Gloria naît. Elle est ensuite lavée à grandes eaux sur la musique de La pavane pour une infante défunte. Puis Gloria sourit dans les bras de sa jeune maman, Mathilda, vendeuse que regarde tendrement Nicolas, son mari, chauffeur de limousine pour une plateforme uber. Sont venus leur rendre visite à l'hôpital les grands-parents attendris, Sylvie, femme de ménage pour une entreprise de sous-traitance, et son second mari Richard, conducteur de bus ainsi que Aurore, demi-sœur de Mathilda, femme de Bruno, tous deux propriétaires d’un prospère magasin de dépôt-vente. Bruno a emmené le champagne et propose en douce de la cocaïne à son beau-frère Nicolas pour s'envoyer en l'air avec Mathilda.
Richard souhaite que Sylvie annonce la nouvelle de la naissance de Gloria à Daniel, son ancien compagnon, et père biologique de Mathilda, qui purge une longue peine de prison. Daniel reçoit ainsi une lettre et, à sa libération, revient en car à Marseille. Il y retrouve Sylvie la femme qu’il a aimée, fait la connaissance de sa petite fille. Et malgré l’hostilité de Mathilda, sa fille, qui ne l’a pas connue, il s’attache à l’enfant. Il découvre aussi une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Sylvie et Richard, en horaires décalés, ne se croisent qu’à l’aube, sans partager le même temps libre. Mathilda erre de période d’essai en période d’essai et déclare qu’elle « ferait pareil » si elle était à la place de ses employeurs. Nicolas, costard impeccable, agrémenté de quelques mots d’anglais, fait tout pour plaire aux touristes étrangers qu’il transporte dans sa voiture de luxe, payée à crédit. Il ne compte pas ses heures et ne dispose d’aucune protection sociale.
Ainsi, lorsqu'un soir il est pris à partie par des chauffeurs de taxi qui lui cassent un bras, c'est la catastrophe. Le couple n'a bientôt plus d'argent pour payer la nourrice et Nicolas n'obtient pas le certificat médical qui lui permettrait de conduire de nouveau. Sylvie et Richard aimeraient qu'Aurore et Bruno confient la direction de leur nouveau magasin à Mathilda. En faisant cette demande par téléphone, alors qu'il conduit son bus, Richard est arrêté par la police et prend deux semaines de mise à pied. Du coup, Sylvie refuse de participer à une grève initiée par ses collègues tant elle craint que la perte de son travail d’agent d’entretien (dont la saleté déclenche un haut-le-cœur qu’elle surmonte) ne les précipite tous dans la misère.
Mathilda vient elle-même supplier Bruno de la prendre à l'essai ce qu'il accepte d'autant plus volontiers qu'il est son amant depuis quelques mois. Bruno, entrepreneur autoproclamé ‘premier de cordée’, gérant de ‘Cash’ est soutenu par son épouse à l’accueil du magasin. Il met en œuvre avec cynisme les préceptes d’un enrichissement assis sur le dénuement des plus pauvres, l’exploitation d’ouvriers payés en liquide sans bulletin de salaire à travers le développement d’un concept commercial innovant (l’écrasement des plus pauvres). Bruno et Mathilda soutiennent une sexualité débridée par la cocaïne et prennent même leurs ébats en vidéo excités par l'idée d'en faire commerce. Aurore, sûre de sa séduction, interdit toutefois à son mari un triolisme avec sa sœur, envers laquelle elle a développé une jalousie maladive.
Nicolas, désespéré, harcèle la doctoresse jusque chez elle afin d'obtenir son certificat médical. Il la blesse involontairement. Sylvie appelle alors Daniel pour qu'il la soutienne dans sa démarche auprès de la jeune femme. La doctoresse n'a heureusement pas l'intention de porter plainte. Daniel se demande si Sylvie ne l'a pas convoqué pour faire le coup de main. Il lui dit être prêt à tout pour elle, pour rattraper les années de galère et de prostitution qui ont suivi son emprisonnement qu'elle a racontées à la doctoresse.
