari modifie le planning pour indiquer qu'elle met fin à son congé maladie : même avec des béquilles, elle va retravailler. Yuzuki est heureuse de son retour. Touchée par l'admiration sincère que lui porte Yuzuki, Akari lâche enfin la bride à sa rigidité morale et l'enlace.
Le matin voit aussi Sakurako rentrer chez elle. Elle déclare à son mari qu'elle a couché avec un autre homme qu'elle ne connait qu'à peine. S'il veut qu'elle reste avec lui, qu'il ne compte pas sur des excuses. Yoshihiko accuse le coup mais tient à garder sa femme. Sur le chemin du travail, il s'écroule en larmes.
Le matin découvre enfin la voiture de Takuya gravement accidentée, encastrée dans un camion. Emmené à l'hôpital, il est entre la vie et la mort. Fumi pense que c'est un signe : du coup, il a assez payé : s'il s'en relève peut-être qu'elle reprendra la vie avec lui. Fumi déclare à Akira que, quelque soit ce qui arrive, lorsque Jun reviendra, alors les quatre amies repartiront passer des journées ensemble.
Initialement intitulé Brides, en réponse à Husbands de John Cassavetes, le film de 5h20 est devenu "Happy Hour" et a été présenté sous ce titre en 2015 au festival de Locarno où il a remporté le prix interprétation féminine pour les quatre actrices et une mention pour le scénario. Même succès au Festival des trois continents (Montgolfière d'argent et prix du public) et au festival Kinotayo (Soleil d'or).
En 2018, les distributeurs français ont découpé le film en trois segments et le présentent comme une série, intitulée Senses, et diffusée en salle en trois fois (épisodes 1 et 2 ; épisodes 3 et 4; épisode 5) avec des sorties échelonnées entre le 2 et le 16 mai. Ainsi, au lieu de ne réaliser qu'une maigre recette pour un film difficile à exploiter en salle, ils misent intelligemment sur le goût pour les séries pour attirer un plus grand nombre de spectateurs... et multiplier cette recette augmentée par trois ! Le chapitrage du film en cinq parties, une pour chacun des cinq sens, facilite ce découpage et ne dénature heureusement pas ce très grand film de cinq heures.
Une narration creusée avec des acteurs non professionnels
Une série fait, en général, preuve d’une grande science de la narration en variant les aspects possibles de la psychologie des personnages confrontés aux situations les plus diverses (c'était ainsi le cas de Shokuzai, la série télévisée de Kiyoshi Kurosawa exploitée ensuite en salle en deux parties).
Rien de cela ici dans un scénario très lent, basé sur l'expression des sentiments des personnages. Bien loin d’une technique narrative sophistiquée, l’idée de Senses est en effet venue au réalisateur lors de sa trilogie documentaire basée sur les témoignages recueillis auprès de victimes du séisme du 11 mars 2011. Ryusuke Hamaguchi a été touché par la force d’expression de ces personnes, leur entrain, leur capacité à dévoiler leurs émotions lorsqu’elles sont écoutées. Il a alors organisé un atelier d’improvisation, autour du thème "comment pouvons-nous mieux nous écouter les uns les autres ?".
Le scénario a ainsi été écrit en fonction de chacun des participants amateurs qui ont inspiré eux-mêmes l’écriture et se sont retrouvés, non professionnels, acteurs et actrices du film. On en trouve un écho dans le premier chapitre où les héroïnes participent à un atelier sur "les manières non-conventionnelles de communiquer avec les autres" qui va leur faire entamer une réflexion personnelle sur leur relation aux autres avant que ne survienne le choc de l’annonce du divorce de Jun. La jeune femme est prête pour cela à bafouer l’amour de son mari, à mentir au tribunal et même à s’enfuir loin de tous pour acter cette séparation. Du coup, ses trois amies vont aussi réfléchir sur leurs amours, leur couple et leur place dans la société.
Le film se compose ainsi de grandes scènes dialoguées où, par le montage, s’affrontent les jeux de regards, introduisant approbations, interrogations, suspicions et doutes. L'ensemble de la communication aboutit cependant à "trouver son centre", à faire confiance aux autres, des amis ou des inconnus, dans une communion à la fois physique et psychique.
"Les choses ne font que passer devant nos yeux" dit la poétesse dans le quatrième chapitre avant de conclure : "Nos yeux n’essaient pas assez de saisir ces événements fugitifs." C’est ce à quoi s’emploie le film. Il ne délaisse pas pour autant les moments de grandes solitudes. Ainsi, la disparition de Jun, le visage éclairé de rouge dans un tunnel avant le fondu au noir de la fin du deuxième chapitre.
Jean-Luc Lacuve le 16 mai 2018