Nicolas a renoncé à son métier de chauffeur Uber et a même conservé un peu d'argent sur le crédit-bail qu'il avait engagé. La chance semble avoir tourné puisque dans la même journée il a trouvé une place de gardien du parking de la société.
Le soir de la fête de l'inauguration de Cash-Canebière, toute la famille est réunie. Mathilda s'attend à être nommée directrice et elle tombe de haut et en larmes quant Bruno désigne Caroline, une jeune femme probablement aussi carnassière que lui, à la tête du magasin. Du coup, excédée, Mathilda fait scandale et quand Aurore tente de la calmer elle lui révèle être baisée depuis des mois par son mari qui, au lit, lui a même montré leur vidéo porno. Bruno essaie de s'en tirer en niant en bloc puis prend la fuite en scooter. Alors qu'il ouvre la porte du garage, Nicolas vient lui demander des comptes. Excédé d'apprendre que sa femme est nulle et le trompe, Nicolas se saisit d'une pelle pour tuer Bruno, d'un coup net. Daniel qui l'a suivi s'empare de la pelle et le convainc de ne rien dire quand il s'accusera afin que le cycle de la violence qui pèse sur la famille s'arrête enfin. Daniel sera condamné et emprisonné.
L'ouverture extrêmement lyrique, la naissance du bébé placé sous l'eau pure pour être lavé au son de La pavane pour une infante défunte, est un hommage, revendiqué dans le générique, au cinéaste arménien Artavazd Pelechian et explicitement à Vie (1993). L'enfant est nommé en référence à un film vu à la télévision, probablement le Gloria de Cassavetes ou l'un des deux Gloria de Sebastián Lelio. Néanmoins le titre fait référence à locution latine, Sic transit gloria mundi, qui signifie : "Ainsi passe la gloire du monde". Et c'est bien cette noirceur du monde où la gloire a disparu que met en scène Guédiguian.
La fin des solidarités
L'argent, la cash, le désir de tout posséder, est une mécanique implacable; dans les brouillards de la cocaïne, Bruno s'empare de l'idéologie macronienne. Il pérore sur les "premiers de cordée" dont il fait partie et les "minables" qui sont légion et qui l'empêchent d'avancer. Une pelle viendra par derrière l'abattre d'un coup net.
Seuls les grands-parents, encore tenus par de vieilles solidarités vécues dans le temps de leur jeunesse et mus par un amour sans faille, sont prêts à bien des sacrifices pour préserver le frêle équilibre de la famille. Les deux jeunes couples sont infidèles, malheureux, au bord de l'explosion
Les grandes solidarités (la grève à laquelle Sylvie refuse de participer) comme les petites (Aurore qui refuse de prêter de l'argent à sa sœur ou de l'embaucher) ont disparu.
Tous en cellule
Les individus n'ont plus que des cages pour exister. Celles des bureaux de la tour CMA-CGM qui domine la rade de Marseille au cœur d’Euroméditerranée, à côté de sa voisine la Marseillaise comme celles des chambres de paquebot à nettoyer en 9 minutes. Ces bureaux et ces chambres sont la réalité vécue par Sylvie, loin de la splendeur dont les pare encore Guédiguian dans de somptueux plans de nuit sur la ville. Ces petits espaces sont, comme la chambre d'hôtel du Cheval blanc de Daniel, des formes proches d'une prison. Lieux sans autre fenêtre qu'un œilleton où parfois il est possible de préserver la paix. De même, Daniel ne peut préserver la poésie que dans des haïkus aussi beaux que reduits à l'intensité du moment présent comme une philosophie personnelle sans dimension politique. Guédiguian cherche une dimension plus ample en cadrant dans un travelling panoramique, le trajet du bus avec au premier plan les tentes des sdf. Guédiguian peuple aussi quelques plans de militaires en armes face à un terrorisme toujours menaçant.
Mais c'est d'une prison, seul lieu métaphoriquement préservé de la violence du monde, que Daniel regarde celui-ci au dernier plan.
Jean-Luc Lacuve, le 8 décembre 2019